Survie

Les nouveaux APE maintiennent la domination européenne en Afrique

rédigé le 3 juillet 2020 (mis en ligne le 6 novembre 2020) - Billets d’Afrique et d’ailleurs...

Après presque 20 ans de négociations et malgré des critiques ou oppositions dans quasiment tous les pays concernés, l’Union européenne (UE) persiste sur son projet d’accords de partenariat économique (APE) avec l’Afrique. Un nouveau mandat de négociation a été adopté au niveau européen. Retour sur cette actualité et son contexte grâce à cet article inspiré d’une publication du site Bilaterals.org

L’Union européenne a sorti un nouveau mandat de négociation pour des accords de partenariat économique. On pouvait espérer qu’il sonne le glas de plusieurs décennies de politiques commerciales néocoloniales. Mais c’était mal connaître ce qui se trame à Bruxelles, et dans d’autres capitales européennes. L’Union pousse en effet son mantra néolibéral encore plus loin (oui c’est possible !).
Petit rappel historique. En 2002, l’Union européenne a adopté un mandat de négociation pour la conclusion d’ accords de partenariat économique avec 76 pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), dont plus de la moitié étaient, à l’époque, des pays les moins avancés. Les pays ACP avaient accepté, dans le cadre du nouveau partenariat signé en 2000 à Cotonou, de négocier des accords commerciaux compatibles avec l’Organisation mondiale du commerce (OMC), car celle-ci interdisait les accords non-réciproques [1], tels que les accords de Lomé qui régissaient les relations commerciales entre l’UE et 46 pays d’Afrique depuis 1975.
Pour les pays ACP, ces APE devaient porter sur le commerce des marchandises et préserver l’accès préférentiel au marché européen dont ils bénéficiaient, mais qui avait été jugé incompatible avec l’OMC (parce qu’ils étaient discriminatoires à l’égard des pays en développement non-ACP). Vœux pieux. L’UE a finalement approuvé un mandat de négociation pour des accords complets, c’est-à-dire incluant les services, les investissements, l’accès aux marchés publics, la propriété intellectuelle, etc. Cette initiative a été dénoncée par la plupart des pays ACP et avait déclenché une campagne « Stop APE » à l’échelle de l’UE et des pays ACP.

Non aux APE !

Le décalage entre le mandat de l’UE, et le mandat et les attentes des ACP, a conduit à des négociations très tendues et difficiles, qui ont engendré beaucoup de frustration et peu de résultats. À la date limite initiale des négociations, le 31 décembre 2007, une seule région, les Caraïbes (15 pays), a accepté un APE complet.
Depuis lors, l’UE a continué à faire pression pour la mise en place d’APE complets jusqu’en 2009, date à laquelle la Commissaire au commerce de l’époque, Catherine Ashton, a dû finalement promettre au Parlement européen de ne négocier les questions non-liées aux marchandises qu’avec les pays qui le souhaitaient. Malgré cela, cinq ans plus tard, les pays ACP n’ont toujours pas ratifié les APE intérimaires pour leurs marchandises seules, et la Commission européenne a dû les menacer de leur retirer l’accès préférentiel au marché de l’UE, afin de leur forcer la main.
Aujourd’hui, coté africain, une quinzaine de pays ont ratifié l’accord, la plupart dans le cadre des accords intérimaires portant uniquement sur les marchandises, afin de garantir la poursuite de leurs exportations. Les autres n’ont toujours pas accepté.

L’Afrique orientale 
et australe mène la danse

Récemment, la région d’Afrique orientale et australe, composée des Îles Maurice, Seychelles, Madagascar, Comores et Zimbabwe, a approché l’UE pour élargir et approfondir son APE intérimaire et l’amener au niveau de l’APE des Caraïbes. Les négociations ont été lancées en octobre 2019, et un premier cycle de négociations a eu lieu les 14 et 15 janvier dernier aux Seychelles.
Pendant ce temps, le 19 décembre 2019, l’UE a adopté un nouveau mandat de négociation lors de la dernière réunion du Conseil des ministres de l’UE de l’année. Aucun communiqué de presse ou annonce du nouveau mandat n’a été fait depuis lors. Malgré la demande explicite des États membres de l’UE de le rendre public, il n’a pas encore été publié sur le site web de la Commission européenne, comme c’est normalement le cas.
Toutefois, le mandat a pu être trouvé en fouinant dans les archives en ligne du Conseil européen, et est maintenant aussi disponible sur bilaterals.org.

Nouveau mandat,
 nouveaux dangers

Le nouveau mandat est en fait une révision du mandat de 2002. Il a une portée beaucoup plus large que son prédécesseur, car il intègre tout ce que l’UE a inscrit dans ses accords de libre-échange depuis celui conclu avec le Canada en 2016, le CETA. Sont inclus le commerce électronique, les disciplines réglementaires, la facilitation des investissements et des échanges, des règles étendues sur la propriété intellectuelle, les chapitres complets sur les obstacles techniques au commerce et les mesures sanitaires et phytosanitaires, et le règlement des différends entre investisseur et Etat, système d’arbitrage qui permet aux entreprises d’attaquer un Etat si une nouvelle mesure, d’intérêt public par exemple, pose une menace aux profits potentiels d’un investissement. Ce serait un accord complet qui s’attaquerait donc à des pans très vastes des règlements qui régissent la société, au-delà du commerce en tant que tel.
En 2002, l’UE a été le premier bloc de pays riches à négocier des accords de libre-échange réciproques avec des pays les moins avancés. Aujourd’hui, elle est en passe d’être la première à conclure un accord commercial approfondi et complet de nouvelle génération avec ces pays. Annoncés depuis 2007, les APE 2.0 ne sont donc plus un épouvantail tant redouté mais sont sur le point de voir le jour. Comment ces pays pourront-ils y faire face ?
Cet article s’inspire d’une
publication du site bilaterals.org

[1Un accord est non-réciproque lorsqu’un pays offre à un autre un accès à son marché à des conditions plus favorables que celles du tarif douanier en vigueur, sans exiger de lui un accès réciproque à son marché.

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