Il n’y a pas de fin à l’Histoire. Les peuples de la planète sont en train de forcer leur place dans les récits des temps que nous vivons. Les révoltes de rue fleurissent, durent et se font écho. Les gilets jaunes perturbent depuis un an le macronisme, les émeutier.es de Hong Kong leur ont emprunté leurs couleurs, en clin d’oeil, quand ils n’agitaient pas des drapeaux catalans. À Bagdad, on a importé de Hong-Kong le laser anti-caméra en partant à l’assaut de la « zone verte » symbole d’un régime jugé corrompu. Même Hollywood a jeté sa goutte d’essence dans la tempête et les révolté.es du Liban se sont grimés en Joker.
Et tout cela n’a pas été vain : les indéboulonnables Bouteflika, en Algérie, ou Hariri, au Liban, ont du démissionner, les augmentations du prix de l’essence ou du ticket de métro ont du être annulées en France, en Équateur ou au Chili. Et beaucoup reste à gagner. Même au pays de Pinochet, pays qui a, le premier, expérimenté le mariage du néolibéralisme avec la dictature, le gouvernement doit reculer. Peut-être finira-t-il par tomber.
Partout la répression est féroce et détruit les corps. Il y a des mort.es, des mutilé.es, des milliers jetés en prison, les États espérant que la terreur sera suffisante pour dissuader les millions restants de sortir de chez eux. À de nombreux endroits, on a vu des soldats tirer avec des balles qui tuent, au Chili, des voitures de police ont foncé sur des gens.
Ce qu’on a moins vu, par contre, c’est la vitalité des soulèvements sur le continent africain, l’Algérie mise à part. Ce numéro de Billets d’Afrique, modestement, est une contribution qui inscrit la Guinée, le Sénégal, le Tchad ou Djibouti dans la vague mondiale des révoltes en cours. Là-bas aussi, on s’insurge contre des classes dirigeantes cramponnées au pouvoir, aux pratiques autoritaires, corrompues, qui maintiennent un système inégalitaire. Tels les gilets jaunes, les guinéen.nes numérotent en « actes » leurs manifestations. Mais là où les manifestant.es de Hong-Kong, qui menacent la puissance chinoise, ont droit à des portraits élogieux dans les médias français, guides pratiques du parfait « black bloc » à l’appui [1], on trouve tout au plus quelques entrefilets pour ces corps noirs qui perturbent la stabilité chère aux affaires des capitaux français. Et notre État continue son soutien sécuritaire aux régimes qui les répriment.
En France, Macron a choisi d’avoir recours aux vieilles recettes racistes pour détourner l’attention des offensives contre le modèle social en cours. Celui qui s’est fait élire pour « faire barrage » à l’extrême-droite a fait de l’immigration sa nouvelle priorité et l’espace médiatique est saturé d’islamophobie.
Chaque situation, à sa manière, donne un peu plus raison à Bertolt Brecht : « le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise ».
Le mois d’octobre a vu la sortie d’un ouvrage de Bruno Jaffré, L’Insurrection inachevée, Burkina Faso 2014 [2], sur lequel nous auront l’occasion de revenir. Il affirme viser à rendre « les Burkinabè fiers de ce qu’ils ont réussi » et, ailleurs, « que les futurs insurgés puissent se saisir de cette expérience particulièrement riche, pour leur donner courage et éventuellement les aider à prendre les décisions qui s’imposent aux moments décisifs. » Ce qui pourrait se révéler fort utile par les temps qui courent.
[1] Voir, entre autres, « Hong Kong : ces tactiques développées par les manifestants pour contrer la police », RFI, 08/2019
[2] Éditions Syllepse, 10/2019.