Survie

kanaky : Au lendemain du référendum

rédigé le 4 novembre 2018 (mis en ligne le 1er avril 2020) - Marie Bazin

165 ans après le début de la colonisation française et 30 ans après les Accords de Matignon, le référendum d’auto-détermination a enfin eu lieu en Kanaky, le 4 novembre 2018. Retour sur un processus et des résultats qui ne se limitent pas, loin s’en faut, à la victoire du « non ».

Le corps électoral spécialement constitué pour le référendum, composé de 174 165 électeurs, était appelé à répondre à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Compte tenu de la division au sein du mouvement indépendantiste (certains appelant à ne pas participer au vote considéré comme joué d’avance), des prédictions sur la faible mobilisation de la jeunesse kanak, et de la campagne basée sur la peur menée par les pro-Français, beaucoup s’attendaient à une victoire massive du « Non » estimée à 70%. Il n’en a rien été. 43,3% des votant.e.s se sont prononcé.e.s en faveur du « Oui », et 56,4% contre, soit un écart de 18 000 voix, avec une forte participation à 80,6%. C’est dans la province Nord, peuplée en grande majorité par des Kanak, que la participation a été la plus forte (86%), avec un vote pour le Oui à 75,8%. A l’inverse, dans la province Sud, qui concentre la majorité des non-Kanak de l’archipel (qu’ils soient les descendants – peu nombreux – des premiers bagnards ou les colons de la politique de peuplement d’après 1945), 73,7% ont voté contre l’indépendance. Dans la province des Iles Loyauté, l’abstention a été plus importante (38%) mais le vote favorable à l’indépendance tout aussi massif (82%). Le scrutin s’est globalement bien déroulé, sous l’oeil d’observateurs de l’ONU, mais les indépendantistes ont tout de même fait part de dysfonctionnements : le bureau de vote de Saint-Louis a fermé alors que des personnes attendaient encore pour voter, et certaines procurations pourtant envoyées dans les temps n’ont pas été prises en compte.

Une victoire symbolique pour les indépendantistes

La géographie des résultats recoupe quasi-exactement la ségrégation spatiale entre Kanak et non-Kanak. Le référendum, s’il est une victoire mathématique pour les anti-indépendantistes, est sans conteste une victoire symbolique forte pour les indépendantistes puisqu’il montre de façon irréfutable que les Kanak, 30 ans après leurs mobilisations des années 1980, sont toujours favorables à l’indépendance, dans une écrasante majorité. L’importance de cette victoire symbolique, les opposants à l’indépendance l’ont bien comprise. Car ce référendum ne marquait pas la fin de la partie, il n’était que le premier des 3 référendums prévus par les Accords de Matignon en cas de victoire du non et en cela il permet de jauger et d’établir le rapport de forces. Malgré sa défaite officielle, la position indépendantiste voit en réalité sa légitimité réaffirmée et en ressort renforcée pour le prochain référendum prévu en 2020. Au lendemain du référendum, tandis que beaucoup de Kanak saluaient cette victoire symbolique, les différents acteurs politiques anti-indépendantistes se sont employés à la minimiser et à démontrer qu’un autre référendum serait inutile, arguant que le rapport électoral ne changerait pas en quelques mois ou années.

Alerte au Château

Même stratégie du côté de l’Etat français, l’allocution d’Emmanuel Macron le soir du résultat laissant entendre que le processus de décolonisation était terminé : «  Je veux aussi dire la fierté pour le chef de l’Etat que la majorité des Calédoniens ait choisi la France. (...) Je mesure la déception de ceux qu’anime la volonté de l’indépendance, ils ont pu l’exprimer dans les urnes. (...) J’invite chacun à inscrire la Nouvelle-Calédonie tout à la fois dans la République et dans le destin océanique et indopacifique qui est le sien.  ». Quelques jours après, le Canard Enchaîné (7/11/18) révélait que Macron qualifiait en réalité les résultats de « signal d’alerte », expliquant que « si on veut garder ce territoire dans la République, ce qui est hautement souhaitable, il faut, partiellement, progressivement et réellement, le décoloniser ». Double confirmation que la Kanaky est bien un territoire colonisé et que si la décolonisation doit venir de l’Etat, elle ne sera que partielle. Si la droite coloniale locale et l’Etat français craignent un 2nd référendum, c’est parce que le mouvement indépendantiste y disposera d’un réservoir de votes parmi les 35 000 personnes qui se sont abstenues, en particulier les 8000 des Iles Loyauté, ainsi que parmi les jeunes Kanak qui atteindront leur majorité d’ici 2020, tandis que la marge de progression sera quasi-nulle du côté des anti-indépendantistes.

Mai 2019 : des élections cruciales

Mais pour que le 2nd référendum ait lieu, le vote favorable d’un tiers du Congrès de Nouvelle-Calédonie est nécessaire, or ses membres seront renouvelés au printemps 2019 lors des prochaines élections provinciales. Les regards sont désormais tournés vers cette prochaine échéance. Actuellement le groupe indépendantiste au Congrès occupe 25 sièges sur 54. Son objectif pour 2019 est clair : obtenir la majorité grâce à 3 sièges supplémentaires pour non seulement permettre la tenue du 2nd référendum mais aussi prouver sa capacité à gouverner l’archipel jusqu’en 2020 et démontrer la solidité de son projet politique. Or les voix acquises lors du référendum ne le sont pas nécessairement pour les provinciales car les Kanak ne sont pas inscrits d’office sur la liste provinciale comme c’était le cas pour la liste référendaire. Ils doivent faire la démarche d’inscription, notamment les jeunes qui n’étaient pas déjà inscrits lors des précédentes provinciales ; leur mobilisation reste donc un enjeu pour les partis indépendantistes.
Du côté des anti-indépendantistes, la frange la plus dure demande le dégel du corps électoral. En effet la liste électorale provinciale exclut les personnes qui se sont installées en Kanaky après 1998, et exige 10 ans de séjour continu (avant 2008) pour celles arrivées entre 1988 et 1998. Une situation considérée comme une « injustice » et une « discrimination » par la droite coloniale [1]. Or cette disposition est régie par l’accord de Nouméa, qui s’applique toujours, et les métropolitains qui ont fait le choix de s’installer en Kanaky après 1998 et d’y rester ne pouvaient ignorer que l’archipel était en voie de décolonisation et qu’elles devraient se plier aux accords. Cette question, parmi d’autres, était à l’ordre du jour du Comité des signataires réuni à Paris le 14 décembre mais aucun consensus n’a été trouvé, l’accord de Nouméa reste donc applicable.

Marie Bazin

[1Communiqué du 3 décembre 2018 du Rassemblement-Les Républicains

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