Survie

La farce démocratique tchadienne

rédigé le 1er juin 2018 (mis en ligne le 1er avril 2020) - Claire Petit

« Je me suis réveillée ce matin en 4ème république, et alors ? » pouvait-on lire sur les réseaux sociaux tchadiens au lendemain de la promulgation des modifications de la Constitution le 4 mai dernier. Selon l’adage tchadien, « cabri mort n’a pas peur du couteau », résumant le sentiment général d’une population fatiguée de changements qui ne font qu’officialiser des pratiques et rapports de force quotidiens.

Cette nouvelle constitution prévoit de nombreux mécanismes de renforcement du pouvoir actuel. Ainsi, le mandat présidentiel passera de cinq ans et sans limitation actuellement à six ans renouvelable une fois. Les compteurs de Déby seraient ainsi remis à zéro à l’issue de son cinquuième mandat en 2021, lui permettant techniquement de rester au pouvoir jusqu’en 2033. Assez pour préparer sa succession.
Par ailleurs, la Cour des comptes, le Conseil constitutionnel et la Haute cour de justice se fondent au sein de la Cour suprême. L’autonomie, déjà relative, de ces trois entités devient dépendante de la seule décision d’une cour dont le président, et cinq de ses membres (sur douze) sont nommés par le Président de la République.
On assiste également à la suppression des postes de sous-préfets et de commandants de brigades au profit du renforcement des autorités traditionnelles via la création d’une instance supérieure des chefferies. C’est un retour au temps des grands empires lorsque la fidélité des chefs vassaux au chef suprême garantissait le seul équilibre du pouvoir.
Enfin, la fonction de premier ministre est tout simplement supprimée. Idriss Deby nommera lui-même les membres de son gouvernement à qui il déléguera certains de ses pouvoirs. C’est finalement la légitimation d’un système de gouvernance basée de manière discrétionnaire sur la révocation et la cooptation qui est aujourd’hui constitutionnellement justifiée. L’adoption d’un régime présidentiel intégral dans un système où l’impunité du pouvoir règne laisse quelque peu dubitatif.

Un processus sous contrôle

Le « Forum national inclusif » ayant préparé cette nouvelle constitution ne relevait en rien d’une grande messe de «  toutes les composantes des forces vives de la nation [1] », comme se plaisait à l’imager l’ex-Premier ministre Pahimi Padacke Albert dans son discours d’ouverture.
La préparation des débats fut confiée au Haut Comité chargé des Réformes Institutionnelles (HCRI), directement sous l’autorité du Premier ministre, et ceci dans une grande opacité. Le forum regroupait des membres de la société civile, des politiques, des religieux, soigneusement sélectionnés selon leur fidélité au pouvoir. Pourtant, si, selon les mots du président, « aucun point de vue n’a été imposé aux participants, seul l’art du compromis a été la règle d’or de ces retrouvailles fraternelles [2] », certains groupes ont rapidement claqué la porte du forum dénonçant des discussions unilatérales. Des regroupements politiques tel que le FONAC [3], des syndicalistes comme l’Union des journalistes tchadiens ou des membres de la société civile, à l’exemple du mouvement Iyina, ont dénoncé la tenue du forum. Les discussions, retransmises en partie à la télévision nationale et sur Facebook semblaient tenir plus du simulacre que du débat réel.

Une adhésion confisquée

Ces modifications constitutionnelles ont été adoptées par des députés à la légitimité contestable puisque leur fin de mandat était initialement fixée à 2015, et fut prolongée jusqu’en juin 2017 [4]. Qui plus est, au regard de la loi tchadienne, cette adoption pose question, puisque la Constitution prévoyait que toute révision soit « approuvée par référendum ». Or il n’a été nullement question de référendum, mais d’un vote à huis clos, boycotté par les 33 députés de l’opposition, non sans avoir porté devant le Conseil constitutionnel, sans succès, un recours en annulation [5]. Les forces de l’ordre quadrillaient l’Assemblée nationale le jour du vote, tandis que deux opposants de la société civile appelant à manifester étaient emprisonnés. L’appel de la conférence épiscopale du Tchad (CET) pour une adoption par référendum de la nouvelle constitution fut suivie d’une salve de récriminations de la part du gouvernement arguant du fait que seul le président est habilité à décider de la tenue d’un référendum [6].

Congruence internationale

Le processus de réformes engagé, bien qu’illégitime voir illégal a reçu à l’international les bénédictins de l’ONU par la voix de l’ancien premier ministre guinéen, l’Ambassadeur François Loceny Fall, représentant spécial en Afrique Centrale de l’ONU [7].
La France, alliée et soutien indéfectible de l’autocrate tchadien, quant à elle, n’a dit mot. Les députés français de la Commission des affaires étrangères Jacques Maire et Amal-Amélia Lakrafi (par ailleurs administratrice de l’AFD) étaient présents au Tchad au moment de la modification constitutionnelle. Chargés de présenter l’initiative parlementaire sur l’Alliance Sahel et de remettre au Président de l’Assemblée nationale tchadienne une lettre d’invitation de son homologue français, ils se sont abstenus de toute déclaration publique. L’ambassadeur français n’a pas semblé plus dérangé quelques jours plus tôt, lors de la cérémonie officielle de remise de matériels militaires français aux forces armées tchadiennes rappelant plutôt « l’excellence de la coopération entre la France et le Tchad dans le domaine de la sécurité et de la défense et les liens étroits qui unissent nos deux pays depuis plus de cent ans. » [8].
En lieu et place d’un changement historique, comme le présente Déby, on assiste plutôt à la reproduction et la stabilisation d’un système de gouvernance dictatorial qui vient de définitivement craquer son vernis démocratique, sous les applaudissements au nom de la lutte contre le terrorisme de la communauté internationale. Un jeu de dupes ne se joue jamais seul.
Claire Petit

[1« Le Forum des reformes des institutions de l’Etat est ouvert », Le pays Tchad, 19 mars 2018.

[2Discours de clôture du chef de l’Etat au forum national inclusif, 27 mars 2018, disponible sur le site de la présidence tchadienne.

[3Voir également le communiqué de presse de trois groupes de l’opposition. « Communiqué de presse CAD-CCPPOD-CPDC. Non aux manœuvres de divertissement », N’Djamena 18 décembre 2017.

[4Mandat prolongé au motif de l’incapacité de l’Etat à subvenir au financement de la campagne législative. Voir « Tchad : Idriss Déby Itno reporte la tenue des élections législatives « par manque de moyens », Jeune Afrique, 3 Février 2017. On s’interroge alors sur les sources du financement du forum national inclusif qui aurait couté 9 milliards FCFA selon certains. Voir Masbé Ndengar « Forum inclusif la 4eme république ou les 42 ans de pouvoir de Idriss Deby », blog Tchad révolution, 23 mars 2018

[5Lettre du député Madtoingue Benelgnar et autres au conseil constitution, N’Djamena 30 avril 2018 disponible sur le tchadanthropus-tribune.com

[6« Au Tchad les évêques demandent un référendum pour l’adoption de la nouvelle constitution » La Croix, 19 avril 2018.

[7« L’ONU félicite le Tchad pour le processus de réforme et déplore l’absence de l’opposition » Alwhida Info, 18 avril 2018.

[8Voir le site de l’ambassade de France au Tchad.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 278 - juin 2018
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