Survie

Un coup d’oeil dans le rétroviseur Mali : une histoire française

rédigé le 10 septembre 2020 (mis en ligne le 1er décembre 2020) - Odile Tobner

L’histoire du Mali et de la France est une histoire de domination coloniale puis néocoloniale dont le pays actuel supporte encore les séquelles, marquée par de nombreux massacres, par l’exploitation des personnes et le pillage des ressources, mais aussi par des résistances. La voici résumée.

L’histoire de la colonisation du territoire du Mali actuel, ancien Soudan français, commence quand les Français prennent pied au Sénégal en 1659, où ils établirent le comptoir de Saint-Louis. La côte occidentale de l’Afrique était le point de départ de la déportation transatlantique des esclaves. Après la déclaration d’abolition de la traite négrière, la France se tourne vers la conquête de l’intérieur de l’Afrique.

Face aux résistances, une conquête coloniale meurtrière

C’est l’œuvre du chef de bataillon Faidherbe, nommé gouverneur du Sénégal en 1854, qui conquiert tout l’intérieur du Sénégal et fonde une « armée noire », destinée aux futures conquêtes. Il crée aussi à Saint-Louis la première « école des otages », où les chefs sont contraints de mettre leurs enfants pour apprendre le français. Lorsque Faidherbe, nommé général, quitte le Sénégal en 1865, il a poussé l’occupation française jusqu’à Médine, dans la région de Kayes, dans la haute vallée du fleuve Sénégal, premier territoire du futur Mali, où il a fait construire un fort. Son but est de faire la jonction avec la haute vallée du fleuve Niger, tandis que les Anglais conquièrent cette vallée par le delta du Niger et occupent le territoire du futur Nigeria.
Le capitaine Galliéni, qui prend la tête des tirailleurs sénégalais à Dakar en 1876, continue cette mission d’exploration dans le nouveau territoire du Haut-Niger jusqu’en 1888. Il essuie d’abord un cuisant échec. Mis en déroute par les guerriers Bambaras en 1880 et fait prisonnier, il est libéré et négocie le droit de navigation sur le Niger. En 1882 il crée une école des otages à Kayes. En 1883 il est nommé commandant supérieur du Haut-Fleuve, territoire militaire dont la capitale est Médine. Cette même année les troupes françaises, après avoir brisé la résistance des Bambaras, atteignent Bamako. La guerre est menée contre le chef Malinké Samory, auquel se heurte l’avancée de l’armée française, mais ce dernier est chassé de la rive gauche du Niger. La répression contre les insurgés autochtones est implacable.
À partir de 1888 des expéditions de navigation fluviale explorent le cours du Niger jusqu’à Ségou, Mopti puis enfin Tombouctou. En 1890 cette région est érigée en territoire militaire sous le nom de Soudan français qui devient en 1892 une colonie avec Kayes pour capitale. En 1898 une expédition menée par le capitaine Gouraud sur la rive droite du Niger attaque et prend Sissouko, poursuit et capture Samory, achevant la conquête du Soudan français. Bamako devient la capitale en 1899. Le Soudan français est inrégré à l’AOF (Afrique occidentale française).
C’est à ce moment, dans les premiers mois de 1899, que s’illustra de façon sinistre la mission Voulet-Chanoine, du nom des deux capitaines qui la commandaient. Ils étaient chargés, partant du Sénégal, de rallier le Tchad où ils feraient la jonction avec deux autres missions l’une partant d’Algérie, l’autre du Congo français. La route de cette mission fut jalonnée des massacres les plus atroces à travers le pays Mossi, à l’est du Mali actuel, au point que le gouvernement envoya pour l’arrêter le lieutenant-colonel Klobb qui commandait la garnison de Tombouctou. Les deux capitaines firent tirer sur leurs poursuivants et tuèrent Klobb avant d’être exécutés eux-mêmes par leurs troupes mutinées. Cet épisode donna lieu à une interpellation du gouvernement par le député de l’Hérault Vigné d’Octon, auteur d’écrits anticolonialistes.

Domination et exploitations pendant la période coloniale

La colonie du Soudan français change temporairement de nom et de configuration entre 1904 et 1919 et devient la colonie du Haut Sénégal et Niger. Pendant la première guerre mondiale des révoltes ont lieu contre les recrutements forcés et massifs de « tirailleurs sénégalais » qui sont en grande partie des Bambaras de la région de Bamako. Au XXème siècle, après les années de conquête militaire brutale, la traite coloniale s’organise, sur la base du « Code de l’indigénat » et du travail forcé. Suivant le programme tracé par Faidherbe pour l’acheminement des ressources locales vers la « métropole », un chemin de fer est construit, d’abord de Kayes à Bamako pour relier le bassin du Sénégal à celui du Niger, puis de Dakar à Bamako. Or, coton, arachides peuvent ainsi être acheminés à moindre coût. Le pillage s’exerce aussi sur les biens culturels. L’expédition ethnologique Dakar-Djibouti, organisée par l’État et dirigée par Marcel Griaule a pour mission, en 1931-1932, de rapporter des documents ethnographiques. Ainsi 3000 objets, certains achetés à vil prix, la plupart réquisitionnés et confisqués sous la menace, viendront enrichir le musée ethnographique du Trocadéro, dont les collections sont aujourd’hui au musée Branly-Jacques Chirac. Le récit éloquent de cette expédition a été fait par l’un de ses participants, Michel Leiris dans l’Afrique fantôme. C’est à ce moment que Griaule découvre les Dogons à Bandiagara au Soudan français. Il reviendra à plusieurs reprises compléter son enquête [1].

Une émancipation entravée, notamment par la France

La seconde guerre mondiale est l’occasion à nouveau de levées de troupes, malgré les résistances locales. La démobilisation donne lieu à une violente répression des revendications des anciens combattants. Le massacre du camp de Thiaroye au Sénégal [2] a frappé, entre autres, bon nombre de Soudanais. Mais après la guerre la donne change. Des mouvements et des revendications politiques naissent, imposant une évolution des institutions. Des représentants des colonies siègent à l’Assemblée de l’Union française, qui n’est que consultative, mais aussi à l’Assemblée Nationale. C’est le cas du Soudanais Modibo Keita, instituteur, leader syndical critique de la colonisation. En 1946, après un demi-siècle de colonisation, le nombre des « lettrés » soudanais est infime. Aucun n’a accédé à l’enseignement supérieur. L’école William Ponty à Dakar formait des cades subalternes pour l’enseignement, la médecine, l’administration. Elle ne délivrait aucun diplôme reconnu en métropole. Ses anciens élèves seront le vivier des futurs dirigeants africains.

Carte de la Fédération du Mali, diffusée en 1960 sur RTF Télévision

En 1958, dans le cadre de la « Communauté » instaurée par la constitution de la Vème République, Modibo Keita tente de créer, entre le Sénégal, le Soudan français, la Haute-Volta et le Dahomey, la Fédération du Mali, du nom de l’ancien Empire du Mali, florissant sur ce territoire aux XIIIème et XIVème siècles. La Haute-Volta et le Dahomey se retirent sous la pression des Français et de l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, partisans d’entités politiques séparées qui atomisent l’ex-AOF. La Fédération du Mali constituée en avril 1959 par Le Sénégal et le Soudan français a pour président Modibo Keita et pour vice-président le Sénégalais Mamadou Dia. Lorsque l’éphémère Communauté disparaît, l’indépendance de la Fédération est proclamée le 20 juin 1960 par Senghor, président de l’assemblée fédérale. Des dissensions apparaissent immédiatement dans la répartition des pouvoirs et le Sénégal proclame alors son indépendance le 20 août, le Soudan français, sous le nom de République du Mali, proclame la sienne le 22 septembre [3].

Le président malien Modibo Keita en visite à une usine automobile à Modibor (Slovénie),
 alors en Yougoslavie, le 20 juin 1961

Modibo Keita avait une ambition d’indépendance pour le Mali et un programme socialiste et panafricain. Il dut vite déchanter. La catégorie des « lettrés » qui hérita du pouvoir forma vite une classe d’apparatchiks plus soucieux d’accaparements et de privilèges que du bien commun. Malgré les avertissements de Modibo Keita contre la corruption, la situation économique du pays se dégrada. Le franc malien, instauré en 1962, suivit l’affaiblissement de l’économie. Le coup d’État militaire au profit de Moussa Traoré de 1968 ne rencontra guère de résistance. Le Mali rejoint le FCFA en 1984. Moussa Traoré est lui-même renversé en 1991 par un militaire. Depuis le Mali a connu deux interventions des militaires, en 2012 et en 2020. Les causes sont toujours les mêmes, incompétence et corruption du pouvoir. Chaque fois, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la situation empire. Aujourd’hui le Mali cumule ce triste bilan avec les maux de l’ingérence de la France, revenue en force à l’occasion de la contagion régionale du chaos libyen, et de la guerre civile.

Odile Tobner

[1Voir à ce sujet Peuples Noirs Peuples Africains n°13 p. 18 à 28 (disponible sur https://mongobeti.arts.uwa.edu.au/issues/pnpa13/pnpa13_02.html )

[2Massacre de centaines de « tirailleurs sénégalais » dans un camps de l’armée française près de Dakar le 1er décembre 1944, qui réclamaient le versement de leur solde

[3C’est cette date, le 22 septembre, qui est donc depuis célébrée comme Jour de l’Indépendance.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 300 - septembre 2020
Les articles du mensuel sont mis en ligne avec du délai. Pour recevoir l'intégralité des articles publiés chaque mois, abonnez-vous
Pour aller plus loin
a lire aussi