Survie

Covid-19 : Macron et la 
diplomatie de la dette

rédigé le 15 avril 2020 (mis en ligne le 7 septembre 2020) - Pauline Imbach

Le président français a créé la surprise à la mi-avril en annonçant son intention de plaider pour l’annulation de dettes africaines. Une annonce généreuse, avec un air de déjà-vu, sur laquelle est revenue Pauline Imbach dans la dernière lettre du Comité pour l’annulation des dettes illégitimes (CADTM) : derrière l’écran de fumée, la promesse macronnienne pourrait surtout servir à contrer l’influence chinoise en Afrique et préserver les capacités de remboursement des dettes auprès de créanciers privés - dont les grandes banques.

Depuis 2011, la dette extérieure publique de l’Afrique a plus que doublé et atteint aujourd’hui 500 milliards de dollars. Son service [1] a suivi la même tendance et représente plus d’un quart des recettes de certains États (42% pour l’Angola). En moyenne, ce sont 13% des revenus des pays africains qui y sont consacrés et la situation va empirer, en particulier en Afrique subsaharienne où la croissance « devrait se rétracter fortement entre 2019 et 2020, passant de 2,4% à -5,1%, plongeant la région dans sa première récession depuis plus de 25 ans » [2].
L’Afrique connaît une chute drastique des cours de ses matières premières alors qu’elle est largement dépendante des revenus qu’elle tire de ses exportations, notamment pour obtenir des devises étrangères indispensables au remboursement de sa dette extérieure. La Zambie, deuxième producteur de cuivre en Afrique, a par exemple besoin de restructurer sa dette publique extérieure à hauteur d’1 milliards de dollars pour éviter la banqueroute, alors que depuis janvier 2020 le cours du cuivre a chuté de 24% (Le Monde, 21/03) et que le pays est tributaire à 75% de l’exportation de ses produits miniers.


La baisse des revenus des pays africains est encore renforcée par la crise mondiale qui engendre le rapatriement des capitaux financiers vers le Nord (Le Soir, 09/04/2020) : Les grandes entreprises et des fonds d’investissement ramènent leurs capitaux dans leur maison mère et les insèrent dans des schémas d’optimisation fiscale. S’ajoute à cela une chute des sommes envoyées par les migrants dans leur pays d’origine compte tenu de la diminution, voire de la disparition, de leurs revenus suite à l’arrêt d’une grande partie des activités économiques et du confinement au Nord. Selon la Banque mondiale, l’envoi des migrants pour l’ensemble des pays du Sud représentait 494 milliards d’euros en 2019, soit plus du triple de l’aide publique au développement, alors que plus de 700 millions de personnes au Sud sont directement tributaires de ces revenus (Le Monde, 15/12/2019).
Les pays dépendant des secteurs touristiques et/ou de la présence massive du personnel des ONG voient également une grande partie de leurs revenus disparaître, quand d’autres ont déjà été largement touchés par les guerres et les récentes attaques terroristes (comme le Burkina-Faso ou le Mali).
La situation actuelle semble sans appel : un grand nombre de pays du continent est au bord d’un défaut de paiement. En septembre 2019, le FMI rappelait que le Congo-Brazzaville, la Gambie, le Mozambique, la Somalie, le Soudan, le Sud Soudan et le Zimbabwe étaient en situation de défaut de paiement, tandis que 11 autres pays étaient en position de l’être [3].
Quand le 13 avril dernier Emmanuel Macron prononce le mot « annulation » au milieu d’un discours fleuve sur l’épidémie de Covid-19, la dette africaine redevient un sujet. Trois jours plus tard, le G20 annonce sans surprise non pas une annulation de la dette mais une suspension partielle de son service… Et en y regardant de plus près, cet accord, qui donnerait « des marges de manœuvre pour rapidement répondre à la crise » [4] n’est rien d’autre qu’un coup de com’ absolument abject.
Il s’agit en réalité d’un report, octroyé sur une partie de la dette des 77 pays classés parmi les plus pauvres et au cas par cas, de 8 mois de service de la dette dus entre le 1er mai et le 31 décembre 2020. Pour en bénéficier les pays doivent être en ordre de paiement à l’égard du FMI et de la Banque mondiale, sous-entendu, ils doivent être considérés par les créanciers comme de bons élèves. Ce report ne concerne que la dette bilatérale (à l’égard des États) soit 12 milliards de dollars sur les 32 milliards prévus pour 2020 (Le Soir, 16/04/2020). Dans le même temps, les pays vont continuer à rembourser les créanciers privés (dont les grandes banques) qui détiennent 8 milliards de créances, et dont l’effort se fera sur base du volontariat (c’est beau !) et les créanciers multilatéraux (12 milliards de dollars pour la Banque mondiale). Enfin, le remboursement prévu en 2020 pourra être reporté jusqu’à 2022 et échelonné sur trois ans, entraînant... un léger surcoût des futurs remboursements ! En 2022, 2023 et 2024, les pays devront rembourser le service de la dette de l’année en cours plus celui de l’année 2020 étalée sur les 3 ans. In fine, « les paiements de dettes ainsi reportés seront majorés de 12,3 milliards de dollars, passant de 23 milliards à 35,3 milliards ! »(Le Soir, 16/04/2020) Ce qui pousse sans doute Bruno Le Maire à qualifier cette initiative d’« avancée majeure » (Le Monde, 16/04)...
Rappelons tout de même que le montant global de la dette des pays éligibles à l’initiative du G20 est estimé à un peu plus de 750 milliards de dollars, soit 1 % du PIB du G20 de 2019 (78 286 milliards dollars) (Ecofin, 19/04), moins que le plan d’aides adopté par le parlement allemand (1100 milliards d’euros) ou que celui des États-Unis (2000 milliards de dollars) pour faire face à la crise du Covid-19 dans leur pays… une goutte d’eau dans l’océan de la finance ! L’annulation pure et simple, sans condition, de la dette est économiquement tout à fait possible mais il n’y a aucune volonté politique pour aller dans ce sens. L’enjeu des négociations de ces derniers jours n’a rien à voir avec des préoccupations humanistes, l’épidémie est une toile de fond dont les créanciers tirent parti pour mettre en place une gestion de la crise de la dette des pays du Sud à leur avantage, notamment à travers une reprise en main de la question par les créanciers historiques.
Depuis 2005, la structure de la dette extérieure africaine a en effet largement évolué. Les pays émergents (Chine, Inde, Koweït ou Arabie Saoudite) sont devenus des bailleurs essentiels ; la Chine détient ainsi à elle seule 40% de la dette africaine dont 20% de la dette publique pour un montant de 145 milliards de dollars. Avec la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), elle est devenue un acteur incontournable du financement des grands projets, supplantant la Banque mondiale sur ce marché.


Enfin, les marchés financiers ont acquis une part importante des titres de la dette souveraine (eurobonds). Les créanciers privés détiennent aujourd’hui près de 40% de la dette extérieure publique africaine. En 2018, ils percevaient 55% des paiements d’intérêts extérieurs, alors que les créanciers traditionnels comme les pays membres du Club de Paris, dont la France assure actuellement le secrétariat général, n’en représentent plus que 28%, contre 17 % pour les institutions financières internationales, Banque mondiale et FMI en tête (voir Dette & développement, 18/03/2020). Ainsi, quand l’Afrique rembourse sa dette publique extérieure plus de la moitié des fonds est destinée aux créanciers privés et il n’est pas question pour eux d’envisager un défaut de paiement.
Et le risque est tel, que même la Chine, qui a toujours fait cavalier seul, a accepté de discuter avec le Club de Paris et le G20 qui ont su saisir l’opportunité pour réaffirmer leur influence et tenter une nouvelle distribution des cartes. Les grands gagnants de cette rencontre élargie sont donc les créanciers, et en particuliers les créanciers privés. Comme lors de la crise financière de 2007, où les banques avaient été sauvées par l’injection massive d’argent public, le G20 vient d’envoyer un signal fort au marché de capitaux et aux créanciers en offrant des garanties à hauteur de 1000 milliards de dollars. « La France félicite le FMI, la Banque mondiale et les banques multilatérales de développement pour leur mobilisation rapide dans la crise. (…) Le FMI est prêt à mobiliser 1000 milliards de dollars (...) La Banque mondiale et les banques régionales de développement ont déjà mis à disposition plus de 200 milliards de dollars (…) La France a encouragé les institutions financières internationales à aller plus loin encore dans leur réponse, par la mise en place de nouveaux outils. Les ministres des Finances du G20 ont pris une décision majeure aujourd’hui en encourageant le FMI à introduire des lignes de liquidité de court terme pour accompagner les pays qui rencontrent des difficultés de liquidité temporaires » [5].
Ainsi, les créanciers peuvent dormir tranquilles, avec ces nouveaux mécanismes leurs créances seront honorées et le cercle vicieux de la dette est conforté, car les fonds « mis à disposition » ne sont pas des dons… Ce sont de nouvelles dettes qu’il faudra toujours et encore rembourser ! Les décisions économiques qui viennent d’être prises constituent un nouveau piège pour le continent africain, les pays les plus pauvres et, plus largement, pour l’ensemble de l’humanité. Car la crise sanitaire a permis de démontrer clairement que nous sommes tous sur le même bateau. De nombreuses études mettent en corrélation les causes profondes de la pandémie de Covid-19 au système de surexploitation des sols et des ressources à l’échelle internationale. Le mécanisme de la dette est fondé sur un système extractiviste et productiviste sans limite, sans la surexploitation des ressources la dette ne peut existe [6]. Il faut donc changer radicalement de paradigme : annuler les dettes publiques, il en va de la survie de tous.
Pauline Imbach

[1Service de la dette : somme des intérêts et de l’amortissement du capital emprunté.

[2Africa’s Pulse, rapport semestriel de la Banque mondiale, 9/04/2020.

[3Milan Rivié, « Nouvelle crise de la dette au Sud », CADTM, 12/08/2019. Liste des onze pays africains à haut risque de surendettement : Burundi, Cameroun, Cap vert, Djibouti, Éthiopie, Ghana, Mauritanie, RCA, Sierra Leone, Tchad et Zambie. Ici, la liste complète au 11/2019.

[5CP Réaction de Bruno Le Maire suite à la réunion virtuelle du G20finances, 15/04/2020 https://www.economie.gouv.fr/reunion-virtuelle-g20-finances

[6Sur ce sujet : Nicolas Sersiron, « Pourquoi l’annulation massive des dettes africaines n’aura pas lieu », CADTM, 22 avril 2020

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 297 - mai 2020
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