« La France doit tenir son rang. Elle doit faire entendre sa voix. Elle doit être en mesure d’intervenir partout où ses intérêts sont menacés, partout où la stabilité internationale est en jeu. » La présentation de la nouvelle loi de programmation militaire (LPM) par la ministre des Armées [1] n’a rien d’originale. Si l’affirmation selon laquelle la France « sera capable de l’emporter quel que soit le terrain, l’adversaire ou les conditions » relève du « délire guerrier », comme l’a relevé Le Canard enchaîné (28/03), il s’agit en revanche de maintenir les objectifs fixés par le Livre blanc de 2013, soit la capacité à intervenir simultanément sur trois théâtres d’opérations majeurs de manière autonome ou dans le cadre de coalitions. Soit un déploiement possible de 15 000 hommes des forces terrestres et le maintien d’une force interarmées de réaction immédiate (FIRI) de 2 300 hommes.
Outre le renouvellement des matériels de guerre, les investissements nouveaux, l’accroissement des moyens aériens, le développement des forces spéciales et du renseignement, certaines mesures visant à faciliter l’activité des forces françaises en opex, notamment dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » au Sahel, ne sont pas de nature à rassurer. Ainsi, « pour identifier l’ennemi qui se fond dans la population [3] » l’article 23 autorise-t-il les militaires à procéder à des prélèvements salivaires en vue de constituer un fichage génétique des personnes constituant une « menace pour la sécurité des forces ou des populations civiles » [4]. Le prélèvement n’était jusqu’à présent autorisé que pour les personnes tuées ou capturées. « Cette extension du champ d’application des relevés ne présente pas de risques de dérives » [5][en gras dans le texte], assure-t-on. Nul doute que cette mesure va puissamment contribuer à améliorer les relations des populations locales avec nos troupes, lesquelles ne sont bien sûr jamais perçues comme des forces d’occupation, si l’on en croit les autorités politiques et militaires. En outre, le maintien (et le renforcement) des bases militaires en Afrique trouve de nouvelles justifications : l’ouverture aux partenaires européens et l’augmentation du nombre de formations dispensées aux « militaires de Nations partenaires et alliées » [6].
Conformément à la promesse électorale de Macron, la loi de programmation militaire prévoit de porter progressivement le budget des armées à 2 % du PIB (cf. Billets n°269, juillet 2017). Certains officiers n’ont toutefois pas manqué de couiner, via certains journalistes spécialisés défense, que la hausse promise était en partie en trompe-l’œil (cf. par exemple Le Canard enchaîné, 14/02). Le surcoût non budgétisé des Opex était en effet depuis plusieurs années absorbé par des financements inter-ministériels. Or la LPM prévoit une augmentation progressive de la dotation initiale, de 450 millions d’euros actuellement à 850 en 2019 et 1,1 milliard en 2020. Le surcoût (le milliard est largement dépassé chaque année) restera couvert « par financement interministériel au titre de la solidarité gouvernementale ». Mais si l’armée paye l’essentiel de ses Opex, où va-t-on ?, s’indignent certains officiers. Au chapitre économique, notons la création d’un « budget spécifique pour le soutien aux exportations d’armement (SOUTEX) », soit 400 postes pour « une nouvelle mission qui échoit aux armées et n’avait jamais été reconnue en tant que telle » [8]. Le texte ne précise pas si les militaires seront intéressés aux commissions et rétro-commissions qui accompagnent les contrats d’armement…
Raphaël Granvaud
[1] Audition devant la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat, 20/02.
[2] Avis fait au nom de la commission des Affaires étrangères, par Mme Laetitia Saint-Paul, 07/03
[3] ibid.
[4] Projet de loi de programmation militaire 2019 / 2025
[5] Avis de Mme Laetitia Saint-Paul,op.cit.
[6] Rapport annexé au projet de loi de programmation militaire.
[7] Avis de Mme Laetitia Saint-Paul, op.cit.
[8] ibid.