Survie

Coups d’Etat

rédigé le 14 septembre 2020 (mis en ligne le 30 septembre 2020) - Thomas Noirot

Lorsque le peuple biélorusse descend massivement dans la rue pour défier le régime qui l’oppresse avec le soutien d’un puissant parrain impérialiste, un profond sentiment de solidarité s’exprime assez naturellement à son endroit. Mais que la scène se produise plus loin des frontières européennes et, surtout, avec la France dans le rôle de la puissance tutélaire, et la réaction est plus contrastée. Et si demain un groupe d’officiers biélorusses décidaient d’arrêter les hauts gradés, les ministres et le président illégitime pour le pousser à la démission, acclamés par une foule unanime, parlerait-on de coup d’État ?
Un coup d’État se caractérise par le renversement d’un régime en place par un groupe d’individus, militaires ou non. Le terme est ainsi délaissé lorsque la rue s’embrase totalement pour « dégager » un potentat, comme Ben Ali en Tunisie en 2011. La question n’est donc pas l’implication de quelques militaires clé – une partie d’entre eux finit toujours par se retourner – mais de savoir si ceux-ci suivent leur propre agenda ou se rallient à une vaste dynamique insurrectionnelle qui les dépasse. Ainsi, en 2011, le ralliement tardif des généraux égyptiens au mouvement porté depuis la place Tahrir n’a jamais été considéré comme un coup d’État, contrairement au renversement du président Mohamed Morsi par les mêmes, deux ans plus tard. Au Burkina Faso, malgré quelques exceptions dans les premiers jours, plus personne ne dénonce un coup d’État militaire au sujet des officiers qui ont répondu à l’appel de leaders de la société civile à prendre leurs responsabilités, fin octobre 2014, alors que la rue faisait vaciller le régime de Blaise Compaoré : c’est bien l’insurrection populaire qui emporta la dictature françafricaine, née d’un coup d’État sanglant 27 ans plus tôt. A l’inverse, en Guinée et en Côte d’Ivoire, de vieux présidents au pouvoir depuis dix ans cherchent actuellement à jouer les prolongations et parent leur « candidature » à ces deux scrutins présidentiels d’octobre de tous les atours juridiques pour leur donner une apparence légale. Si ces élections ont lieu, donc si la rue et/ou un noyau d’officiers n’entravent pas le processus, ils seront « réélus » ; et, sans renversement du régime établi, aucune chancellerie occidentale ne dénoncera de « coup d’État », malgré l’évident coup de force constitutionnel et électoral.
Le Mali d’Ibrahim Boubakar Keïta (IBK) est certes difficilement comparable à la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko – contrairement à certaines dictatures françafricaines comme le Cameroun, le Tchad ou le Togo, qui rivalisent de violence politique. Mais c’est bien au Mali que des mobilisations massives ont poussé un groupe d’officiers à renverser des dirigeants corrompus et portés à bout de bras par la France depuis 2013, et que la rue a salué avec joie et émotion ce coup de force derrière lequel l’armée toute entière s’est rangée. Si c’est indéniablement un échec pour les processus électoraux mis en place dans ce pays depuis Paris ces sept dernières années, on ne peut pas en dire autant pour la démocratie : seul l’avenir dira si ces putschistes ont rendu au peuple malien, soixante ans après l’indépendance formelle du pays, la souveraineté que lui confisque la politique française.
Billets d’Afrique publie ce mois-ci son 300ème numéro, vingt-sept ans après sa création par François-Xavier Verschave. Depuis, l’Afrique a connu au moins 23 coups d’État, dont 20 dans la zone d’influence française [1]. Si Paris n’est pas systématiquement complice, ces chiffres révèlent néanmoins que les coups d’État « africains » ont quelque chose de très francophone. Ou, en d’autres termes, que la politique d’influence française a été et reste un catalyseur de coups d’État : soit en les sponsorisant directement, comme aux Comores ou au Congo, soit en menant à cette extrémité des trajectoires nationales bloquées dans l’impasse de la Françafrique.

[1Voir le recensement et l’infographie réalisés par Kalidou Sy (@kalidoo) sur son blog, « Coups d’État en Afrique depuis 1987 »

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 300 - septembre 2020
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