Survie

D’une vacance du pouvoir gabonais au maintien de la Françafrique

rédigé le 26 avril 2019 (mis en ligne le 9 mars 2020) - Thomas Bart

Alors que le pouvoir gabonais est vacant depuis octobre dernier, le clan Bongo se réorganise quitte à modifier la Constitution, avec l’approbation de Paris.

Le 24 octobre dernier, Ali Bongo Ondimba (ABO) a subi un accident vasculaire cérébral lors d’un séjour à Riyad (en Arabie Saoudite) où il était censé participer au forum économique « Future Investment Initiative ». Le 28 octobre le porte-parole de la présidence, Ike Ngouoni, a tenté d’arrêter les rumeurs croissantes liées à l’absence du chef de l’État en évoquant un malaise « consécutif à une fatigue sévère due à une très forte activité ces derniers mois », mensonge que peu de monde crut et qui ne dura pas. Après un mois passé à l’hôpital du Roi Fayçal de Riyad, Bongo a été transféré au Maroc le 28 novembre pour y continuer sa convalescence. Il faudra ensuite attendre les vœux du 31 décembre pour sa première apparition publique, lors d’une très courte vidéo pré-enregistrée (moins de 130 secondes) où il apparaissait très affaibli. Depuis, il n’a fait que de courts séjours et apparitions au Gabon : le 15 janvier pour recevoir la prestation de serment des ministres du nouveau gouvernement Bekalé, puis le 26 février pendant 48 heures afin de présider son premier Conseil des ministres depuis son accident. Il a ensuite annoncé rentrer définitivement le 23 mars au Gabon, mais a de nouveau disparu des radars après le 4 avril, sans que personne ne sache s’il se trouvait encore au Gabon les semaines suivantes, ou s’il avait été évacué dans un autre pays.

S’il y a bien une vacance à la tête de l’État, il n’a suffi que de quelques jours par contre pour qu’une "troïka discrète" soit mise en place pour assurer sa gestion. Celle-ci est composée tout d’abord de la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo, belle mère d’ABO et véritable gardienne du clan Bongo au pouvoir depuis sa nomination à la tête de cette institution en 1991 (elle a par ailleurs été décorée de la Légion d’honneur en France par Sarkozy, puis par le Procureur général près la Cour de cassation de Paris en octobre 2016, soit juste après avoir validé le putsch d’ABO en septembre 2016 [1]). On trouve ensuite Brice Laccruche Alihanga, le directeur du cabinet présidentiel, et enfin le demi-frère du président, le colonel Frédéric Bongo, patron des services du renseignement et directeur général des services spéciaux de la Garde républicaine. Ce dernier aurait (mal ?) acquis différents biens dans les quartiers chics de Paris ces trois dernières années [2].

Réactions françaises à géométrie variable

Alors que l’opposition politique et la société civile tentent en vain de faire reconnaître la vacance du pouvoir, ce qui, d’après l’article 13 de la Constitution, impose qu’une nouvelle élection présidentielle soit organisée dans les 60 jours, la Cour constitutionnelle en a décidé tout autrement. Elle a en effet décrété mi-novembre une modification de la loi fondamentale, sans aucune forme de consultation du Parlement ou du peuple (et donc violant la Constitution), afin que le Conseil des ministres puisse être convoqué par le vice-président « en cas d’indisponibilité temporaire » du président, et ce afin que les affaires du pays puissent continuer à tourner. Alors que l’opposition politique et la société civile ont dénoncé ce coup de force, et que différents acteurs internationaux comme l’Union Africaine ont publié des communiqués rappelant leur attachement au respect de l’ordre constitutionnel, critiquant ainsi ce changement totalement illégal, la diplomatie française est restée silencieuse sur ce nouveau tripatouillage en faveur du clan au pouvoir.

Par contre, lors de la mini tentative de coup d’État du 7 janvier dernier à Libreville (porté par cinq militaires ayant appelé à un soulèvement de la population sur la radio d’État), la France a le jour même déclaré : « Nous condamnons toute tentative de changement de régime extra-constitutionnel. La stabilité du Gabon ne peut être assurée que dans un strict respect des dispositions de sa Constitution. »

Lors de son audition devant la commission des Affaires étrangères et de la défense du Sénat, le 23 janvier, J.-Y. Le Drian a de même déclaré que depuis l’AVC d’Ali Bongo « le calme est au rendez-vous » et que la France souhaite que « la situation reste ainsi ». Par contre, aucune remarque sur le non respect de la Constitution lié à la vacance du pouvoir du dictateur ami de la France, ni sur le changement illégal de la Constitution réalisé par la Cour constitutionnelle mi-novembre. Mais le ministre des Affaires étrangères a même fait mieux lors d’une audition devant les députés de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 20 mars. À la question du député Bruno Fuchs, demandant si le « pouvoir gabonais est vacant », le ministre Le Drian a affirmé qu’Ali Bongo avait bien « été élu » et que les institutions fonctionnaient… Mais ces propos ont ensuite été effacés de la retranscription officielle (Le Monde Afrique, 8/04). Visiblement, la parodie d’élection de 2016 était trop caricaturale – même pour la diplomatie française – pour laisser le ministre affirmer dans un compte-rendu de l’Assemblée qu’ABO avait été élu.

Répression, business et coopération militaire au beau fixe

Mais le retrait forcé (temporaire ou non ?) d’Ali Bongo à la tête du pays ne change pas spécialement les affaires internes pour les Gabonais, ni les relations avec la France. Depuis l’AVC du dictateur, les journaux continuent d’être suspendus : L’Aube, tout d’abord, pendant 3 mois début novembre, et 6 mois début avril, ainsi que les journaux La Loupe et Moutouki en décembre respectivement pour 3 et 1 mois... Cela juste quelques mois après que les autorités gabonaises ont suspendu pour un an la diffusion de France 2 dans le pays. De plus, les opposants continuent d’être arrêtés et maltraités, comme Ballack Obame, arrêté le 21 janvier (Mondafrique, 12/03). Les lycéens et étudiants sont dans la rue et se font toujours autant réprimer.

A Paris en revanche, le président du Sénat, Business France et le Trésor français ont tranquillement organisé un colloque au palais du Luxembourg (qui a eu lieu le 29 mars) avec des membres du gouvernement gabonais pour attirer toujours plus d’investisseurs français au Gabon. De même, du côté de la coopération militaire une délégation conduite par le chef d’état-major des armées françaises, François Lecointre, s’est déplacée à Libreville le 11 avril 2019 pour rendre visite au Premier ministre gabonais. Le général français a indiqué que « l’objectif de cette séance est de travailler ensemble sur les perspectives de l’évolution de notre partenariat. Un partenariat très important, très fort qu’il faut que nous continuions de faire évoluer pour le renforcer encore plus » (Le Nouveau Gabon, 11/04). Avec ou sans Ali Bongo, la France n’est pas prête à renoncer à l’un des pays du pré-carré, au grand dam de la population gabonaise.

[1Voir « Ali Bongo en force », Billets d’Afrique n°260, septembre 2016

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 285 - mars-avril 2019
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