Après la réunion des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) en décembre 2016 qui s’était conclue par un appel à l’aide au Fonds monétaire international (FMI), nous avons assisté à la mise en place de nouveaux prêts triennaux de plusieurs millions de dollars : 300 au Cameroun, 642 au Gabon, 666 au Cameroun... Nous avons interrogé Claude Quémar, du CADTM, et Kako Nubukpo, économiste engagé contre le Franc CFA, sur ce que recouvraient ces nouveaux programmes d’« aide » des institutions financières internationales.
Il y a aujourd’hui une reprise en main par le FMI d’un certain nombre d’économies africaines. Ces dernières années, le FMI avait perdu du pouvoir dans un certain nombre de pays, avec la crise du programme PPTE [1], la hausse du prix des matières premières qui avait permis des remboursements de dette anticipés. Maintenant que les cours plongent, une nouvelle crise de la dette se profile et le FMI fait son retour. Aujourd’hui, c’est lui qui dirige la macroéconomie de pays tels que l’Égypte, le Maroc, la Tunisie, le Gabon, le Tchad... Les prêts qui viennent d’être consentis sont assez importants. Les conditionnalités exigées en retour ne sont pas fondamentalement différentes de celles des Plans d’ajustement structurel (PAS) des années 1990, même si certaines leçons ont été tirées pour éviter les explosions sociales. Il s’agit toujours d’exiger des privatisations, une politique d’austérité, mais aussi maintenant le recours systématique aux Partenariats Publics-Privés (PPP), le remboursement par priorité des arriérés de paiement auprès des créanciers privés et le recours à l’émission des bons du trésor, qui se transforment en nouvelle dette. Dans les mécanismes de l’endettement, ce dernier aspect est assez nouveau pour les pays africains, qui recouraient jusqu’à présent essentiellement aux prêts bilatéraux et multilatéraux, auprès d’États ou de structures interétatiques, à part l’Afrique du Sud qui pouvait faire assez facilement des emprunts sur les marchés financiers classiques. Mais depuis quelques années, en particulier depuis la crise de 2007, du fait de la baisse des taux d’intérêt dans les pays « du Nord », il a été intéressant pour des banques de prêter de l’argent à des pays « du Sud ». Il vaut mieux prêter à 6,5% ou 7% à la Côte d’Ivoire ou au Gabon qu’à 1 %, voire à des taux négatifs au Japon ou à l’Allemagne. On a donc eu depuis 2009-2010 un recours aux euroobligations, c’est-à-dire des obligations souveraines, des obligations d’État établies en devises qui sont vendues sur les marchés financiers classiques. Autre fait nouveau : la multiplication de bons du trésor ou assimilables, prêts à maturité courte, de quelques mois à quelques années qui servent aux États à boucler leurs fins de mois pour payer leurs fonctionnaires ou procéder à des remboursements d’autres prêts. Ainsi par exemple, le Gabon en émet presque toutes les semaines à très court terme. Ça n’est évidemment pas viable à long terme. D’autant que ce phénomène s’accompagne d’un regain d’intérêt des fonds vautours pour ces pays, alors qu’ils s’étaient davantage orientés ces dernières années vers la Grèce ou l’Argentine, où les sommes à gagner étaient plus importantes.
Ce retour du FMI a aussi un rapport avec le Franc CFA. Il faut rappeler que la direction du Trésor français joue le rôle d’assureur dans le système de garantie de la parité fixe entre le CFA et l’euro. Contrairement aux pays qui couvrent leurs émissions monétaires à 100 % en ayant dans leur caisse l’exact équivalent en devises de l’unité monétaire qu’elles émettent, les pays de la zone franc ne sont tenus qu’à un taux de couverture de 20 %, compte tenu du rôle d’assurance joué par la France. Mais en contrepartie, les pays de la zone CFA doivent déposer 50 % de leurs devises sur un compte d’opération contrôlé par le Trésor français. Au début des années 2000, le taux de couverture était pourtant supérieur à 100 %, ce qui semblait paradoxal : pourquoi assurer une telle couverture quand seulement 20 % sont requis, alors que nos économies ont tant de besoins en termes d’infrastructure, de santé, d’éducation, de transport, d’énergie, etc. Aujourd’hui, avec le retournement du cycle des matières premières, plusieurs pays peinent à assurer la couverture de 20 %. Mais si on descend en deçà des 20 % de couverture, on dévalue le CFA. C’est ce qui s’est passé en 19931994. L’année dernière, les pays d’Afrique centrale ont augmenté de 15 % leurs dépenses en capital alors que leurs recettes ont chuté de plus de 60 %. Le Congo Brazzaville est passé de 3000 milliards de FCFA à 1000 milliards de FCFA : il a perdu les deux tiers de ses réserves de change en un an. Le Tchad n’en a plus, il est à zéro, comme la Guinée équatoriale. C’est pour ça que la directrice du FMI Christine Lagarde, en décembre 2016, demandait une dévaluation du CFA en marge de la conférence des chefs d’État de la zone Cemac. Mais les autorités françaises jugeaient impossible d’organiser cette dévaluation en pleine campagne présidentielle française. C’est la raison pour laquelle le FMI vient d’injecter de l’argent et exige un nouveau cycle d’ajustement structurel : pour éviter une dévaluation immédiate du CFA. En attendant de parvenir à un consensus entre les chefs d’Etat africains sur l’opportunité d’une nouvelle dévaluation, il faut sauver les meubles. On voit aussi que le rôle d’assurance joué par la France, qui pouvait sembler une bonne chose à l’origine, pour protéger ces économies contre des chocs exogènes, est devenu au fil du temps un mécanisme d’assurance contre les défaillances des chefs d’États africains en matière de gouvernance. Grâce à ce système des dépôts sur le compte d’opération du Trésor français, dont personne ne connaît les montants à part les initiés, des dirigeants africains mauvais gestionnaires peuvent se maintenir au pouvoir. A l’inverse, au Ghana, où le cédi à perdu 40 % de sa valeur, le président John Dramani Mahama a perdu les élections présidentielles. La mauvaise gestion économique n’implique pas une sanction politique en zone CFA. En contrepartie, les chefs d’État africains perdent tout pou voir de négociation vis-à-vis de Paris. Ce compte d’opération est donc bien un instrument de domination politique.
[1] L’initiative « Pays Pauvre Très Endettés » a été lancée en 1996 par le FMI et la Banque mondiale (et renforcée par le G7 en 2000), pour alléger la dette de certains pays en l’échange de réformes structurelles.