Survie

Continuum tremens

rédigé le 20 octobre 2017 (mis en ligne le 7 novembre 2017) - Thomas Noirot

En 2008, le Livre blanc de la Défense affirme
que « la distinction entre sécurité intérieure et
sécurité extérieure n’est plus pertinente
 ».
Celui de 2013 enfonce le clou, en parlant quant à lui
de « la continuité qui existe entre sécurité intérieure
et sécurité extérieure
 ».

Entre temps, l’armée française
s’est largement déployée au Sahel (d’abord à
l’occasion de l’opération Sabre, qui désigne
l’installation de forces spéciales dans l’arc sahélien [1],
puis de l’opération Serval au Mali) et la classe
politique française s’est rangée derrière l’idée d’une
absurde « guerre contre le
terrorisme ». L’incroyable capacité
de ce concept creux à inhiber
tout débat public (car si vous êtes
contre la guerre contre le
terrorisme, vous êtes pour le
terrorisme, c’est bien connu) ne
devrait pas faire oublier son
potentiel de structuration de l’idéologie répressive,
non moins redoutable. En gommant progressivement
toute frontière entre le rôle de « défense » (ou donc
d’attaque à l’extérieur) d’une armée et celui de
« sécurité intérieure » d’une force de police ou force
dite « de l’ordre », l’hystérie du continuum sécurité­
défense amène à ne plus interroger les différences
entre ces deux missions : la policiarisation des
opérations militaires et la militarisation des
opérations de police deviennent la norme.

En France, cela contribue à normaliser les
patrouilles de militaires armés qui circulent dans nos
villes, au titre d’une opération Sentinelle bientôt aussi
pérenne que Vigipirate, et à chercher dans ce que
« l’art » de la guerre a donné de pire, un modèle de
réponse aux enjeux de sociétés auxquels des
politiques stériles sont incapables de répondre.
Fliquer une population entière pour traquer
« l’ennemi intérieur » ne relève officiellement plus de
l’état d’urgence, désormais pleinement intégré à notre système juridique : les mesures d’exception
deviennent la règle ce 1er novembre, à la faveur d’une
énième loi qui, pour lutter contre le terrorisme,
attaque les fondements d’un chimérique État de droit.
Une victoire, tant pour les idéologues du contrôle
sécuritaire que pour les gourous de Daesh, qui ne fait
trembler que les associations et syndicats massivement
opposés à cette fuite en avant.

Et dans les dictatures amies de la France – donc
implicitement du côté du « bien » face à un péril
insaisissable que ces régimes sont censés contenir –
on parle indifféremment de
« forces de sécurité », à l’instar
d’une meute indistincte de
policiers et de militaires que le
pouvoir togolais lâche sur sa
population. Dans les régions
anglophones camerounaises, la
militarisation d’une opération de
« sécurité intérieure » s’est traduite par un état de
guerre, où chaque manifestant aperçu dans la rue le
1er octobre pouvait être considéré comme « terroriste
 », sur ordre des autorités politiques. Mais un
continuum pouvant en cacher un autre, les idéologues
de la coopération militaire et policière française
assurent, une main sur le cœur et l’autre sur le Colt,
que leur action reflète la cohérence de cette politique
française entre les continuum « sécurité­défense » et « 
sécurité­développement ». Pas de développement sans
sécurité : tout devient simple comme une équation
d’école militaire, qui justifie d’armer et de former la
main de fer qui continuera de réprimer sans trembler
les naïfs qui pensaient que la « patrie des droits de
l’Homme » soutiendrait leurs aspirations
démocratiques.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 271 - octobre 2017
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