Depuis le 19 décembre 2016, terme constitutionnel de son mandat, Joseph Kabila se maintient à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) en empêchant la tenue du scrutin présidentiel. Il compte bien tirer parti de l’éclatement de l’opposition pour perpétuer son pouvoir. Jusqu’à quand ?
L’année 2016 avait vu une forte mobilisation populaire pour demander la tenue
de l’élection présidentielle à la date prévue par la Constitution. Le retard délibéré dans
l’établissement des listes électorales et la mauvaise volonté évidente de Joseph Kabila avaient
suscité des manifestations durement réprimées
(plusieurs dizaines de morts). L’Eglise catholique, à travers la Conférence épiscopale na
tionale du Congo (CENCO), très influente en
RDC, s’était imposée comme médiatrice entre
la Majorité présidentielle (MP), le parti de Joseph Kabila, et le « Rassemblement des forces
politiques et sociales acquises au changement »
(l’opposition congolaise) dont font partie
l’UDPS d’Etienne Tshisekedi, des partis d’opposition et des organisations de la société ci
vile (syndicats, associations, etc.). Y figure aussi
le « G7 », groupement fondé en 2015 par
sept transfuges de la MP passés à l’opposition,
qui soutient la candidature à la présidentielle
de Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga
exilé en Europe. La démarche des évêques
avait abouti, le 31 décembre 2016, à l’Accord
dit « de la Saint Sylvestre », qui a permis, dans
un premier temps, de désamorcer la colère
grandissante de la population congolaise et
d’éviter ainsi un bain de sang inutile face à un
régime prêt à réprimer durement toute insurrection.
L’Accord de la SaintSylvestre prévoit la
création d’un Conseil national de suivi de l’accord (CNSA) et du processus électoral, et la
formation d’un gouvernement d’union nationale chargé d’organiser les élections avant la
fin de l’année 2017. Selon cet accord, il appartient au Rassemblement de l’opposition de
proposer au président Kabila un Premier ministre. C’est sur ce point que la Majorité pré
sidentielle et le Rassemblement ont eu
beaucoup de mal à s’entendre. La MP estimait
qu’il fallait que l’opposition présente trois candidats afin que le président de la République
puisse avoir le choix, conformément à la
Constitution. Et il était de toute façon inadmissible que Moïse Katumbi figure parmi eux.
La disparition d’Etienne Tshisekedi, décédé le 1er février 2017 à Bruxelles des suites de
sa maladie, a bloqué les négociations avec le
président Kabila et empêché la sortie de la
crise politique. Le leader incontesté de l’opposition n’étant plus là, aucune autre personnalité politique n’est parvenue à faire
l’unanimité et l’opposition s’est divisée. Le fils
du défunt, Félix Tshisekedi, a été élu président
du Rassemblement et présenté comme candidat au poste de Premier ministre, tandis
qu’une frange dissidente du Rassemblement
lui préférait Joseph Olenghankoy.
Le président Kabila a habilement profité
de cette scission en nommant, en avril dernier,
Bruno Tshibala, un dissident du Rassemble
ment, au poste de Premier ministre. Cet ancien de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi a été
exclu du parti un mois plus tôt après avoir rallié Joseph Olenghankoy. Ce dernier a ensuite
été nommé président du CNSA, fin juillet. Une
désignation immédiatement contestée par les
partisans de Félix Tshisekedi.
Le débauchage de membres de l’opposition marque clairement l’intention de Kabila
de ne pas organiser les élections. Les ténors
de son clan œuvrent à l’extérieur comme à l’intérieur du pays pour assurer la pérennité du
régime. Barnabé Kikaya, conseiller du chef de
l’État depuis 2014, négociateur en chef aux Nations unies et fin diplomate, « affronte l’opposition du Conseil de sécurité de l’ONU, des
chancelleries occidentales, de l’Union européenne et même du Pape François » (Le
Monde, 01/09) pour éviter à Kabila des sanctions internationales plus sévères. Kalev Mu
tond, le puissant chef de l’Agence nationale de
renseignement (ANR), verrouille quant à lui la
forteresse de l’intérieur. Surnommé « le Bourreau du régime Kabila », il est visé par des sanctions de l’Union européenne et des États-Unis,
à l’instar de plusieurs autres hauts responsables
du régime, dont Lambert Mende, porte-parole
du gouvernement et ministre de la Communication.
L’armée congolaise est suspectée de graves
exactions dans les provinces du Kasaï où l’on a
trouvé plus de 40 fosses communes et plus de
400 morts. Plus d’un million de personnes ont
été déplacées dans cette région du Kasaï. Deux
enquêteurs de l’ONU y ont été assassinés en
mars. Les experts des Nations-Unies dépêchés
sur place n’ont toujours pas éclairci ce double
meurtre, mais le scénario qui se dessine est ce
lui d’un guet-apens impliquant les services
congolais (RFI, 13/09). La répression est permanente dans le pays. Des zones d’insécurité
sont créées dans plusieurs provinces, notamment au Kivu, en Ituri, au Kongo central, et à
Kinshasa. Toute manifestation est interdite. La
situation socio-économique de la population
congolaise est alarmante.
L’opposition a pour l’instant recours à des opérations pacifiques de type « villes mortes » pour faire pression sur le régime. Des organisations de la société civile et des mouvements citoyens ont signé un « Manifeste du citoyen congolais » le 18 août à Paris. Ce document prône « des actions pacifiques et non violentes » visant à empêcher le président Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà du 31 décembre 2017. Le Rassemblement dirigé par Félix Tshisekedi, tout comme la CENCO, proposent qu’au 31 décembre prochain, un président de transition soit nommé si les élections ne sont pas organisées d’ici-là. Dans la société civile, un nom est cité, celui du docteur Mukwege, ce médecin gynécologue qui « répare les femmes » [1]. Que ce dernier accepte ou non, rien ne permet malheureusement de penser que Kabila, les caciques du pouvoir et leurs puissants soutiens s’en remettront facilement à ce scénario.
A Paris comme ailleurs, on ne peut que s’inquiéter de voir chauffer la cocotte minute congolaise, en se demandant quand et comment se relâchera la pression. Si la France appelle bien au « respect de la démocratie, des droits de l’Homme et de la Constitution en RDC », elle se garde bien d’être proactive sur le sujet (contrairement aux Etats-Unis ou à l’Union européenne), et maintient discrètement ses intérêts, qui profitent du statu quo – à l’instar de Total, qui a décroché le gros lot avec l’exploitation du pétrole du lac Albert, en Ituri. En juin, la libération d’un otage français employé par la société canadienne Banro, qui exploite des mines d’or dans l’est de la RDC, a valu au dictateur congolais un petit coup de fil personnel d’Emmanuel Macron, mais surtout la visite discrète du nouveau locataire de la cellule Afrique de l’Elysée, Franck Paris, et du directeur Afrique/Océan indien du Quai d’Orsay, Rémi Maréchaux (Afrikarabia, 10/09). Et début septembre, c’est le Premier ministre congolais qui est venu essayer de pousser des portes à Paris, une visite pleine d’énergie. Le 4 septembre, il s’affiche dans un « dîner d’amitiés » avec Jean-Louis Borloo [2], dont le nouveau dada est d’électrifier l’Afrique et de faire tourner une fondation aux généreux sponsors industriels. Puis, tandis que la télévision congolaise annonçait un entretien avec le président du Palais du Luxembourg, Bruno Tshibala a pu seulement s’afficher sur Twitter avec le sénateur Les Républicains de l’Eure, Ladislas Poniatowski, présenté à tort comme « vice-président du Sénat » – mais qui préside tout de même le groupe d’études Energie. Selon le journaliste Christophe Rigaud (Afrikarabia, 10/09), Kinshasa espérait réussir le même coup de communication que le Tchadien Déby début juillet (cf. Billets n°269, juillet-août 2017) : permettre à Kabila de passer opportunément par la cour de l’Elysée, avant son déplacement à l’assemblée des Nations unies, le 12 septembre. Loupé, Macron était à Saint-Martin, pour faire le show après le passage de l’ouragan Irma.
[1] « L’homme qui répare les femmes la colère d’Hippocrate », film de Thierry Michel & Colette Braeckman, 2015