Survie

« Barkhane vous protège »

rédigé le 5 décembre 2021 (mis en ligne le 7 janvier 2022) - Raphaël Granvaud

 [1] Un convoi de Barkhane à destination de Gao au Mali, a été bloqué à plusieurs reprises par la population en colère. Au Burkina Faso d’abord, puis au Niger. Des témoignages concordants indiquent que les militaires français ont fait usage de leurs armes à deux reprises pour libérer le passage. Au Burkina Faso, on compte cinq blessés par balle et plusieurs témoins cités par Libération (25/11) affirment qu’une militaire française a tiré en rafales vers le sol après des tirs de sommation infructueux. Version démentie par l’état-major à Paris. Au Niger, un communiqué du ministère nigérien de l’Intérieur a immédiatement reconnu « un usage de la force » qui a entraîné « deux morts et dix-huit blessés dont onze graves ». Mais il s’abstient de préciser qui porte la responsabilité de ces tirs. Là encore, ces derniers sont attribués aux militaires français par des témoins interrogés séparément (Libération, 02/12). L’état-major concède que « les soldats français ont dû ouvrir le feu en tirant cette fois vers le sol face à une foule hostile et menaçante », mais assure qu’« aucun tir direct n’a été effectué ».
Même si des enquêtes indépendantes restent nécessaires pour établir précisément le détail des faits, ces premières informations auraient déjà dû déclencher un séisme dans la classe politique française et lancer un véritable débat sur les effets de la présence militaire française au Sahel. Au lieu de ça, le ministre des Affaires étrangères s’est contenté de mettre l’hostilité à la force Barkhane sur le compte « des relais d’opinion qui font aujourd’hui aussi de la guerre informative » (Le Monde, 22/11).
Au Burkina comme au Niger, les jeunes qui ont pris à partie le convoi de Barkhane étaient en effet sincèrement convaincus que les militaires français transportaient des armes pour les djihadistes, rumeur omniprésente sur les réseaux sociaux depuis des mois. Mais le crédit croissant donné à ces mensonges ne s’explique pas par l’activisme de trolls à la solde d’autres puissances étrangères : il est d’abord le symptôme et la conséquence d’une colère plus profonde contre l’ancienne puissance coloniale et des gouvernements qui paraissent à sa solde. Depuis 8 ans, en dépit des annonces récurrentes sur les « succès tactiques » contre les djihadistes, ils sont en effet incapables d’empêcher la situation sécuritaire de se dégrader toujours davantage. Les Maliens et les Burkinabès voient leurs militaires démunis et abandonnés par leurs hiérarchies corrompues se faire massacrer, tandis que la force Barkhane étale sa puissance. Ils voient l’arrogance des autorités politiques françaises, qui ferment les yeux sur la prédation et la répression des dirigeants africains, mais les convoquent ou leur font la leçon si les stratégies françaises en matière de « guerre contre le terrorisme » ou de lutte contre l’immigration ne sont pas suivies à la lettre.
Ne pas comprendre l’origine de cette colère, ou refuser de l’admettre, et croire qu’on va la calmer par une réactualisation de la doctrine militaire en matière de « lutte informationnelle » est plus que de la stupidité : c’est une faute politique majeure qui conduira nécessairement à la réédition de ces drames. L’armée française devra-t-elle à nouveau tirer sur ceux et celles qu’elle prétend protéger pour poursuivre une stratégie de « neutralisation » des djihadistes qui a fait la preuve de son échec ?
Raphaël Granvaud

[1« Barkhane vous protège » : Intitulé d’un tract distribué au nord du Mali par les militaires français, mais traduit par « Barkhane vous surveille » en langue locale.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 312 - nov-dec 2021
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