Survie

Kanaky / Nouvelle-Calédonie le pays où il ferait bon vivre sous la tutelle de la France

rédigé le 10 avril 2018 (mis en ligne le 29 octobre 2018) - Gérard Moreau

Derrière les bons chiffres apparents de l’économie calédonienne se cachent des inégalités profondes au détriment des Kanaks, liées à la situation coloniale.

Les années 2000, un âge d’or ?

Dans sa conclusion, le dernier rapport Cerom [1] sur l’économie calédonienne évoque la période avec enthousiasme : « La période 2000-2012 peut, avec le recul, être vue comme un âge d’or pour l’économie calédonienne. Politiquement stable, dopée par des investissements industriels massifs et portée par des prix du nickel globalement élevés, la période a permis le rattrapage de l’économie calédonienne en termes de [Produit intérieur Brut (PIB)] par habitant, d’infrastructures et de protection sociale notamment ». Quant à l’avenir, les auteurs restent beaucoup plus modestes : « Dans la période à venir, la Nouvelle-Calédonie ne devrait pas retrouver les taux de croissance de l’âge d’or passé (...) Néanmoins les fondamentaux restent toujours favorables. »

Il est vrai que certains chiffres présentés dans ce rapport décrivent une situation économique florissante : un salaire médian de 1927 euros mensuels en 2011 (alors que celui de la métropole était alors de 1630 euros selon l’Insee) ! Un PIB par habitant supérieur à celui des Pays de la Loire ! Un taux de croissance qui se stabilise à plus de 3% ! La Nouvelle-Calédonie, sous tutelle de la France serait-elle un modèle de réussite économique et sociale ?

Des disparités violentes

Il s’avère que les indicateurs chers aux économistes masquent des réalités moins brillantes. Le même rapport du Cerom évoque l’indice « big mac » qui sert à évaluer le rapport entre revenus et coût de la vie : « En considérant cet indicateur, le niveau moyen des prix en Nouvelle-Calédonie était, en 2017, de 24 % supérieur à celui de la zone euro ». En effet à Nouméa, il faut sortir 2000 francs CFP - 16 euros - pour acheter une pizza, ce qui n’est pas à la portée de tout le monde.

Chômage, taux de pauvreté, état sanitaire, voici une série d’autres indicateurs qui en disent long sur la réalité quotidienne des Kanaks. En 2009, 55 % des Kanaks de 15‑64 ans sont sans emploi, alors que ce taux descend à 34 % pour les non Kanaks [2]. En 2008, le taux de pauvreté (au seuil de 50 % du revenu médian) est à 9 % en province Sud (là où les Kanaks sont minoritaires), 35 % en Province Nord, 52 % aux Îles Loyauté [3]. Selon le baromètre santé 2015 de l’agence sanitaire et sociale, le surpoids touche 67 % de la population, qui compte 38% d’obèses. Il est bien connu que l’obésité touche d’abord les plus pauvres. Une étude de l’agence sanitaire montre que les enfants Kanaks sont trois fois plus touchés par ce fléau que les enfants d’origine européenne et asiatique.

La pauvreté, « maladie de civilisation » ?

La série des calamités qui frappent la partie Kanak de la population ne s’arrête pas là. Plus de 150 années de colonisation, l’accaparement des terres, la transplantation des populations et la logique de colonie de peuplement ont déstructuré la société historique, sans construire un autre avenir que les petits salaires ou le chômage. Une situation qui fait penser à celles des Indiens d’Amérique du Nord chassés de leurs terres et confinés dans des réserves…

Les conséquences se payent cher en termes de santé et de statut social. Avec l’obésité survient par exemple le diabète. Un rapport de 2016 annonce 13 000 personnes détectées et suivies, soit 5 % de la population [4]. Sur les 260 000 habitants de Nouvelle-Calédonie 47 217 (18 %) souffrent de Longue Maladie…

La lecture du dossier « Panorama du Diabète en Nouvelle Calédonie » publié en 2012 par l’Agence Sanitaire et Sociale donne une version cynique de l’origine de cette situation. Sous le titre : « Origine de l’épidémie de Diabète en Nouvelle Calédonie » le rapport évoque une « Mutation économico-culturelle sans précédent : l’exploitation intensive du nickel a permis une augmentation très rapide des revenus, des importations massives de produits occidentaux, et en conséquence, une modification radicale du mode de vie. L’abondance et l’évolution technologique sont responsables de la pandémie actuelle. Le diabète de type 2 est une "maladie de civilisation" » (sic). C’est bien connu, la colonisation est un phénomène d’exportation de la civilisation… et malheur à ceux qui souffrent des dégâts collatéraux.

Dernier exemple de disparité criante, la prison. Dans son rapport de 2011, le contrôleur général des lieux de privation de liberté donne un effectif de personnes détenues de 454 personnes. Et précise qu’entre le 1er janvier 2006 et le 1er octobre 2011, l’effectif a crû de plus de 70 %. Le taux de personnes sous écrou en Nouvelle-Calédonie est de l’ordre de 192 pour 100 000 habitants quand le même taux pour la France entière est de 103 pour 100 000 habitants au 1er janvier 2011. Le contrôleur estime que « les conditions d’existence des personnes détenues au centre pénitentiaire de Nouméa constituent une violation grave de leur dignité et de leurs droits fondamentaux ». Et qui sont ces détenus ? Selon la Ligue des droits de l’Homme de Nouvelle-Calédonie et l’Observatoire International des Prisons, l’écrasante majorité des détenus sont des jeunes Kanaks…

Bref, le moins qu’on puisse dire est que la tutelle française ne profite pas à tous ! Mieux vaut être descendant de colon que d’origine Kanak. Les faits sont là. Les forces qui tiennent tant à la mainmise sur l’île de la métropole coloniale poursuivent d’autres buts que le bien-être des Kanaks.

[1Comptes Économiques Rapides pour l’Outre-Mer, qui a pour partenaires : L’Institut National de la Statistique et des Études Économiques, l’Agence Française de Développement, l’Institut d’Émission d’Outre-Mer, l’Institut d’Émission des Départements d’Outre-Mer, l’Institut de Statistique de Polynésie française, le Service du Plan et de la Prévision Économique de Polynésie française, l’Institut de la Statistique et des Études Économiques de Nouvelle-Calédonie. Voir : http://www.cerom-outremer.org

[2Catherine Ris, « Les inégalités ethniques dans l’accès à l’emploi en Nouvelle‑Calédonie », Économie et statistique n°464-465-466, 2013

[3Institut de la Statistique et des Études Économiques (ISEE), « 53 000 personnes sous le seuil de pauvreté », Synthèse N°23, Janvier 2012

[4Programme diabète 2012-2016, Agence Sanitaire et Sociale

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 276 - avril 2018
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