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Congo-Brazzaville : "Arracher chaque parcelle de liberté"

rédigé le 7 septembre 2018 (mis en ligne le 12 octobre 2018) - Guer2mo

Invité au festival de cinéma de Douarnenez consacré aux peuples des Congos, Guer2mo, de son vrai nom Guerschom Gobouang, artiviste, artiste slameur, y représentait le mouvement citoyen Ras-le-bol au sein duquel il est responsable stratégie et organisation. Nous retranscrivons ici une partie de l’interview donnée à une radio locale.

Rappel des faits

Au Congo-Brazzaville, Denis Sassou N’Guesso est à la tête d’un régime dictatorial depuis 1979, à l’exception d’une parenthèse démocratique de 1991 à 1997 à laquelle il mettra fin en reprenant violemment le pouvoir. Sa réinstallation dans le sang est suivie d’une guerre civile de 1997 à 1999 (et 2003 dans la région du Pool), orchestrée par son clan et ses soutiens françafricains, notamment l’entreprise Elf. En 2015, après plusieurs élections truquées, Sassou décide de modifier la Constitution, par référendum, pour pouvoir se représenter à un 3e mandat. Ce référendum suscite une opposition populaire massive dans le pays, violemment réprimée. La France maintient pourtant son soutien politique et militaire à Sassou, notamment à travers de nouvelles conventions de coopération militaire signées en 2015. Le référendum est bien entendu remporté par Sassou et il est réélu à la présidence en mars 2016. Depuis, la répression se poursuit, dans la région du Pool principalement et envers la société civile et les opposants politiques.

Guer2mo, peux-tu nous présenter le mouvement Ras-le-bol ?

Le mouvement citoyen Ras-le-bol est un mouvement pacifique, non-violent, qui se définit comme une force de pression et de proposition pour que les gouvernants agissent dans le sens des intérêts des gouvernés. Pour en arriver là, il faut des gouvernants démocratiquement élus, qui écoutent, qui acceptent que ces luttes et ces forces de pression existent et peuvent les contraindre à agir dans un sens qu’ils ne veulent pas. C’est pourquoi le combat que nous portons aujourd’hui, ici et maintenant c’est celui pour l’alternance démocratique, pour un changement de régime à la tête de l’Etat.

Peux-tu nous en dire plus sur la situation actuelle au Congo-Brazzaville ?

Avec le changement de la Constitution en 2015, Sassou N’Guesso a été réélu à l’élection présidentielle en mars 2016 et depuis la répression est très importante. Dans la région du Pool en particulier, c’est très compliqué et même à Brazzaville c’est difficile de savoir vraiment ce qu’il s’y passe. La région du Pool est visée par la répression de façon permanente depuis 1997, et la guerre civile y a duré jusqu’en 2003. Le jour même où les résultats de l’élection présidentielle de 2016 devaient être validés par la Cour constitutionnelle, on nous dit que Brazzaville est attaquée et une heure après des hélicoptères commencent à bombarder le département du Pool. Une enquête parle de 180 000 déplacés, plus de 400 villages détruits, or on vient d’amnistier le pasteur Ntumi [1] suite à la signature de l’accord de paix fin 2017. Dans le même temps, quelques mois après, Jean-Marie Michel Mokoko est condamné à 20 ans de prison, pour la seule raison qu’il était un solide candidat à l’élection présidentielle, opposé à Sassou. Il y a eu des milliers de morts, des familles qui cherchent encore leurs enfants, or on ne sait même pas pourquoi il y a eu cette guerre dans le Pool. Les accords de paix prévoient une politique de désarmement, démobilisation et réinsertion des anciens combattants. Mais il faudrait au moins qu’il y ait un peu de justice, une enquête indépendante pour connaître le nombre de morts, pour comprendre ce qu’il s’est passé. Si rien n’est fait, on peut craindre que le département soit à nouveau bombardé en 2021 ou 2026 lors des prochaines élections.

Qu’en est-il de la situation économique ?

Il y a un sérieux problème de gouvernance au Congo-Brazzaville, c’est plus grave que de la corruption, c’est un système mafieux mis en place avec le dictateur pour que lui et les entreprises internationales puissent s’accaparer les richesses nationales. Le problème est identifié. Dans le projet de loi de finances 2018, il n’y a aucun revenu d’exploitation forestière, alors qu’on sait bien que le bois de nos forêts est coupé et exporté tous les jours, en dépit de l’image écologique que veut donner Sassou et alors qu’on manque de tables et de bancs dans les écoles. On sait aussi que le Congo exploite de l’or, du fer. Mais ces ressources ne sont même pas mentionnées dans notre budget. Par contre il prévoit des ressources fiscales à hauteur de 50% et 48% de ressources pétrolières. Est-ce que vous voyez l’arnaque ? Cela signifie 98% de dépendance au pétrole, et si les autres ressources n’apparaissent nulle part, c’est parce que la famille du dictateur se les est accaparées. C’est un crime économique perpétré depuis plus de 20 ans. Il faut aussi savoir qu’un petit Etat comme le Congo-Brazzaville, qui est un Etat en faillite, avec une dette intérieure et extérieure colossale, a pour deuxième priorité budgétaire l’armement auquel 12% du budget sont consacrés. Par ailleurs la loi de finances prévoit 17,44% du budget au remboursement de la dette extérieure, c’est le premier poste budgétaire, dont 40% pour le fonctionnement du ministère des finances, notamment pour payer des consultants extérieurs comme Dominique Strass-Kahn et la banque Lazare. Il y a des gros problèmes structurels qu’il faut revoir. Au-delà des luttes quotidiennes comme l’alternance, la lutte contre la corruption, la transparence des industries extractives, la transparence dans l’usage des deniers publics, c’est aussi le modèle capitaliste qu’il faudra repenser à terme. Il faut réfléchir à d’autres systèmes, on ne peut pas répéter chez nous ce qui échoue ailleurs.

Le mouvement Ras-le-bol a fait le choix de la lutte pacifique, dans un contexte pourtant extrêmement violent. Quels sont vos moyens d’action ?

Face à des milices armées et des Etats garnison, comme au Congo-Brazzaville où nous avons un régime totalitaire, militaire et tribal, il faut une réponse organisée. Ce qu’il faut d’abord savoir c’est que Ras-le-bol a été créé par des artistes, et notre moyen d’action principal est donc de nous exprimer, sur scène. La scène est un endroit convivial, par essence non-violent. Nos textes parlent de démocratie, d’alternance, de lutte quotidienne et nous le disons sans aucune violence. On dit juste qu’il y a des choses qui doivent changer, et pour que cela change nous devons devenir plus regardants sur la manière dont sont gérées les affaires qui nous concernent tous.

Concrètement comment vous mobilisez-vous ? Et quelles en sont les conséquences en termes de répression ?

La première manifestation de Ras-le-bol était une marche à Brazzaville pour dire non au référendum pour le changement de constitution. On a commencé la marche à 10, dans un quartier populaire de Brazzaville, et il y avait plus de pancartes que de personnes. Mais plus on marchait, plus il y avait de gens qui s’ajoutaient. On est devenus des centaines. Les gendarmes qui encadraient la marche au début se sont sentis débordés et ont appelé leur hiérarchie. Ils nous ont mis dans un guet-apens, une impasse. Ils ont tiré, ils ont arrêté 6 personnes de notre mouvement, et ça c’était le premier épisode. Tout récemment on a fait une campagne d’affichage pour dire « Non aux procès politiques, libérez les prisonniers politiques ». On a créé une affiche avec une vingtaine de prisonniers politiques (pas tous car on n’aurait pas pu mettre 92 personnes sur une feuille A3). Comme commençait le procès de certains candidats à la présidentielle (notamment Jean-Marie Michel Mokoko), on a décidé de faire cette campagne pour informer les populations congolaises que des candidats, des journalistes, des blogueurs, étaient injustement incarcérés et sur le point d’être jugés. Les gens passaient et regardaient, mais cette campagne n’a même pas duré 2 jours avant que 7 ou 8 activistes qui affichaient dans le centre ville soient arrêtés. Juste après, on a eu des demandes pour lancer le mouvement citoyen en dehors de Brazzaville et Pointe-Noire. En rentrant de cette tournée, j’ai eu une vague de menaces, un agent des services de renseignement est venu à mon spectacle de slam pour me dire que je faisais de l’incitation à la révolte. Actuellement nous préparons le projet « 10 000 plaintes contre l’Etat » : nous voulons récolter 10 000 plaintes auprès de citoyens congolais, en faisant du porte à porte, dans différentes villes du pays.

Comment continuer à mobiliser compte tenu de la répression ?

Frantz Fanon dit que chaque génération a une mission, à elle de choisir si elle va l’accomplir ou la trahir. Le message que nous portons a de l’écho auprès d’autres jeunes qui vivent la même réalité que nous. Très nombreux sont ceux qui ne travaillent pas, ils savent que la précarité, la mal gouvernance, sont des questions réelles, on a même pas besoin de le leur dire. Mais il y a quelque chose d’incroyable : plus on nous arrête, plus on a d’adhérents. Notre message se suffit à lui-même, alors nous continuons à le dire et le redire, à nous battre, tant que les lignes ne bougent pas, pour arracher chaque parcelle de liberté.

Des mouvements citoyens se renforcent dans beaucoup de pays d’Afrique. Comment vous organisez-vous ?

Nous revenons de Dakar où on a mis en place une plateforme réunissant de nombreux mouvements citoyens d’Afrique. [2] On était une vingtaine de pays représentés (sans les mouvements d’Afrique du Nord malheureusement). Les objectifs de cette plateforme sont que les luttes qui se mènent dans chaque pays soient plus connues, sortent sur la place publique, pour que l’on puisse se soutenir les uns les autres lorsque certains mouvements font l’objet de menaces, d’arrestations. Nous voulons aussi montrer à l’Union africaine, ce club des dictateurs, que les valeurs des mouvements citoyens sont panafricanistes, et la forcer à revoir sa façon de penser l’Afrique.

Venons-en maintenant à la position de la France. Comment est-elle perçue au Congo-Brazzaville ?

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en 1992 il y a un élan de démocratie en Afrique avec les conférences nationales. Sassou doit alors céder le pouvoir à Pascal Lissouba. En 1997 on bascule dans une guerre civile financée par Elf et Sassou revient au pouvoir. La guerre civile dure 5 ans dans le département du Pool. On sait donc qu’il y a un soutien permanent de la France à Sassou puisque c’est elle qui l’a ramené au pouvoir.

Lors du changement de la Constitution en 2015, comment a été vécue la position française ?

Juste après la première marche pacifique contre le changement de constitution, on a créé une coalition de partis et d’associations opposés à ce changement. C’était une union de fait, car on sait que les partis politiques retournent ensuite à leurs magouilles. On a tenu 4 jours, jusqu’à ce que le président français dise que Sassou avait le droit de consulter son peuple, laissant entendre qu’il avait le droit de changer la Constitution. Cette phrase a été affichée partout et a été utilisée comme argument de campagne, pour montrer que la France était derrière le dictateur. Sur le terrain, quand on a entendu Hollande, on s’est dit qu’on allait quand même essayer de mobiliser et qu’il ne fallait rien attendre de la France pour changer quoique ce soit. Mais ce qui nous est revenu en pleine figure quand on essayait de convaincre les gens de venir manifester, c’est que certains nous répondaient « Non je ne peux pas venir car François Hollande a donné à Sassou le droit de tirer sur nous ». La phrase de Hollande a donc été vécue comme un risque d’une répression plus violente, d’autant plus que nous n’avions pas internet ni de télévisions étrangères. Le black out était total, avec aussi des coupures d’électricité à répétition qui nous empêchaient de charger les téléphones et de mobiliser les gens.

Que penses-tu de la coopération militaire entre la France et le Congo-Brazzaville ?

Je voudrais donner un chiffre. La défense représente 12% de notre budget d’un Etat en faillite. Ces 12% vont à une police qui pratique les viols, qui procède à des disparitions forcées. Récemment, en mai, 13 jeunes ont été massacrés dans un commissariat. Et pendant deux ans, la région du Pool a subi des bombardements intensifs. Les dépenses militaires sont massives, on a un Etat garnison, et on ne sait pas bien à quoi cet argent sert. Les soldats congolais qui étaient présents en Centrafrique dans la mission de l’ONU en ont été renvoyés pour manque de professionnalisme. Donc on sait que les accords de coopération existent, notamment pour la formation, mais on voit bien que les forces armées et de sécurité ne sont pas du tout formées. A quoi sert cet argent ?

Compte tenu de ce continuum de la colonisation qui n’en finit pas, quel est notre rôle à jouer ici en France ?

Dans un livre, dont j’ai oublié le titre, j’ai retenu une citation très parlante justement : « Si l’Afrique n’est pas capable de se lever, laissez la tomber, mais ne l’empêchez pas d’être debout ». S’il y a des actions à mener sur le gouvernement français, que des Français les mènent, et respectivement pour les actions américaines ou chinoises. Si cette lutte est menée, cela voudrait dire que l’on n’aura plus des soldats congolais formés par des instructeurs français, qui utilisent principalement des armes françaises, fabriquées par des entreprises françaises qui paient des impôts en France, pour tuer des citoyens congolais.

Propos recueillis à Douarnenez par la radio Vos gueules les mouettes, lors d’une émission de radio et d’un débat public, retranscrits par Marie Bazin.

[1Le pasteur Ntumi est le chef des milices « ninjas » engagées dans la guerre du Pool de 1998 à 2003, également candidat à l’élection présidentielle en 2016

[2Réunis à l’occasion de l’Université populaire de l’engagement citoyen, du 23 au 27 juillet à Dakar

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 280 - septembre 2018
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