Survie

Tchad : La force G5 Sahel pour stabiliser Déby

Idriss Déby en 2014 (photo sous licence CC Foreign and Commonwealth Office)
rédigé le 15 novembre 2018 (mis en ligne le 18 décembre 2018) - Claire Petit

La ministre des Armées Florence Parly a effectué les 8 et 9 octobre derniers une visite à N’Djamena
afin de rencontrer les éléments du dispositif Barkhane. L’occasion d’éclairer les modalités d’un
pacte sécuritaire aux relents françafricains, légitimé par la sacro­-sainte « lutte contre le terrorisme ».

Le G5 lancé en 2014 se veut une
instance de coordination en matière
de politique de développement et de
sécurité à une échelle régionale, englobant
cinq pays de la zone sahélienne, dont le
Tchad. Symbole de la souveraineté africaine
qui prendrait enfin son destin en main, elle
n’est en réalité que la reconduction, sous le
vernis sécuritaire, d’une politique
paternaliste de la France envers ses
anciennes colonies.

Une force G5 sous perfusion

Conçue initialement dans une
perspective multidimensionnelle avec un
fort volet développement, la structure tend
à être réduite à sa seule force armée
conjointe, la FC­G5S lancée en novembre
2015 par les cinq chefs d’État réunis en
sommet à N’Djamena [1]. Avec l’objectif de
regrouper 5000 hommes, la question de
son opérationnalité, notamment au plan
budgétaire, agite les milieux politiques
français pour lesquels la doxa security first
reste le maitre mot. Les exemples malien ou
burkinabè prouvent pourtant que ce sont
bien des décennies de politique calamiteuse
avec la complicité française qui sont à
l’origine de ces multiples implosions.
Mettre un pansement sur une jambe de
bois n’a jamais fait de miracles. Lors de sa
visite à Nouakchott en juillet dernier, à
l’occasion du 31ème sommet de l’Union
africaine, Macron se faisait le VRP du projet
que la France a largement initié et continue
de porter. La tournée au sein des pays G5
en juillet de la ministre des Armées
Florence Parly, sa récente visite à
N’Djamena aux côtés de la force Barkhane
ou son intervention au forum sur la paix et
la sécurité en Afrique de Dakar début
novembre illustrent cette offensive
diplomatique. Car comme le notait déjà la
Lettre du Continent avant l’été (LdC, 20/06), « plus de six mois après son
lancement en janvier 2018 à Bamako, le
fonds fiduciaire devant gérer les contributions de la force G5 Sahel reste
une coquille vide
 » . A l’époque, sur les 414
millions d’euros promis par la communauté
internationale pour cette année, seuls 5
avaient été versés par le Rwanda. Cinq mois
plus tard, on flirte à peine avec la moitié des
engagements prévus, environ 200 millions
(Le Monde Afrique, 16/11). Mme Parly n’a
pourtant de cesse d’exhorter les pays
donateurs tels les États Unis (opex360.com,
2/10
) à s’impliquer davantage. Belle
hypocrisie alors que de saluer sur Twitter
« l’Afrique [qui] prend pleinement sa protection en main
 » (9/10)
, quand aucun des
pays membres de la force n’a la capacité de
mobiliser ses fonds propres. Un dilemme
que pointait l’ONG l’International Crisis
Group en décembre 2017 : comment ces
pays peuvent­-ils « devenir responsable de
leur propre sécurité tout en étant
dépendant de financements extérieurs
 » [2],
qui plus est aléatoires ? Car aucun
mécanisme de financement régulier et
durable n’est pour le moment au point, ce
qui pose la question de la pérennité dans le
temps de la force et augure encore de
beaux jours pour les multiples opérations
de renforcement de capacité, et leurs contrats français connexes.

De la coopération à la rente sécuritaire

Si la France souhaite diminuer le coût
financier de ses opérations en déléguant
une partie de celles-­ci à ses « partenaires »,
elle souhaite néanmoins en récolter les
fruits. Serait­-on à l’aube d’un renouveau du
système concessionnaire colonial sur le
mode sécuritaire ? Les récentes acquisitions
de matériel militaire français le laissent
penser. En effet une partie du premier volet
de financement de l’Union européenne de
50 millions d’euros vient d’être décaissée
pour l’achat de gilets pare­-balles français
(LdC, 22/08). L’appui de cent millions
d’euros de la part de l’Arabie saoudite sera
également destiné à financer l’achat
d’équipements militaires français (LdC, 20/06). En termes de business, les bons
comptes font les bons larrons...

Vous avez dit « terroriste » ?

La France pourtant déjà complice du
massacre yéménite, est tout autant
coupable d’appuyer les forces d’autres
régimes oppressifs [3]. La visite le
19 septembre dernier d’une délégation de
l’Agence Nationale tchadienne de Sécurité
(ANS), connue pour ses méthodes peu
humanistes, dans les locaux de la DGSE afin
de discuter de la coopération franco­
tchadienne en matière de renseignement
en est un exemple ( LdC , 3/10). Cet appui
passe également par le don de matériels de
guerre, comme les mortiers de fabrication
française offerts par la force Barkhane à
l’armée tchadienne en avril (defense.gouv.fr,
7/05
). Mais aussi par le don d’équipements
de « maintien de l’ordre » qui ont été remis
le 18 octobre dans le cadre de notre
coopération de sécurité et de défense à la
garde nationale nomade tchadienne. Cette
unité, spécialisée dans les opérations en
milieu désertique caractéristique du Nord
tchadien aujourd’hui désigné comme le
nouveau nid à terroristes, « participe aussi
à la garde des frontières
 », comme le
précise l’ambassade de France (23/10)
.
Alors quel est ce terrorisme que
Barkhane, appuyé par ses alliés, « combat à
sa source
 », dixit Mme Parly (AFP, 9/10) ?
L’opération conjointe MaÏ Boulala [4] menée
en septembre 2017 au nord du Tchad pour
« renseigner puis intervenir sur les
itinéraires d’infiltrations des groupes
armés terroristes, ainsi que sur les zones
de passage des trafics dont ils profitent
 »
(defense.gouv.fr, 3/10/17), ou le transfert du
poste de commandement du fuseau Est du
G5 depuis N’Djamena vers cette zone, « 
pour un meilleure contrôle des frontières »
(defense.gouv.fr, 28/08/18) posent question
quant à l’identification de l’ennemi
terroriste. Parle­-t­-on des groupes rebelles
tchadiens qui ne figurent aucunement sur la
liste des mouvements terroristes de la liste onusienne ? Des orpailleurs que la clique de
Deby souhaite chasser pour s’accaparer les
mines de Miski ? Des migrants qui transitent
entre les territoires libyen et soudanais ?
Officiellement la suspicion de la présence de
terroristes islamistes au Sud libyen est
l’argument d’autorité justifiant l’intervention
de Barkhane et de la force du G5. Lors d’une
rencontre entre Jean­-Yves Le Drian, Idriss
Deby et le ministre des Affaires étrangères
tchadien en juin, ce dernier déclarait : « Le
Tchad est intéressé plus que tout autre parce
que dans le sud-­libyen, il y a une zone de
non droit, il y a des mercenaires, des
bandes armées et cela constitue une
menace sérieuse pour l’ensemble des pays
voisins, notamment le Tchad
 » (TchadCon­vergence, 8/06). Or ce ne sont pas des
terroristes islamistes qui ont bombardé en
juillet et août des positions tchadiennes, mais
bien des opposants armés laïcs au premier
rang desquels figure le CCMSR [5] dont les
leaders, faits prisonniers par les forces
nigériennes en octobre 2017, sont
aujourd’hui
portés
disparus.
Plus
récemment, les bombardements de l’armée
tchadienne dans les localités aurifères du
Tibesti illustrent la confusion pratique dans
l’emploi du terme terroriste. Le ministre de
la Sécurité lui­-même, tout en justifiant ces
opérations comme anti­terroristes, avoue à
demi­-mot qu’il s’agit d’une lutte en partie
tournée vers le contrôle des mines d’or : « Il
y a des mercenaires, des terroristes, des
esclavagistes, qui ne veulent pas que le
gouvernement, l’Etat, mette la main sur ces
ressources­-là !
 » (RFI, 4/11) [6].

Coopération multi-Déby

La superposition des enjeux franco-européens de « stabilité » liés à la « lutte
contre le terrorisme » et le « contrôle des flux
migratoires », corrélés à la nécessité pour le
gouvernement Déby de faire taire la rébellion
au Nord, redonnent ainsi de la vigueur à la
coopération militaire franco­-tchadienne,
qu’elle soit bilatérale ou multilatérale. Or
cette approche tend à définir l’insécurité du
territoire tchadien comme produit par l’extérieur alors qu’elle est le résultat même
de la politique du gouvernement tchadien.
La France, de par son appui militaire,
renforce cette politique inique.
Le gouvernement français, par la voix de
Mme Parly, a beau jeu de clamer que « la
paix du Sahel appartient d’abord au Sahel
 »
(AFP, 09/10) lorsqu’il participe militairement
à la pérennisation de l’instabilité tchadienne
en appuyant son premier responsable.

Janjawids et soudards de l’armée tchadienne, garde-frontière de l’UE

Un rapport néerlandais [7] publié en sep­tembre montre que les miliciens Janjawid à
cheval qui sillonnent la frontière tchado­-soudanaise et qui, grâce au soutien apporté
par l’Union européenne (UE) pour endiguer le flot migratoire, « sont mieux équipés,
mieux financés
 », jouent eux­-mêmes le rôle
de passeur n’hésitant pas à taxer les
migrants ou à les soumettre au travail forcé
(infomigrants.net, 14/09). Le désir de l’UE
de sécuriser cette région transfrontalière a
coïncidé avec la volonté du Tchad et du
Soudan d’exercer un contrôle accru sur
leurs frontières afin de prévenir l’incursion
des groupes rebelles situés dans les Etats
voisins. Si aucun programme européen de
lutte contre la migration n’est pour le
moment mis en place au Tchad, le rapport
s’interroge néanmoins sur les objectifs de
N’Djamena : « il y a davantage d’intérêt de
la part du gouvernement tchadien pour la gestion ciblée des menaces aux frontières
 »
(p.78) . Il souligne aussi le racket auquel se
livrent les militaires tchadiens : « Des
soldats, des passeurs et des migrants rap­portent que l’armée tchadienne se
concentre principalement sur le prélève­ment de pots­-de­-vin plutôt que sur la
réduction des flux migratoires
 » (p.68).
Malgré cela, l’accroissement du nombres de
migrants transitant par les trois « postes de
suivi des flux de populations » situés dans
des localités du Nord tchadien [8] risquent de
diriger une partie des aides européennes
vers le Tchad

[1Cyril Robinet, « Genèse de la force conjointe du G5
Sahel »
, blog Afrique Décryptages (IFRI), 16/01/18.

[2International Crisis Group, note n°258, « La force du G5 Sahel : trouver sa place dans l’embouteillage
sécuritaire »
, décembre 2017

[3L’implication de mercenaires tchadiens aux cotés de l’Arabie Saoudite dans la guerre yéménite a d’ailleurs
été démontrée (RFI, 28/04)

[4Le mai étant le nom donné aux anciens rois de l’empire
du Kanem et les boulala la population vivant aux abords
du lac Tchad dont les ancêtres ont affronté l’empire.

[5Conseil du commandement militaire pour le salut de la République, principal groupe rebelle tchadien.

[6L’esclavagisme est toutefois un fait réel, ces esclaves étant bien souvent des migrants en route pour la Libye, capturés
par des contrebandiers, parfois ex­-rebelles... et que Déby
a l’habitude d’utiliser comme réservoir de mercenaires.

[7« Multilateral damage, The impact of EU migration
policies on central Saharan routes » Netherlands
Institute of International Relations, CRU Report
September 2018

[8Dans le Nord du pays, trois points de suivi ont été
installés par l’Organisation Internationale des Migra­tions (OIM) en avril 2017 (Kalait) et mars 2008 (Faya et Zouarké).

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique  282 - novembre 2018
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