Survie

Gabon : un an après le hold-up électoral

rédigé le 10 octobre 2017 (mis en ligne le 16 janvier 2018) - Thomas Bart

Plus d’un an après la prétendue réélection d’Ali Bongo, le pays est en pleine crise économique
et socio­politique, l’Union européenne ne souhaite pas lâcher la pression sur le régime et
pointe du doigt ouvertement le rôle de la France. Mais les entreprises françafricaines comme
Bolloré continuent de faire des affaires et les militaires français d’agir comme des brutes, ce
qui exaspère de plus en plus les Gabonais.

Les représentants de l’UE sont arrivés
début octobre au Gabon dans le
cadre du Dialogue Politique
Intensifié (DPI) suite à l’activation d’une
disposition de l’accord de Cotonou votée
par le Parlement européen en
février dernier, et surtout à sa résolution du
14 septembre 2017 sur la répression de
l’opposition au Gabon
. Celle­-ci « condamne
vivement les pressions et les intimidations
dont fait l’objet l’opposition gabonaise.
[Elle] condamne fermement les menaces
permanentes, les agressions, le recours à la
force ainsi que les restrictions sévères et les
intimidations à l’encontre des opposants,
des défenseurs des droits de l’homme et des
journalistes au Gabon.
 »
Mais cette résolution ne fait pas que
critiquer le rôle des autorités gabonaises. En
février, différents eurodéputés avaient déjà
critiqué publiquement le rôle des autorités
françaises (et notamment le fait que celles­-ci
avaient reconnu l’élection d’Ali Bongo) et
affirmé craindre que la France bloque toute
sanction ciblée contre des membres du clan
Bongo [1]. En septembre, c’est officiellement
au nom du Parlement européen que la
France est citée, la résolution lui demandant
de « jouer un rôle constructif » du fait de
« ses liens historiques forts », ceci afin d’aider
à faire toute la lumière sur les violences post
électorales et à mettre fin aux répressions
des opposants et autres défenseurs des
droits de l’homme. Cela signifierait­-il que la
France n’a pas cet objectif ?

Militaires français exaspérants

De leur côté, les militaires français
continuent de se sentir chez eux, ce qui
exaspère de plus en plus la population
gabonaise. C’est ainsi que par exemple dans la
nuit du 29 au 30 septembre, une violente
bagarre dans une boîte de nuit à Libreville a
éclaté entre huit parachutistes belges et des
militaires portant l’uniforme tricolore. Bilan :
un établissement ravagé et trois civils gabonais
blessés. Si les militaires belges fautifs ont été
rappelés
rapidement,
d’après
nos
informations les Français impliqués dans la
bagarre sont toujours à Libreville... Les gérants
des bars en ont tellement marre des exactions
des militaires étrangers – et notamment
français – qu’ils souhaiteraient instaurer une
« taxe pour la paix ». Celle­-ci consisterait à ce
que, dès que des militaires étrangers
pénètrent dans un débit de boissons, ils aient
à s’acquitter de ladite taxe avant de
consommer...

Bolloré continue de faire de bonnes affaires

En 2007, le groupe Bolloré avait obtenu
une concession sur le terminal à conteneurs
dans le domaine portuaire d’Owendo – prin­cipale porte d’entrée des produits de ce pays,
à quelques kilomètres au sud de Libreville –
suite à un processus controversé (et jugé
anticonstitutionnel par certains juristes [2]).
Pour cela, le groupe du milliardaire français
s’était engagé à moderniser l’équipement,
agrandir l’infrastructure portuaire et procéder
à une baisse des tarifs. La gestion de ce port
(notamment les tarifs pratiqués et les délais
d’embarquement et de débarquement des
conteneurs) était critiquée depuis de nom­breuses années par le gouvernement gabo­nais, mais aussi par de nombreuses
entreprises et associations au Gabon.
Suite à ces critiques, le gouvernement ga­bonais a signé en 2014 un contrat avec Gabon
Special Economic Zone (GSEZ) – filiale du
groupe singapourien Olam – pour la
construction et la gestion d’un nouveau port
en eau profonde à Owendo. Ce port construit
en 18 mois a été mis en service en juin der­
nier. Bolloré, via sa filiale locale STCG, perdant
de ce fait son monopole, a dû, pour rester
compétitif, diminuer ses tarifs entre 20 et 40%
suivant les produits... Mais le groupe français,
soucieux de conserver son marché, a déposé
selon Mediapart (19/09) en avril dernier une
plainte contre l’État gabonais devant le Centre
international de règlement des différends
relatifs à l’investissement, une cour d’arbi­trage dépendant de la Banque mondiale.
Au­tant attendre que la construction soit finie
pour porter plainte... D’après la Lettre du
Continent
(06/10)
, Bolloré n’a en fait jamais
déposé cette plainte, mais a menacé de le
faire.. Quoi qu’il en soit, cela a été un élément
de la négociation discrète qui a mené au coup
de théâtre quelques jours avant l’inaugura­tion officielle du nouveau port, organisée mi­-octobre. En effet le groupe Bolloré, Olam et
l’État gabonais ont conclu un accord permet­
tant au groupe français, via sa filiale STCG,
d’assurer la gestion du nouveau port à conte­neurs. La STCG a ainsi préservé son mono­pole à conteneurs sur la façade portuaire de
Libreville, sans avoir réalisé les investisse­ments nécessaires et promis lors de la signa­ture en 2007. Plus qu’à espérer pour la
population gabonaise que les tarifs ne vont
pas réaugmenter... Coïncidence ? La diffu­sion du dernier volet de la série « Despot
Housewives », documentaire consacré aux
femmes de dictateurs, a alors été annulée in
extremis
par la chaîne Planète+, du groupe
Canal+, contrôlé par Bolloré. Il devait traiter
de Patience Dabany, ancienne épouse d’Omar
Bongo et mère d’Ali Bongo...

[1« Gabon : reconnaissance française contre dénonciation
européenne », Billets d’Afrique n°265, février 2017.

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Ali Bongo, en 2014 (photo sous licence CC Foreign and Commonwealth Office)
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 271 - octobre 2017
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