Survie

L’ombre de Blaise Compaoré

rédigé le 10 octobre 2019 (mis en ligne le 2 avril 2020) - Bruno Jaffré

Quatre ans après le coup d’État manqué au Burkina Faso, le procès des putschistes vient de s’achever. La reconnaissance de la culpabilité d’une grande partie des accusés représente une petite lueur d’espoir, mais la justice sur les crimes du régime Compaoré reste à faire. Pendant ce temps, le pays s’enfonce dans une crise sécuritaire et humanitaire majeure.

Fin octobre 2014, après des mois de manifestations massives et deux jours d’insurrection, Blaise Compaoré prenait la fuite, exfiltré par l’armée française. Alors que la transition mise en place se terminait et que les élections se préparaient, les nostalgiques de Compaoré, en particulier de son Régiment de Sécurité présidentielle (RSP), déclenchèrent un putsch le 16 septembre 2015. Une extraordinaire résistance populaire, massive, s’est vite organisée, rejointe par une partie de de l’armée, et mit en échec le coup d’État (cf. Billets n°250, octobre 2015). Le bilan s’élève à 14 morts, et près de 270 blessés.

Un verdict clément pour un coup d’Etat

Près de 40 témoins ont été auditionnés, de nombreux enregistrements d’écoutes téléphoniques, vainement contestés par les avocats de la défense, ont été diffusés. Presque tous les accusés ont été jugés coupables, les peines prononcées allant de quelques mois à 30 ans de prison. D’un jour à l’autre on saura si certains font appel. Gilbert Diendéré, qui a tenté de prendre le pouvoir, a été condamné à 20 ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat, meurtre et coups et blessure ». Ancien chef du régiment de sécurité présidentielle de Blaise Compaoré, véritable numéro deux de son régime, ami fidèle des gouvernements français, il tentera tout au long du procès de nier être l’instigateur du putsch. Djibril Bassolé chef de la gendarmerie lorsque les tortures ont débuté en 1987, ministre de l’Intérieur lors de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998, et qui n’a cessé de faire oublier son passé dès lors que Blaise Compaoré l’a propulsé ministre des Affaires étrangères, écope de 10 ans de prison pour « trahison ». Un verdict somme toute relativement clément, alors que la prison à perpétuité avait été requise par le parquet.

Complicités extérieures

Plusieurs enregistrements ont mis en évidence des complicités extérieures [1]  : une conversation téléphonique pendant laquelle Guillaume Soro, alors Président de l’Assemblée nationale ivoirienne, remonte le moral de Djibril Bassolé en évoquant une aide militaire en provenance de la Côte d’Ivoire ; une autre entre Diendéré et Mahamadou Djéri Maïga, l’ancien vice-président du MNLA [2], qui annonce que des troupes stationnées à la frontière sont prêtes à venir à la rescousse des putschistes. Dans un autre enregistrement, le général ivoirien Soumaila Bakayoko, alors chef d’Etat-major des armées, rassure Gilbert Diendéré qui semblait avoir un moment baissé les bras. Le procès a par ailleurs révélé le versement aux putschistes d’une somme de 50 millions de francs CFA (75 000 euros) en provenance de Côte d’Ivoire.

Une justice qui reste à faire

Près de 5 ans après l’insurrection, aucun procès d’importance ne s’est encore ouvert sur les exactions et pratiques de corruption des dignitaires du régime de Blaise Compaoré. Plusieurs témoignages précis ont fait état de torture sans que le parquet ne juge bon de lancer de nouvelles procédures, même si certaines sont engagées, comme sur l’assassinat du leader étudiant Boukary Kaboré ou celui de Thomas Sankara. Des voix s’élèvent de plus en plus pour demander une réconciliation, voire le retour de Blaise Compaoré. Mais l’impunité parait de plus en plus insupportable, alors que les scandales ne cessent d’être dévoilés les uns après les autres et que le régime actuel est composé de personnalités qui ont soutenu Blaise Compaoré pour ne s’en détourner que quelques mois avant l’insurrection.

Crise profonde

En parallèle, une ambiance délétère s’installe dans le pays. Les Forces de défense et de sécurité (FDS) n’ont jusqu’ici pas réussi à faire échec aux attaques terroristes. Le ministre de la Défense Chériff Sy (ancien journaliste reconnu pour ses positions courageuses sous la dictature de Compaoré, NDLR), dans une interview au journal sud-africain Mail & Guardian en juin 2019, se questionnait sur la volonté réelle des Français, via l’opération Barkhane, d’éradiquer le terrorisme. Le président Roch Marc Christian Kaboré a d’ailleurs repris en partie ces critiques le 24 septembre à l’ONU, rappelant les promesses de livraison d’armes n’avaient pas toujours pas été tenues. Selon un bilan du ministère de la Défense de juin 2019, les attaques auraient fait plus de 500 morts depuis 2015, sans compter les massacres ethniques contre les peuls, accusés d’être globalement complices des djihadistes. Douze provinces du nord du pays sont touchées sur les 45 que compte le Burkina Faso. Plus de 300 000 enfants sont privés d’école selon le ministère de l’éducation, et selon l’ONU 17 0000 personnes ont dû quitter leur village, tandis que l’insécurité alimentaire s’étend [3].

Par ailleurs, des rapports d’Human Rights Watch et du MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples) de mars 2019 font état d’exactions et d’exécutions sommaires de la part des FDS. Des mécontentements se font entendre jusqu’au sein de l’armée.

Récemment, et pour la première fois, une manifestation de la société civile organisée par les syndicats et des organisations de la société civile, dont le Balai citoyen et le MBDHP, rassemblant environ 2000 personnes, a été dispersée par les forces de l’ordre. Les manifestants s’insurgeaient notamment contre l’incapacité du pouvoir à juguler le terrorisme et la corruption, dénonçaient les organisations extra judiciaires et demandaient le retrait des troupes étrangères du pays. Autre première au Burkina, où les grèves sont fréquentes, une manifestation a été organisée pour protester contre la grève des médecins.

C’est dans cette situation complexe et dangereuse que l’élection présidentielle d’octobre 2020 se prépare. Déjà plusieurs candidats déclarés se réclament de Blaise Compaoré !

[1Lire les compte-rendus d’audience du site d’information lefaso.net du mois de mars 2019.

[2Mouvement National de Libération de l’Azawad, mouvement politico-militaire ayant précipité l’effondrement de l’État malien suite à sa rébellion en 2012 pour l’indépendance du nord du Mali.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 290 - octobre 2019
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