Survie

Discours de Ouaga : les leçons du professeur Macron

(photo CC Finnish Government, 22 septembre 2017)
rédigé le 20 décembre 2017 (mis en ligne le 29 janvier 2018) - Thomas Noirot

Présenté comme le pendant des « discours de Dakar » de Nicolas Sarkozy (2007) et de
François Hollande (2012), le discours d’Emmanuel Macron à Ouagadougou, le 28 novembre,
serait selon son ministre Jean­-Yves Le Drian « un discours très important pour la jeunesse
africaine » (Le Canard enchaîné, 13/12). Pour La Lettre du Continent (6/12), Macron « a su
convaincre partiellement la jeunesse burkinabè sur la forme [mais] il se sait attendu sur la
mise en place effective des mesures annoncées
 ». Le problème est justement que les
quelques engagements pris ne vont rien changer à la Françafrique.

Le locataire de l’Elysée a prétendu dès
le début de son discours [1] que « il n’y a plus de politique africaine de la
France
 » : et pour cause, Nicolas Sarkozy
avait déjà annoncé la fin de la Françafrique,
et François Hollande la « normalisation » de
la politique africaine de la France. Il fallait
bien se démarquer.

Instrumentalisation

En termes de communication, il a certes
su faire, du moins pour son discours soigneu­sement préparé. D’abord en rendant hom­mage au président Thomas Sankara (assassiné
en 1987, avec la complicité de la France, et au
sujet duquel il venait d’annoncer la future dé­
classification des archives françaises),
puis en citant André Gide ou Albert Londres.
Le choix du pays n’était bien sûr pas inno­cent : il s’agissait de récupérer à bon compte
l’insurrection de 2014, en évoquant « la dé­mocratie, combat que vous avez ici mené et gagné »... mais sans présenter au nom de la
France des excuses pour le soutien constant à
Blaise Compaoré, que l’armée française a
même protégé lors de sa chute en l’exfiltrant
du pays par hélicoptère. Et avec quelques
bourdes témoignant de son ignorance,
comme lorsqu’il s’est dit « impressionné par
la détermination de la jeunesse burkinabè à
défendre à deux reprises et parfois au prix
de sa vie les acquis de la démocratie et de
l’Etat de droit
. » La deuxième reprise, c’était
la mise en échec du putsch de septembre
2015. Mais la première, le renversement
d’une dictature vieille de 27 ans, était­-ce « dé­
fendre un acquis
 » de la démocratie ?
Après avoir égrené les différents « pé­rils » ou « défis » auxquels l’Afrique fait face
selon lui (l’esclavage en Libye, la lutte contre
le terrorisme, les conflits politiques internes,
l’obscurantisme religieux, la démographie,
le changement climatique), mais en répétant
cinq fois qu’il n’était pas là pour donner des
leçons, le président français a décliné cer­taines propositions, principalement en évi­tant ce qui structure aujourd’hui la politique
franco­-africaine – des sujets qui sont reve­nus lors des questions.

Engagements anecdotiques...

Lors de son discours, le président a pris
quelques engagements qui, bien que cer­tains soient à saluer, ne changeront pas
structurellement la relation politique, mili­taire et économique entre la France et les
pays d’Afrique de son champ d’influence. Au
contraire, même, pour certains.
Ainsi, on peut se réjouir de la promesse
de la restitution « temporaire ou perma­nente » (le premier mot est important...) de
certaines œuvre d’art africaines, même si
celle­-ci ne s’est pas accompagnée d’excuses
(au contraire, Macron a réhabilité morale­
ment le pillage culturel : « dans beaucoup
de pays d’Afrique ce sont parfois des
conservateurs africains qui ont organisé le
trafic et ce sont parfois des conservateurs
européens ou des collectionneurs qui ont
sauvé ces œuvres d’art africaines pour
l’Afrique en les soustrayant à des trafi­quants africains
 »). On peut également
comprendre l’intérêt des étudiants burkina­bè à se voir promettre un doublement des
partenariats universitaires entre la France et
les pays africains, davantage de bourses, du
moins pour les filles, et « des visas de circu­lation de plus longue durée » pour pouvoir
revenir en France après la fin d’un premier
cursus d’études. Mais cela s’accompagne de
la perspective de généralisation des « hots­ pots » permettant de bloquer dans les pays
de départ ou de transit les personnes « qui n’ont aucune chance d’obtenir le droit
d’asile
 ».

... ou intéressés

Emmanuel Macron est proche d’Hubert
Védrine et de Lionel Zinsou, co­-auteurs,
avec Jean-­Michel Sévérino (ancien patron de
l’Agence française de développement, qui
faisait partie de la délégation invitée à
Ouaga), d’un rapport fin 2013 sur
l’évolution de la relation franco­-africaine : ce
rapport mise principalement sur le potentiel
économique et le gisement d’emplois que
représente l’Afrique pour la France [2]. Nombre d’annonces faites lors du discours
de Ouagadougou font étrangement écho à
ce rapport. La plus caricaturale est sans
doute lorsque le président français défend
un outil de soft power, le volontariat
international en entreprise ou en
ambassade : « Je souhaite que plus de jeunes
Français puissent aussi venir travailler en
Afrique. Business France augmentera dès
2018 le nombre des jeunes volontaires
français travaillant dans des entreprises en
Afrique. Et je demanderai également à nos
ambassades de recruter davantage de
volontaires en privilégiant les candidats
qui parlent ou ont commencé
l’apprentissage d’une langue africaine
 ».
Mais ça devient sérieux quand on parle
argent : « Ce dont l’Afrique a besoin, ce sont
de financements pour ouvrir des structures
de soins où ces médecins pourront exercer
avec les meilleures technologies, c’est de
développer
la
télémédecine,
les
infrastructures
indispensables,
je
demanderai pour cela aux fonds
d’investissements privés français, aux
assureurs français, de proposer aux pays
africains de devenir les actionnaires
privilégiés des champions africains de la
Santé. Concrètement, je veux que des
financements privés français servent
demain à ouvrir des cliniques de qualité à
Abidjan, Dakar, Ouagadougou. La France
doit aussi avoir ce rôle.
 » Et pour attirer des
financements privés, rien de mieux qu’une
carotte publique : l’orientation actuelle au
« blending », qui permet d’attribuer un
élément d’aide publique au développement
à des projets privés pour les rendre
rentables, va s’en trouver confortée. Ce sont
les fonds d’investissements français et les
assureurs qui vont être contents...
Pour le coup, on comprend que son
autre engagement, atteindre en fin de man­dat « les 0,55 % du revenu national brut en
termes d’aide publique au développe­
ment
 », risque d’être l’occasion de différents
montages similaires, une marque de généro­sité... vis à vis des investisseurs privés.

Start-up continent

Car le secteur de la santé, bien que
privilégié, n’est pas la seule cible de la
tendance au blending promue par le très
néolibéral Macron. Il a ainsi proposé sa
« révolution qui permettra le sursaut de la
jeunesse, (...) celle de l’innovation et avec
elle de l’entreprenariat. (...) Concrètement
la France sera au rendez­-vous en
consacrant plus d’un milliard d’euros pour
soutenir les PME africaines. Au travers de
cette initiative, l’Agence française de
développement, la Banque publique
d’investissement ­ et je remercie les deux
dirigeants qui m’accompagnent ­ mais
aussi je le souhaite que les fonds
d’investissement privés français seront les
premiers partenaires des jeunes entreprises
africaines
. » En bon fan des start­-up, il vise
avant tout le secteur du numérique, avec le
« programme Digital Africa qui permettra
d’identifier les start­-up africaines les plus
prometteuses et accompagnera leur
croissance », mais cible également
« l’agriculture dont l’Afrique a
profondément besoin
 ». C’est le genre
d’argument dont raffolaient déjà les
partisans de la Nouvelle Alliance pour la
Souveraineté Alimentaire en Afrique
(NASAN) [3].
Emmanuel Macron s’inscrit de fait dans
la continuité des discours et pratiques du
quinquennat précédent : « Je veux que
l’Afrique soit une priorité de la diplomatie
économique française, que les entreprises
françaises investissent davantage en
Afrique, pas seulement les grands groupes
que vous connaissez mais aussi les PME, les
entrepreneurs
 ». Évidemment, il y a toujours
le couplet moral : « le soutien de l’Etat
français, indispensable et qui continuera à
leurs côtés, ne sera pas accordé sans
contrepartie En effet, je souhaite que les
entreprises françaises soient porteuses d’un
partenariat exemplaire, un partenariat
exemplaire qui refuse la corruption, qui se
plie aux appels d’offres, qui se plie aux
règles édictées par les institutions
africaines qui comme l’OHADA font
progresser la bonne gouvernance.
 »
L’OHADA, Organisation pour l’Harmonisa­tion en Afrique du Droit des Affaires, une
institution africaine... créée en 1993 à l’initia­tive de Paris et financée par la France pour
maintenir et renforcer son influence juri­dique face au droit des affaires anglo-saxons.
Et aussi le couplet visant les méchants
concurrents : « Cette exigence que j’aurai
pour la France, je veux que nous l’ayons
ensemble pour les investisseurs du monde
entier, pour tout le continent africain
 ».
Mais évidemment, sans donner de leçon...

A fond le business !

Même au sujet du sport, les visées
économiques n’étaient pas loin. Ainsi, après
avoir gentiment annoncé avoir « demandé
au Comité d’organisation des Jeux
olympiques de prévoir dès à présent un
plan pour permettre aux sportifs africains
de venir s’entraîner en France dans les
meilleures installations
 », en vue des JO de
Paris en 2024, Macron en est venu aux
choses sérieuses : « Je porterai dans les
prochaines semaines une initiative
rassemblant de grands acteurs du monde
sportif qui encouragera à la fois les
investissements dans le domaine des
équipements sportifs et les investissements
des sportifs dans l’économie africaine
 ». Ça
tombe bien, au vu de son étape au Ghana,
deux jours plus tard, comme l’a raconté la
Lettre du Continent (6/12) : « Si l’on doutait
de la volonté des autorités françaises de
faire de la jeunesse un formidable levier
pour le business, l’escale au Ghana, pays
où Air France vient d’inaugurer sa
première liaison, en a apporté la réponse.
Dominée par la thématique du sport, cette
étape a permis à Décathlon de monter une
pure opération de ’com’. Le 30 novembre
en fin d’après­-midi, dans les moiteurs de la
nuit tombante, Macron s’est rendu à
Jamestown, quartier populaire d’où sont
sortis de grands internationaux de football.
Le chef de l’État était attendu par les jeunes
d’une école, et devait visiter une salle de
boxe. L’événement a été organisé de bout
en bout par le groupe français spécialisé
dans les articles de sport, lequel a ouvert
son premier magasin à Accra en avril,
quelques mois après celui d’Abidjan
 ».
Promouvoir le développement par le sport,
ça pouvait surprendre, mais il parlait surtout
de développer de nouveaux marchés.

Langue de conquête

Pour Macron et ses conseillers, « si la
francophonie a un sens ­ et c’est le projet
qu’elle doit porter ­ c’est celui de permettre
à tous les étudiants francophones d’avoir
accès aux mêmes supports pour mener
leurs projets et leurs études
 ». Mais le but
n’est pas la généralisation des visas, c’est
plutôt de « donner accès à tous à une
bibliothèque numérique des savoirs et des
formations
 », via l’Agence universitaire de la
francophonie. Connaissant les difficultés
pour des étudiants ou même des
bibliothèques universitaires pour se
procurer des livres, dans de nombreux pays
d’Afrique, on peut être séduit. Mais la
Francophonie reste un instrument
d’influence pour la France, un outil de soft
power, dont le gentillet « rayonnement »
permet à Paris de mieux peser au plan
international. Macron le sait, et cherche à le
revendiquer ; tout en prétendant ne pas
donner de leçons, le champ lexical devient
étrangement directif : « je veux que vous
ayez conscience de cela
 », « Soyez­-en fiers »,
« je vous le dis très simplement, faîtes le vivre, ne la regardez pas comme une langue que certains voudraient ramener à une histoire traumatique, elle n’est pas que
cela
 », « elle n’est déjà plus seulement
française, elle est déjà la vôtre, alors
portez­-la avec fierté !
 ». Et Macron, même
s’il prétend que « ce n’est pas la
francophonie française, non, elle a depuis
bien longtemps échappé à la France
 »,
d’asséner : « Je veux une francophonie
forte, rayonnante, qui illumine, qui
conquiert parce que ce sera la vôtre,
portez­-la avec fierté cette francophonie,
défendez­-la, mettez­-y vos mots, mettez­-y vos
expressions, transformez­-la, changez­-la à
votre tour !
 ».
Mais l’écrivain camerounais Mongo Beti
l’avait dit : « Une langue ne s’impose pas par
la force. Une langue s’impose parce qu’elle
est le champ où s’expriment les libertés
 » [4].
Et ce que n’a pas voulu comprendre le
Professeur Macron, c’est que pour une large
frange de la jeunesse africaine francophone
à laquelle il prétendait s’adresser, le
rayonnement de la France via une
Organisation
Internationale
de
la
Francophonie discréditée est synonyme de
Françafrique [5]. Cette dernière se caractérise
toujours par des mécanismes institutionnels
(le soutien aux régime illégitimes, la
présence militaire française, le franc CFA,
etc.), au sujet desquels les silences de son
discours sonnent telle une insulte.

Silences coupables

Quelques semaines après la violente
répression des manifestations au Togo, et
alors que les Gabonais et les Congolais
tentent toujours de dénoncer l’illégitimité
d’Ali Bongo et de Sassou Nguesso,
Emmanuel Macron était évidemment
attendu sur le soutien multiforme de la
France aux vieilles dictatures françafricaines.
Mais il a tout aussi évidemment éludé le
sujet en prétendant éviter toute ingérence :
« je ne vous donnerai pas de leçon. Le
président de la République française n’a
pas à expliquer dans un pays africain
comment on organise la Constitution,
comment on organise des élections ou la
vie libre de l’opposition
 ». Et, selon sa
logique, il n’a donc pas à dénoncer une
répression que sa diplomatie condamne
pourtant rapidement quand c’est sur un
autre continent, du moins hors de la sphère
d’influence française. A l’instar de François
Hollande en novembre 2014, il s’est
contenté d’un propos général, qui ne mange
pas de pain : « j’ai une seule certitude, que
le
changement,
le
renouveau
générationnel dans un continent dont 70 %
de la population a moins de 30 ans, ce n’est
pas une option, c’est une loi
mathématique
 ». Et lorsque les vieux
dictateurs s’accrochent, à l’aide de leur
armée et leur police formées et équipées
par la France ? « partout où cela ne sera pas
le cas, la France ne se privera pas d’un lien
direct avec la jeunesse, les universités, les
ONG, les entrepreneurs pour avec eux
construire l’avenir
 ». En d’autres termes, ce
que les services de coopération technique
des ambassades françaises font déjà... Par
contre, à l’occasion de son discours, il ne
s’est pas privé de rendre hommage au
dictateur tchadien Idriss Deby, au roi
marocain Mohammed VI, et même au
prince héritier d’Arabie Saoudite !

Africains coupables

Dès la première question des étudiants,
le président français a été interpellé au sujet
de l’élimination de Kadhafi en Libye.
L’occasion de se distancer du bilan de
Nicolas Sarkozy, en expliquant qu’il n’aurait
pas soutenu l’intervention de 2011,
responsable de l’effondrement du pays et de
la sous­-région. Mais il n’a pas présenté
d’excuses officielles de la France pour
autant. Pire, il a répondu à un autre étudiant
qui l’interpellait sur l’esclavage qui prospère
dans ce chaos, dans un élan paternaliste,
« Mais qui sont les passeurs ? Ce sont les
Africains mon ami !
 ». Ou comment
essentialiser discrètement un débat qui,
sinon, pourrait porter sur la politique
migratoire de la France et l’Union
européenne.
Surtout, cherchant à retrouver le soutien
d’une armée française qui a commencé à
douter de lui après des annonces de
restrictions budgétaires, Emmanuel Macron
s’est illustré par son soutien à l’opération
Serval menée au Mali en 2013­-2014,
soulignant que « l’armée française fait
partie des rares armées européennes qui a
(sic) la possibilité d’agir en si peu de
temps
 ». C’est, comme toujours, confondre
une cause et une solution : l’armée française
n’a de fait jamais vraiment quitté l’Afrique
francophone, en soutien à des proto­Etats
qui, de temps à autres, peuvent s’effondrer.

Sous vos applaudissements

Mais le commandant Macron l’a expliqué
aux Burkinabè : l’armée française est là
« pour protéger vos enfants, pour vous
aider et pour gagner cette bataille contre le
terrorisme
 ». L’exfiltration d’un dictateur
renversé par un peuple aux mains nues

n’était pas au programme de ce cours. Car le
seul sujet militaire qui importait,
officiellement, c’est la force du G5 Sahel :
« la France a apporté son soutien financier,
militaire, notre coopération est exemplaire
 ; nous avons aussi formé, organisé un état­
major maintenant intégré
 ». Le reste de la
coopération militaire (par exemple avec les
armées criminelles du Cameroun, du
Congo, du Gabon, du Tchad, du Togo, de
Djibouti, etc.) ou le maillage militaire des
bases françaises en Afrique n’intéressent pas
le Professeur Macron. D’ailleurs, quand lors
de la séquence de questions, une étudiante
critique le grand nombre de militaires
français au Burkina, la réponse est
cinglante : « vous ne devez qu’une seule
chose aux militaires français : les
applaudir !
 ».

Climatisation.... française

Un épisode lié à la climatisation a été
largement commenté, mais souvent de
travers. À l’étudiante qui demandait si ses
camarades et elle allaient pouvoir bénéficier
longtemps de la climatisation dans un amphi où la température est suffocante une partie de l’année, Emmanuel Macron a opposé avec un ricanement que c’était le confondre avec
le président burkinabè que de s’adresser à lui
sur ce sujet. Ne retenant que le lien avec la
centrale solaire de Zagtouli qu’il devait aller
inaugurer après son discours, il s’est contenté
de répondre que la France soutenait les
énergies renouvelables, avant d’humilier le
président du Faso en expliquant que c’était à
lui de s’occuper des universités burkinabè...
Le président Kaboré s’est alors levé et est
sorti de la salle, tandis que Macron lançait,
hilare, « Du coup, il est parti réparer la
climatisation !
 ».
A l’instar de nombre de commentateurs
de l’Hexagone, une journaliste française
présente sur place mais citée anonymement
par l’Obs (29/11) retient surtout le côté
décalé de la question : « c’est quand même
délirant qu’une étudiante burkinabée (sic)
lui parle de l’électricité de sa fac
 ». Sauf
que... toute mal posée qu’elle était, la
question moquait surtout le fait que
l’ambassade de France avait loué deux
énormes climatiseurs dans l’objectif de
rafraîchir l’amphi et d’éviter à son Jupiter de
baigner dans son jus pendant les deux heures
et demi de son show. Et ça, on peut
comprendre que cette étudiante ait voulu le
relever...
L’entourage du président Kaboré, pour
expliquer sa brutale sortie de la scène, a
rapidement fait savoir qu’il ne s’agissait que
d’une « pause technique »... pour se soulager
d’un besoin pressant. Selon l’Obs, preuve en
serait qu’il est revenu quelques minutes
après, et que son entourage n’avait pas quitté
la salle avec lui. Pour être aussi mesquin que
ce prétexte, on peut s’étonner que cela soit
tombé pile à ce moment­-là, alors qu’il aurait
été propice de le faire quelques minutes plus
tôt, entre la fin du discours et le début des
questions). Mais c’est faire trop d’honneur à
l’excuse, brandie pour expliquer qu’il n’y avait
pas de « crise diplomatique » par un pouvoir
burkinabè qui n’a actuellement ni les moyens
ni l’ambition de dénoncer l’attitude du
président français : la domination ultime
n’est­-elle pas celle qui est intégrée par le
dominé ? À l’humiliation par Macron a ainsi
succédé l’auto­-humiliation, pour ne pas
embarrasser le président français.

Mais c’est de l’humour

Quant à Macron, il a eu beau jeu, le
lendemain au micro de RFI et France 24, de
considérer la polémique « ridicule » et de la
balayer d’un argument 1000 fois entendu : le
trait d’humour, qui aurait d’ailleurs fait rire le
président burkinabè. « L’humour, c’est le
signe d’une relation d’égal à égal
 », s’est
ainsi défendu Macron, qui aime aussi faire des
blagounettes sur les Kwassa­-Kwassa
comoriens – l’égalité n’a décidément pas de
frontière. Et de tenter de rejeter l’accusation
sur ceux qui le critiquent : « Ce sont eux les
vrais paternalistes
 ». La posture est connue,
tant elle est partagée par les sexistes­-pas
sexistes et les racistes­-pas racistes [6] ... Car
remis dans son contexte, l’humour d’un
président français qui raille un président
d’Afrique francophone – d’une manière qu’il
ne se serait pas permise avec son homologue
canadien ou australien – est aussi neutre que
celui d’un ministre blanc qui prétendrait
rigoler avec une ouvrière noire ou arabe. Mais
évidemment, ce sont ceux qui rappellent que
l’existence multiséculaire d’une relation de
domination change la donne en terme
d’humour en public, qui seraient coupables
de chercher à la prolonger.

CFA, « non-sujet »... tabou

Au lendemain du discours de Macron,
l’économiste Kako Nubukpo résumait dans
une tribune (Le Monde Afrique, 29/11) qui
allait lui coûter son poste à l’OIF : « Le franc
CFA fait couler beaucoup d’encre, et ce,
depuis longtemps, avec une accélération et
une tension sans précédent depuis quelques
mois. On était donc en droit de s’attendre
de la part de M. Macron, dans le cadre
d’un discours à une jeunesse africaine
préoccupée à juste titre par son avenir, à
des propos structurés, réfléchis et fortement
argumentés sur sa vision de l’avenir de
cette monnaie, à l’intérieur même de son
discours. Mal nous en a pris, car de franc
CFA, il ne fut guère question
. » C’est
seulement en réponse à une question,
malheureusement suffisamment mal posée
pour que le président français ne soit pas
pris en défaut, que le locataire de l’Élysée a
daigné évoquer le sujet. Mais cela a
commencé par une nouvelle humiliation : le
professeur Macron n’a rien trouvé de mieux
que de demander à la salle qui faisait des
études d’économie ou de finances avant de
lâcher avec dédain, faussement surpris du
faible nombre de mains levées à son goût,
« mais vous êtes en quoi, alors ? ».
S’en est suivi un récit des poncifs
habituels sur le franc CFA, dans une approche
évidemment technique, évacuant toute
dimension politique. Sur la question de la
souveraineté, il s’est contenté d’expliquer que
tout chef d’État de la zone franc peut décider
d’en sortir – ce à quoi la foule d’étudiants a
répondu en scandant « Prési ! Prési ! »,
comme pour prendre au mot cette
affirmation en demandant au président du
Faso de quitter cette monnaie néocoloniale.
Sur Twitter, l’économiste sénégalais Ndongo
Sylla a trouvé la bonne formule
, résumant :
«  La question est plutôt : pourquoi la France
ne sort­-elle pas du Franc CFA ?
 ».
De fait, le discours-­fleuve de Ouaga est
venu illustrer, si on en doutait encore, que
la France n’abandonnera sous Macron aucun
des piliers institutionnels par lesquels la
France maintient et défend son influence
dans son ancien pré­ carré, tout en lorgnant
sur les nouveaux marchés. Même la posture,
une humilité feinte et une reconnaissance à
demi­-mot de certains crimes néocoloniaux,
n’a hélas pas grand­-chose de nouveau.
Après la « Françafrique décomplexée » de
Nicolas Sarkozy, après la « Françafrique
normalisée » de François Hollande, celui qui
prétend depuis des mois faire du neuf avec
du vieux, n’a rien d’autre à proposer qu’une
sorte de Françafrique ripolinée.

Lèse-Majesté

« Le franc CFA est un non­sujet pour la
France
 », osait Emmanuel Macron lors de
son One­-man­-show. L’économiste togolais
Kako Nubukpo vient d’en faire à nouveau
l’amère expérience. Crime de lèse­
Françafrique, il s’est permis, dans une
tribune au Monde Afrique (29/11) de
reprendre le Professeur Macron sur le sujet
en montrant en quoi son analyse était
« imprécise et caricaturale » et ses propos
« déshonorants pour les dirigeants
africains
 ». Moins d’une semaine plus tard,
le détracteur de la « servitude monétaire »,
dont les positions politiques étaient
pourtant connues, se voyaient pousser hors
de l’Organisation internationale de la
francophonie, où il occupait le poste de
directeur de la Francophonie économique
et numérique. Selon Jeune Afrique (08/12),
le président ivoirien Alassane Ouattara,
fervent défenseur du CFA, avait déjà
réclamé sa tête en septembre dernier.
Circonstance aggravante, l’économiste
engagé s’en était également pris au
chouchou des autorités françaises, l’homme
d’affaire franco­-béninois Lionel Zinsou, qu’il
avait qualifié de « symbole même de la
servitude volontaire
 ». Aujourd’hui à la tête
du think tank libéral Terra nova et président
d’AfricaFrance, fondation soutenue par le
Quai d’Orsay et le MEDEF, Zinsou semble
en effet vouloir briguer la succession de
Michaëlle Jean à la tête de l’OIF, faute
d’avoir pu devenir président du Bénin...

[1Il est possible de retrouver l’intégralité du discours d’Emmanuel Macron sur le site de l’Elysée : la retranscription est ICI, l’enregistrement vidéo LÀ. Mais il est essentiel de se reporter également à l’enregistrement vidéo des questions et des réponses, ICI.

[2Voir Thomas Noirot, « Quand la France doit
redécouvrir l’Afrique...
 », Billets d’Afrique n°231,
janvier 2014

[3Voir Alice Primo et Yanis Thomas, « Nourrir les
requins pour faire reculer la faim ?
 », Billets d’Afrique
n°226, juillet­-août 2013.

[4Mongo Beti parle, ed. Bayreuth African Studies
(2002), réédité par Homnisphères (2006).

[5NDLR : C’est d’ailleurs ce que l’écrivain Alain Mabanckou a rappelé le 15 janvier 2018 dans sa lettre ouverte à Emmanuel Macron

[6Lire à ce sujet Françoise Vergès, « Comme Michel Leeb, les racistes non racistes refusent de comprendre
ce qu’est le racisme
 », Le Monde, 13/12/2017

Soutenez l'action en justice contre Total !
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi