Survie

Pétrole ougandais : mensonges, répression
 et coopération militaire

rédigé le 24 mai 2021 (mis en ligne le 30 août 2021) - Pauline Tétillon

Alors que Total poursuit son méga projet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie, les oppositions s’amplifient tant au niveau local qu’international. En miroir les pressions et intimidations contre les opposants se font de plus en plus intenses, visant désormais aussi les journalistes internationaux qui se rendent sur place, le tout dans un contexte de militarisation de la zone pétrolière avec l’appui… de la France !

Le 11 avril 2021, Patrick Pouyanné, PDG de Total, s’est rendu en personne en Ouganda afin de signer trois accords majeurs avec les présidents ougandais et tanzaniens, concernant l’EACOP, l’oléoduc chauffé le plus long du monde devant acheminer le pétrole extrait aux abords du Lac Albert jusqu’à l’Océan Indien. Qualifiant ces projets « d’importants créateurs de valeur pour l’Ouganda et la Tanzanie  » et s’engageant à « mettre en œuvre ces projets de manière exemplaire et en toute transparence  » [1], Patrick Pouyanné s’acharne à nier les conséquences catastrophiques du projet pourtant largement documentées.

Total sous le 
feu des projecteurs

Après une campagne de promotion des prétendus bienfaits de son projet pétrolier pour l’Ouganda, soutenue par l’ambassade de France à Kampala (cf. Billets n°302, novembre 2020), Total a publié début mars 2021 des documents sur son site web pour tenter de montrer patte blanche dans la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux du projet. En vain. Dans une note publiée le 12 avril, l’Alliance STOP EACOP, une coalition soutenue par 260 ONG ougandaises et internationales lancée début 2021, a démonté point par point les arguments de Total, en s’appuyant sur de nombreux rapports, études, témoignages. Elle met en lumière les affirmations fallacieuses de Total, qui parle de « 10 emplacements » de puits dans le parc national des Murchison Falls alors qu’il s’agit de 10 plateformes de forage mais au moins 132 puits, ou encore qui annonce la création de 58000 emplois dont 11000 emplois directs, alors qu’elle avait annoncé en 2020 à OXFAM 4000 emplois directs pendant la phase de construction, et seulement 200 à 300 sur le long terme. Forte de ces arguments, l’alliance STOP EACOP a lancé une campagne pour dissuader les plus grandes banques privées mondiales de participer au financement pas encore bouclé du projet. Ainsi, comme d’autres banques internationales, trois des plus grosses banques françaises, la BNP, la Société Générale et le Crédit agricole, se sont publiquement engagées à ne pas suivre Total (Les Echos, 21/04/21).

Arrestations

Le 25 mai, alors qu’ils allaient à la rencontre des communautés impactées par le projet pétrolier, la journaliste italienne Federica Morsi accompagnée de Maxwell Atuhura, défenseur des droits travaillant pour l’ONG ougandaise AFIEGO [2], ont été arrêtés par les autorités locales. La journaliste italienne a été relâchée dans la journée, après avoir été menacée et priée de quitter la zone pétrolière. Maxwell a quant a lui été maintenu en détention de manière arbitraire et illégale sous prétexte de « rassemblement illégal ». Après avoir été menacé et longuement interrogé sur ses activités en lien avec des ONG internationales, il a été relâché sous caution au bout de plus de 48h. La mobilisation pour sa libération a été particulièrement importante : de la population locale réunie devant le commissariat et obligeant les autorités à transférer Maxwell dans une autre localité, à celle d’avocats ougandais, en passant par des ONG locales et internationales, jusqu’à des appels lancés par l’observatoire de la protection des défenseurs des droits de l’homme ou le rapporteur spécial des Nations Unies sur l’environnement et les droits humains. Même Total, dont l’Assemblée Générale avait lieu à Paris deux jours après l’arrestation, s’est sentie obligée de réagir : Patrick Pouyanné a déclaré avoir écrit une lettre au président Museveni à ce sujet. Il est vrai que cela fait tâche au milieu de la communication de Total, qui aura du mal à faire croire qu’elle ignore encore le caractère autoritaire de son partenaire dans ce projet.

Maxwell Atuhura en détention le 27 mai au matin, avant sa libération. © Les Amis de la Terre France

Militarisation 
de la zone pétrolière

Les intimidations, menaces et arrestations contre les opposants au projet pétrolier ne sont pas nouvelles, et ne font que s’amplifier. Déjà, la création d’une police pétrolière au début du projet par le pouvoir ougandais indiquait qu’il n’entendait pas laisser de place à la contestation. C’est désormais une militarisation accrue de la zone qui est en cours. Selon Africa Intelligence (19/04) 600 soldats ont été positionnés dans la zone pétrolière « en appui aux Special Forces Command dans les mains du fils du président, Muhoozi Kainerugaba, en charge notamment de la protection des blocs pétroliers de Total et de Cnooc  ». Leur présence est justifiée par la présence d’un groupe armé de rebelles ougandais basé en RDC qui pourrait menacer les installations pétrolières. S’y sont ajoutés, toujours selon Africa Intelligence (24/05), 700 soldats de l’Uganda People’s Defence Forces, une brigade « formée par des militaires français de la 27e brigade d’infanterie de montagne, unité alpine française ». De là à faire le lien entre la coopération militaire développée ces dernières années par la France avec l’Ouganda et la protection des installations de Total, il n’y a qu’un pas.
Pauline Tétillon

[1Communiqué de presse de Total, 12/04/2021

[2AFIEGO est une des 4 ONG ougandaises parties prenantes de l’action judiciaire menée en France contre Total

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 308 - juin 2021
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