Après l’échec du coton Bt de Monsanto, les Burkinabè sont une nouvelle fois les cobayes des firmes de biotechnologies, cette fois avec des moustiques génétiquement modifiés
Le 1er juillet dernier s’est déroulé un lâcher de moustiques génétiquement modifiés, dans le village de Bana, commune de Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. L’organisation à but non lucratif se nomme « Target Malaria » (Objectif paludisme), dont les travaux sont portés par l’équipe d’Austin Burt, chercheur à l’Institute College de Londres depuis 2012.
Le but « louable » du projet est d’éradiquer la propagation du paludisme (malaria en anglais), une infection provoquée par une bactérie transmise aux humains par un groupe spécifique d’espèces de moustiques, les anophèles. Cette maladie a tué plus de 27 000 personnes en 2017 au Burkina Faso. Les Africain·e·s représentent 90 % des personnes contaminées, dont une grande partie des enfants meurent avant l’âge de 5 ans.
La contamination se faisant par la femelle du moustique Anopheles gambiae, beaucoup de méthodes de lutte ont été utilisées depuis les années 60, surtout des insecticides. Devant tous les moyens chimiques, les moustiques ont développé des résistances. Les nouvelles méthodes d’ingénierie génétique, notamment CRISPR-CAS9, offrent de nouvelles possibilités.
L’équipe de Burt est en partenariat avec l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) de Bobo-Dioulasso, dirigé par le Dr. Abdoulaye Diabat. L’idée est d’introduire une population de moustiques mâles contenant un gène spécifique qui induirait une descendance mâle à chaque reproduction ou une stérilité. Au bout de quelques générations, cette technique réduirait théoriquement la population de moustiques à néant. Cette technique visant à imposer la transmission d’un gène à toute la descendance s’appelle le forçage génétique.
Mais avant de libérer les mâles contenant le gène en question, l’équipe de Burt a besoin d’étudier la dissémination dans la nature du moustique responsable de la maladie. Pour cela, la première étape du projet s’est faite en juillet. 6400 anophèles mâles stériles contenant un gène de fluorescence, pour les repérer et les capturer ensuite, ont été lâchés (cf. Billets n°288, été 2019).
Ces captures sont effectués par les jeunes du village. Munis de tubes, ils se laissent piquer et capturent les moustiques pour 6 euros (4000 f CFA) par nuit. Ce salaire permet par la même occasion de mieux faire accepter un projet pour le moins controversé.
Après l’échec retentissant du coton Bt de Monsanto (cf. Billets n°268, juin 2017), les Bukinabè sont conscient·e·s des enjeux des OGM. Ils et elles se sont mobilisé·e·s en juin 2018 pour montrer leur opposition aux projets d’introduction de végétaux et désormais d’animaux génétiquement modifiés dans leur pays. La marche a été organisée par le Collectif citoyen pour l’Agro-Écologie (CCAE), composé d’une quarantaine d’associations paysannes et de la société civile. Toutefois, en septembre 2018, l’Agence Nationale de Biosécurité du Burkina Faso donne le feu vert à Target Malaria pour le premier lâcher de moustiques. Le porte-parole de la CCAE, Ali Tapsoba, dénonce cette décision prise sans débat public, dans une grande opacité et le manque de réponse aux questions des citoyen·ne·s. Il critique aussi l’emploi de jeunes comme « cobayes humains » pour les captures et que les populations ignorent l’enjeu du projet et ses risques. La médiatisation de l’opposition de la CCAE a fait monter les tensions dans les localités concernées. La crainte de l’annulation du projet incite les jeunes « captureurs » à défendre Target Malaria.
L’African Centre for Biodiversity (ACB), une organisation qui lutte contre l’introduction d’OGM en Afrique et pour la souveraineté semencière des paysan·ne·s, a publié un rapport critiquant le projet Target Malaria, en mettant en avant les risques sous estimés.
L’apparition de résistance au forçage génétique ne peut être exclu et donc il est impossible de prévoir le devenir des mutants. Le risque de transfert de gènes à une autre espèce reste possible. Comme on peut le lire sur le site de Target Malaria, « notre technologie cible spécifiquement les espèces d’anophèles et ne devraient pas affecter d’autres moustiques ou insectes ». C’est le moins que l’on peut espérer. Les risques sont d’autant plus grands qu’aucun retour en arrière n’est possible.
Au point de vue sanitaire, il n’y a aucune donnée. Si une femelle mutante s’échappe du laboratoire ou naît tout de même du croisement, quelles conséquences pour la transmission de la maladie ? Un accident de laboratoire n’est jamais exclu.
D’un point de vue éthique, on peut s’interroger sur la légitimité de scientifiques occidentaux de supprimer un groupe d’espèces de moustiques en Afrique...
Les porteurs du projet accompagnés de traducteurs locaux sont venus expliquer ce qu’est un OGM. Cependant, plusieurs villageois ont rapporté au quotidien anglais le Daily Telegraph (8/10) que leurs interlocuteurs n’ont exposé que les avantages du projet mais pas les risques pour les populations.
Le projet s’il se passe comme prévu ne peut toutefois éradiquer qu’une population localisée de moustiques. Or, une fois que la population locale de moustiques aura disparu, l’habitat restant vacant, une population de moustiques venue d’ailleurs, non touchée par la mutation, pourrait coloniser cet habitat. Pour éviter un retour à la case départ, il faudrait possiblement des milliers de lâchers à l’échelle de pays entier, voire plus... et potentiellement recommencer régulièrement. Il ne s’agit donc au final, de l’aveu des chercheurs, que de réduire la population de moustiques vecteurs de la maladie. Tout en maintenant un marché en constant renouvellement pour ces promoteurs de biotechnologies...
La seconde entité investissant le plus dans les recherches sur le forçage génétique n’est autre que l’armée américaine par le biais de son Agence pour les projets de recherche avancée de Défense (DARPA, en anglais) : le risque qu’une telle technologie soit utilisée comme arme biologique est pris très au sérieux par l’administration états-unienne. Celle-ci explique en effet sur sont site que le le projet « safe genes » (gènes sûrs) vise à développer des techniques de défense face à l’usage « intentionnel ou accidentel » de technologies de modifications génomiques, dont le forçage génétique fait partie [1] . La DARPA travaille aussi sur la protection des cultures agricoles dans le cadre du projet « insect allies » (insectes alliés) [2]. Il s’agit d’utiliser les insectes comme vecteur de virus pour transférer un gène à des plantes malades, tel un champ de blé dont la récolte risque d’être perdue, pour leur apporter une résistance à la maladie : c’est le projet de « thérapie génique », face à des maladies naturelles ou provoquées par une attaque biologique. Et évidemment, maitrîser une technique de défense à l’aide de ces outils, revient à en maîtriser un usage potentiellement offensif aussi.
Le premier cas de lâcher de moustiques génétiquement modifiés a été réalisé dès 2009 par la société britannique Oxitec. Celle-ci a travaillé dans plusieurs pays distincts touchés par le paludisme, le virus zika, le chikungunya ou la dengue, des maladies de zone tropicale véhiculées par plusieurs espèces de moustiques. Le bilan n’est pas réjouissant pour l’entreprise. Premièrement aux Îles Caïmans, où aucune régulation sur le sujet n’existait, l’entreprise a réalisé des lâchers en 2010 mais l’a annoncé publiquement qu’un an plus tard, une fois le programme terminé [3]. De plus, l’étude sur laquelle s’appuie Oxitec pour déclarer que la réduction des populations de moustiques est un succès a été faite par... Oxitec elle-même. Lors d’un second lâcher en 2016, des protestations citoyennes ont mis en lumière les risques du projet [4]. Pour finir, en novembre 2018, le gouvernement caïmanais a décidé d’arrêter de financer le projet d’Oxitec, dû aux coûts trop élevés [5]. Le manque de transparence des résultats n’a pas empêché d’autres pays de lancer un partenariat avec Oxitec, notamment la Malaisie. Là encore, Oxitec est accusée de ne pas avoir averti les populations de lâchers de milliers de moustiques transgéniques [6] [7]. Les autorités malaisiennes ont dû employer des insecticides pour éradiquer tous les moustiques mutants après qu’ils aient été lâchés [8]. Le programme fut arrêté en 2015, à cause du coût et du manque de résultats selon le gouvernement de Kuala Lumpur [9].
Le troisième pays où Oxitec a opéré est le Brésil, où l’opération est aussi un échec. En septembre 2019, la revue scientifique Nature, révèle une étude sur l’introduction de moustiques OGM stériles par Oxitec dans la ville de Jacobina, région de Bahia, avec le même but qu’au Burkina Faso. Une équipe américaine introduit un moustique génétiquement croisé avec une souche cubaine et mexicaine. Le taux de survie en laboratoire avoisine les 4 %, ce qui dans la nature représenterait une baisse conséquente de la population de moustiques, mais celle-ci n’est que temporaire. En effet, au fil des générations, la reproduction des 4 % de survivants amène à reconstituer la population à un niveau proche de l’antérieur. Les auteurs de l’article concluent que la nouvelle population de moustiques est désormais un croisement de trois souches (cubaine, mexicaine et la locale). Ce qui génétiquement confère une résistance potentiellement plus importante aux insecticides que la souche locale. Oxitec laisse donc un cadeau empoisonné aux populations locales.
Au regard du droit international, a-t-on le droit de diffuser des OGM sans l’avis des populations locales ? L’ONU a statué l’année passée, par le biais de la Convention on Biological Diversity sur les lâchers d’OGM. La proposition initiale soumise au vote était d’interdire ces lâchers dans la nature mais l’Union africaine (UA) a voté contre, sans tenir compte des contestations de la société civile. Le texte voté finalement indique que ces lâchers doivent être faits de manière limitée et avec l’accord « libre, préalable et informé » des populations locales – une terminologie déjà utilisée par exemple pour les accaparements de terres... L’Union africaine s’est appuyée sur un rapport de son organe de développement : l’agence de planification et de coordination du NEPAD, New Partnership for Africa’s Development. Le NEPAD, très contesté par la société civile africaine, est un programme libéral lancé en 2001 à l’initiative de l’Afrique du Sud, du Nigeria, de l’Algérie, de l’Égypte et du Sénégal, intégré quelques années plus tard à l’UA, qui promeut la mobilisation d’investisseurs, de partenaires commerciaux et de ressources extérieures pour répondre aux grands enjeux auxquels fait face le continent.
Pour émettre son rapport sur le forçage génétique, la NEPAD a reçu 2,3 millions de dollars de l’Open Philanthropy Project (fondation créée par un des co-créateurs de Facebook : Dustin Moskovitz). Cette fondation américaine finance également le projet Target Malaria à hauteur de 17,5 millions de dollars, mais elle n’est pas la seule. Dans les financeurs, on retrouve sans surprise la Fondation Bill et Melinda Gates, qui a « généreusement » alloué 75 millions de dollars au projet. Elle avait d’ailleurs financé Oxitec pour des essais aux États-Unis. Target Malaria ne compte pas s’arrêter au Burkina. Trois autres pays sont impliqués dans ce projet : le Mali, le Ghana et l’Ouganda.
Le Collectif Citoyen pour l’AgroÉcologie propose une alternative aux moustiques transgéniques : la tisane d’Artemisia. Il s’agit d’une plante avec des vertus anti-paludéenne. Cette plante est loin d’être inconnue. En 2015, la chercheuse chinoise Youyou Tu a obtenu le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur l’artémisinine, un extrait d’Artemisia, et ses effets sur le paludisme. Cependant, la prise de l’Artémisia en tisane peut avoir des résultats aléatoires et dangereux. La demande de recherche sur la tisane d’Artemisia par le CCAE est donc légitime mais n’est pas prise en compte par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Pourtant, cette plante pourrait être cultivée directement dans les villages et ainsi soigner à un coût dérisoire. Comment expliquer l’absence d’engouement pour cette plante par l’OMS ? L’OMS, qui a reçu plus de 2 milliards de dollars en 20 ans de la fondation Bill et Melinda Gates, a préféré soutenir la solution transgénique. La fondation des Gates est aussi actionnaire de la firme Monsanto (fusionnée récemment au groupe Bayer, géant des pesticides), qui cherche activement à imposer ses semences OGM. Actuellement, le cheval de bataille de Monsanto est l’introduction du niébé Bt, qui conférerait à ce haricot ouest-africain un gène produisant un insecticide. Et la fondation du fondateur de Microsoft soutient depuis longtemps le développement des OGM au Burkina, par exemple du sorgho transgénique (Cf. Billets n°204, été 2011), et sur le reste du continent africain, par exemple avec de la banane génétiquement modifiée (Cf. Billets n°237, été 2014) Comme le pointe le rapport de l’African Centre for Biodiversity, la préoccupation des multinationales et fondations américaines pour la santé des enfants africains pourraient cacher autre chose : une « stratégie de relation publique pour orienter le débat – sur le forçage génétique – loin des autres utilisations possibles qui ne gagnerait pas l’opinion publique », comme l’agriculture.
[3] F. MacLeod, « The optimal socialization of modified mosquitoes to combat infectious disease » (2019). Senior Capstone Projects. 922
[4] « Activists in US raise alarm over GM mosquitoes », Cayman News, 16/05/2016
[5] « Minister : No more funds for genetically modified mosquito program », Cayman Compass, 25/11/2018,
[6] F. MacLeod, op.cit.
[7] Lacroix R. et al. (2012) « Open Field Release of Genetically Engineered Sterile Male Aedes aegypti in Malaysia », PLoS ONE 7(8), e42771
[8] « GM mosquito project shelved », The Star, 6/03/2015
[9] Woo W.T., Koh H.L., Teh S.Y. (2020) « Achieving Excellence in Sustainable Development Goals in Sunway University Malaysia ». In : Leal Filho W. et al. (eds) Universities as Living Labs for Sustainable Development. World Sustainability Series. Springer, Cham.