Survie

Charles Onana, le négationniste de référence

rédigé le 16 avril 2019 (mis en ligne le 28 octobre 2019) - Thomas Borrel

La « polémique » sur le rôle de la France au Rwanda amène les journalistes à vouloir donner la parole aux différentes thèses en présence. Compréhensible, sauf quand cela offre du temps d’antenne à un négationniste.

Début avril, le rédacteur en chef des
pages internationales de Valeurs Ac­tuelles, Antoine Colonna tentait de
redorer « l’honneur  » des militaires français
au Rwanda en citant entre autres Charles
Onana, présenté comme « essayiste came­rounais et spécialiste passionné du sujet ».
Selon ce dernier, « la polémique contre l’ar­mée française n’a jamais été justifiée. À
l’époque, aucun journaliste présent sur
place, aucune ONG n’ont émis de critique
contre l’armée française. Il aura fallu
vingt­ cinq ans de guerre psychologique du
FPR contre la France et l’éloignement des
faits pour pouvoir porter de telles accusa­tions
. » Chaque élément de cette citation est
infondé, puisque des journalistes, des asso­ciations – dont Survie – et des humani­taires, dont Jean­ Hervé Bradol ou Bernard
Kouchner, ont dès cette époque émis des
critiques plus ou moins sévères. Mais il est
intéressant de voir que ceux qui cherchent à
dédouaner la France de toute accusation
mobilisent un négationniste décomplexé.

Usual suspect

Onana remet depuis longtemps en cause
la réalité même du génocide des Tutsis, en
niant la caractéristique des victimes – c’est­ à­
dire des personnes pourchassées et extermi­nées pour le simple fait d’être nées au sein
d’un groupe social donné. Il y a près de 15
ans, il avait ainsi déclaré sur les ondes de RFI
(11/12/2005) : « Dix ans après les faits, le tri­bunal international ne dispose pas de
preuves du génocide des hutus contre leurs
compatriotes tutsis
 ». Il entend régulière­ment dénoncer « la fausse idée que les Tutsis
auraient été “victimes d’un génocide” en
1994 au Rwanda et que les rebelles tutsis
auraient été les héros de ce drame
 » (lecon­golais.cd, 27/12/2012). Onana sévit égale­ment dans ses propres livres, ou dans
l’édition : il a ainsi édité le livre négationniste
Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali (éd.
Les Intouchables, 2005) de Robin Philpot.
Cet auteur et lui ont d’ailleurs perdu en pre­mière instance et en appel le procès en diffa­mation qu’ils avaient intenté au journaliste Christophe Ayad, qui les avait décrits dans
un article de Liberation (6/04/2004) comme
des « auteurs négationnistes ». L’historienne
Barbara Lefebvre l’expliquait déjà en 2007 :
« des personnages comme l’essayiste québé­cois Robin Philpot et le Camerounais
Charles Onana, se disant journaliste, appa­raissent comme fédérateurs au sein des
cercles négationnistes européens et très ac­tifs en France
 » [1]. Si Philpot est moins visible, Onana continue d’occuper le terrain.

Confusionnisme

Dans un débat télévisé face à Survie
(France 24, 29/06/2017), Onana avait tran­quillement essayé de masquer les chiffres :
« Qui l’a dit, qu’une très large majorité des
victimes sont Tutsis ?
 ». Le présentateur télé
en fut tellement soufflé qu’Onana n’a pas
été sommé de s’expliquer : il aurait, dans ce
cas, évoqué des millions de morts à l’Est de
la République démocratique du Congo
(RDC), sans bien sûr préciser que c’est la
fuite voire l’exfiltration des génocidaires
dans cette zone, en juillet 1994, qui y a essai­mé la guerre et les massacres à répétition.
Onana, comme le journaliste français
Pierre Péan, mobilise en permanence cette
comptabilité mortuaire pour semer la confu­sion sur l’extermination planifiée, organisée
et systématique des Tutsis du Rwanda. Onana
la conteste, en arguant que des Hutus ou des
Twas (une autre minorité du Rwanda) ont été
éliminés aussi – ce qui est exact, comme des
non Juifs payèrent de leur vie leur proximité
personnelle ou leur engagement politique vis
à vis de Juifs pendant la Shoah. Dans une
conférence intitulée « le génocide silencieux
au Congo », avec Pierre Péan et Patrick Mbe­ko, dont la vidéo est en ligne depuis décembre 2017, Onana déroule sa stratégie
confusionniste : « on a vu des gens entrer
dans la mécanique du double génocide
pour essayer d’équilibrer. Mais plus on
rentre dans le débat de double génocide,
plus on vous dit "non mais, vous êtes révi­sionniste" donc moi je suis pour le principe
de l’examen serré des faits. Point. Que la
justice qualifie de "génocide", de "mas­sacre", de "massacre de masse", de "crime
contre l’humanité", ça c’est du ressort de la
justice. Mais pour l’instant la justice n’a
rien prouvé.
 » Un mensonge, car Pascal Sim­bikangwa avait déjà été condamné en appel
en France en 2016 (condamnation devenue
définitive en 2018), et deux autres génoci­daires rwandais avaient été condamnés après
lui. Et Onana n’ignorait pas les verdicts du
Tribunal pénal international pour le Rwanda
(TPIR). Or, depuis la loi relative à l’égalité et
à la citoyenneté de janvier 2017, la justice
peut punir « ceux qui auront nié, minoré ou
banalisé de façon outrancière (...) l’exis­tence d’un crime de génocide[, d’un] crime
contre l’humanité, d’un crime de réduction
en esclavage ou d’exploitation d’une per­sonne réduite en esclavage ou d’un crime
de guerre (...) lorsque ce crime a donné lieu
à une condamnation prononcée par une
juridiction française ou internationale
 ».
En clair, la négation du génocide des Tutsis
est depuis 2017 tout aussi judiciairement ré­préhensible que celle de la Shoah.

Ignorance coupable

Début avril, Charles Onana a pourtant en­core failli être invité sur France 24. Les jour­nalistes se disent qu’ils doivent donner la
parole aux tenants de différentes thèses. C’est
légitime, quand celles­-ci peuvent être discu­tées : la pluralité des points de vue et la mise
en débat sont essentielles au fonctionnement
des médias d’une démocratie. Mais nier le gé­nocide, même par des procédés détournés, ce n’est pas une opinion ou une analyse.
C’est la négation d’un fait historique, qui pro­longe l’entreprise génocidaire en niant aux victimes leur statut. Et que ce génocide ait
été perpétré dans un petit pays d’Afrique de
l’Est, toujours objet de clichés dans l’imagi­naire colonial français, ne change rien.

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 285 - mars-avril 2019
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