Survie

Présidentielle au Togo - Un air de déjà vu

rédigé le 26 novembre 2019 (mis en ligne le 6 février 2020) - Thomas Bart

En avril 2015, Billets d’Afrique publiait un dossier sur le Togo : « Togo : nouvelle parodie électorale en vue, la France doit enfin prendre ses distances ». Cinq ans auparavant, en février 2010, Survie publiait une lettre ouverte avec ses partenaires intitulée « Togo Élection présidentielle du 28 février 2010. Une nouvelle mascarade en perspective ». Faut-il rappeler les massacres lors de celle de 2005 ayant permis la succession dynastique qui mena au pouvoir Faure Gnassingbé ? A quelques mois de la présidentielle, sa voie est toute tracée pour un quatrième mandat à nouveau validé par la France et l’Union Européenne.

 [1]
En mai dernier, Faure Gnassingbé a fait passer son projet de révision de la Constitution par la chambre d’enregistrement du pouvoir qu’est l’Assemblée Nationale (90 votes pour sur 91 députés). Si cette réforme limite officiellement à deux le nombre de mandats présidentiels et instaure une élection à deux tours, elle permet surtout au fils d’Eyadama (qui fût au pouvoir pendant 39 ans) de se représenter pour deux mandats supplémentaires (cf. Billets n°288, été 2019). Depuis cette réforme et dans le but de s’assurer une victoire lors de la prochaine présidentielle - qui aura lieu entre fin février et début mars 2020 - le régime restreint plus que jamais les libertés et marges de manœuvre de la société civile et de l’opposition togolaise.
Au début de l’été, le parti au pouvoir (l’Unir) a rappelé son savoir-faire en matière de fraude électorale à grande échelle. C’est ainsi que lors des premières élections municipales organisées en 32 ans, l’Unir a raflé 895 des 1490 sièges sur le territoire. Brigitte Adjamagbo Johnson, de la coalition de partis politiques d’opposition « C14 » indique : « le régime encore une fois a usé de fraude, de bourrage d’urnes, d’achat de consciences. [...] Quand dans un bureau de vote, déjà à l’ouverture, le délégué de la C14 arrive et voit que l’urne est pratiquement remplie à moitié [...] C’est grotesque ce qui s’est passé. » (RFI, 8/07/19).

Une opposition en ordre dispersé

A l’approche de la présidentielle, les partis d’opposition ne se sont pas mis d’accord sur une stratégie commune comme ils l’avaient fait lors des dernières élections législatives fin 2018, et avancent donc en ordre dispersé. Situation idéale pour le pouvoir en place pour s’assurer une nouvelle victoire dans le cadre d’une élection qu’il pourra présenter comme libre... Jean Pierre Fabre, leader de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) et déjà candidat malheureux des deux dernières élections présidentielles, a annoncé sa candidature. Tikpi Atchadam du Parti national panafricain (PNP), à l’origine des importantes manifestations de 2017 (cf. Billets n°271, octobre 2017) et qui se trouverait en exil au Ghana (Jeune Afrique, 9/10), appelle toujours ses militants à « forcer  » Faure Gnassingbé à « renoncer à son projet » de se représenter. Quant à l’archevêque émérite de Lomé, Mgr Philippe Fanoko Kossi Kpodzro, à l’initiative d’une coalition de partis politiques mais sans les deux principaux partis d’opposition (l’ANC et le PNP), il demande à la fois une «  suspension immédiate  » du processus électoral et une candidature unique de l’opposition (Jeune Afrique, 15/11)...
Ils partagent néanmoins la demande d’une réorganisation de la Commission électorale nationale indépendante, d’une recomposition de la Cour constitutionnelle ou encore d’une modification du Code électoral… ce que le pouvoir en place refuse, au-delà de simples aspects cosmétiques.

Restriction des libertés

Se sentant vulnérable à la contestation populaire, le régime a fait passer une loi cet été restreignant fortement les manifestations publiques, désormais interdites avant 11h et après 18h, exclues de la plupart des lieux publics, avec la possibilité pour l’administration d’en limiter le nombre. Le ministre de l’administration territoriale explique que « Ces modifications apportées ont été faites en tenant compte des conséquences tirées des manifestations publiques que notre pays a connues depuis le 19 août 2017 » (Jeune Afrique, 8/08/19). Pour Spéro Mahoulé, le président du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (CACIT), il s’agit d’un recul de l’État de droit : « Il y a tellement d’endroits interdits que finalement les manifestations n’auront aucune incidence et donc c’est contraire aux libertés individuelles » (RFI, 8/08/19).
Autre signe de cette volonté de verrouillage par crainte de la contestation : l’interdiction d’entrer sur le territoire mi-octobre à 3 militants de Tournons la page (TLP), ressortissants de la CEDEAO, dont Maikoul Zodi (coordinateur de TLP Niger) et Alexandre Didier Amani (coordinateur de TLP Côte d’Ivoire). Ils venaient assister au lancement de la 10ème coalition TLP, celle du Togo, créée par le Front Citoyen Togo Debout (FCTD) et la Synergie de l’Intelligentsia pour des Actions en faveur des Droits de l’Homme (SIADH). La police des frontières a évoqué « des raisons d’État » (Amnesty International, 16/10/19).

L’UE et Paris tiennent le cap

Le 26 novembre a eu lieu la 20ème session du Dialogue politique Togo-Union européenne qui a permis notamment de dresser « le bilan des élections municipales », mais sans aucune remarque (du moins publique) sur les fraudes à grande échelle. L’UE se contente d’indiquer dans son communiqué final, pour la prochaine élection présidentielle, qu’elle souhaite qu’elle « se déroule dans les meilleures conditions de transparence, d’équité et de paix. ». Difficile de faire moins engagé. Par contre sur le plan sécuritaire, les membres de la délégation « ont réaffirmé leur plein soutien au Togo [...] pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent » ; et sur le plan économique, M. Bruno Hanses, Chargé d’affaires de la Délégation de l’UE indique : « Je voudrais souligner la forte convergence qui existe entre le Togo et l’UE sur le partenariat économique et commercial. Avec le suivi du Forum économique Togo-UE et la poursuite de la politique des réformes du gouvernement nous pouvons tenir le cap » [2] . Tenir le cap dans le soutien à un régime despotique depuis un demi-siècle.

[1Cedetim, Collectif de solidarité avec les luttes sociales et politiques en Afrique, Mouvement de la paix, Peuples solidaires, Survie

[2Délégation de l’Union européenne auprès de la République Togolaise, « 20ème session du Dialogue politique Togo – Union européenne », 26 novembre 2019.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 292 - décembre 2019
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