Survie

France-Guinée : 
retour sur une relation inégale et toxique

rédigé le 1er décembre 2021 (mis en ligne le 10 février 2022) - Guillaume Delarue

Connue pour être le seul pays à s’être opposé à De Gaulle et son projet de "communauté", la Guinée a subi les foudres de l’ancien colonisateur qui ne l’a jamais laissée sortir de son giron. D’espoirs déçus en coups d’État, elle a connu à partir des années 1980 une succession de régimes dictatoriaux qui ont bénéficié d’un soutien politique et militaire continu de la France, et la population guinéenne a payé un très lourd tribut à la répression. Le récent coup d’État du 5 septembre nous amène à revenir sur cette histoire.

La France a colonisé la Guinée à la fin du XIX siècle (1891). Malgré de très fortes résistances anticolonialistes, la défaite de Samory Touré en 1898 marque l’annexion totale du pays. Les ressources sont pillées, l’esclavage, aboli seulement en 1905, se transforme en travail forcé. L’espérance de vie atteint péniblement trente ans.
Pour s’assurer une meilleure domination, la France crée 4 grandes régions "naturelles" aujourd’hui encore existantes [1], avec chacune un peuple "majoritaire", le but étant de susciter des tensions entre Peul, Malinké, Susu, Guerzé, Kissi, Mano, Koniaté et Toma (les 5 derniers regroupés derrière le mot "forestiers").
Dès l’autorisation des partis politiques en 1947, la France s’empresse de créer et d’aider des mouvements régionalistes : séparer pour mieux dominer.

En tête de la 
contestation anti-coloniale

En 1953 éclate une grève menée par la CGT et Sékou Touré pour l’augmentation des salaires dans toute l’Afrique occidentale (AOF). Au bout de 72 jours, les grévistes obtiennent gain de cause, ce qui accroît la popularité de Sékou Touré. Le mouvement anti-colonialiste monte en puissance. Hadja Mafory Bangoura enflamme la foule contre la colonisation et prône la grève du sexe pour pousser les maris à se mobiliser. Face à la violence coloniale, elle crée avec Nabya Haidara une milice populaire de femmes qui conteste les rôles de genre.
En 1958, toute l’AOF est appelée à voter au référendum de De Gaulle pour la constitution de la Vème République, instituant une communauté franco-africaine qui porte les bases de la Françafrique. Or avec 1 million de voix contre et seulement 57 000 voix pour, la Guinée refuse ce pacte néocolonial. La France entreprend alors de déstabiliser ce pays qui ose lui tenir tête. Lors de l’indépendance, les archives et dossiers importants (état civil, plans géologiques) sont emportés, notamment le plan de construction d’un barrage hydroélectrique, laissant le pays dans le noir. En 1959, les services secrets français mettent au point l’opération « persil vert ». Ils inondent le pays de fausse monnaie afin de déstabiliser l’économie nationale. Le pays, dirigé par Sékou Touré, devient la cible de quatre coups d’État manqués et de nombreuses tentatives de déstabilisation.
Au sortir de la colonisation, la Guinée devient un pays non aligné suivant une ligne économique socialiste et panafricaine. A partir de 1978, la France reconnaît la Guinée, décennie où le socialisme est peu à peu abandonné. Paranoïaque, Sékou Touré met en place un vaste système de répression, basée sur une police secrète, pour éliminer physiquement ou interner dans des camps toute opposition.

Indéfectible soutien français

A la mort de Sékou Touré en 1984, Lansana Conté prend le pouvoir par un coup d’État et s’y maintiendra jusqu’en 2008. Une fois au pouvoir, ce qui reste du système socialiste est démantelé. L’instauration du multipartisme ne transforme pas la Guinée en modèle démocratique. Le pays s’ouvre au capitalisme mondialisé invitant les multinationales à exploiter les nombreuses ressources. Corruption dévastatrice, produits de base chers, salaires faibles : en janvier-février 2007, une grève générale massive subit une féroce répression : 137 mort.e.s et 1667 blessé.e.s. La violence du régime de Lansana Conté est répétée et bien connue pourtant, et même après les massacres de 2007, la France le soutient diplomatiquement et militairement. Elle fournit le régime en armes et en « matériel anti-émeute », probablement utilisé pour réprimer les manifestations, comme l’avait dénoncé Survie à l’époque. Lansana Conté meurt en 2008.
Le capitaine Moussa Dadis Camara prend alors le pouvoir par un coup d’État, immédiatement légitimé par la France. Très médiatique il apparaît énormément à la radio et la télévision, c’est le « Dadis Show ». En septembre 2009, Patrick Balkany (le M. Afrique de Nicolas Sarkozy) le félicite et encourage sa candidature à l’élection présidentielle. Peu de temps après, le nouveau régime s’illustre par un massacre de grande ampleur : le 28 septembre 2009, un rassemblement pacifique revendiquant la démocratie se tient au stade de Conakry, la répression fait près de 200 mort.e.s et plus d’une centaine de viols collectifs, entre autres horreurs [2]. La France suspend enfin, mais pour quelques mois seulement, sa coopération militaire avec la junte. Visé par une tentative d’assassinat, Dadis Camara quitte le pouvoir en 2010.

L’espoir déçu

C’est là qu’accède au pouvoir le franco-guinéen Alpha Condé, connu comme un opposant de longue date, emprisonné sous Lansana Conté. Son élection suscite de très forts espoirs de changement et de démocratie, mais ils sont rapidement déçus : répression et corruption se poursuivent. A l’annonce d’un référendum constitutionnel autorisant un 3e mandat, le mouvement social se développe. Le Front National de Défense de la Constitution (FNDC) mène le mouvement. La répression est affreuse : des dizaines de mort.e.s, de personnes torturées, et de très nombreux.ses prisonnier.es. Au moins 90 manifestant.e.s auraient été tué.e.s entre octobre 2019 et octobre 2020 (VOA, 12/10/2020). La France proteste pour la forme mais elle maintient sa coopération militaire avec les forces de répression. 11 coopérants militaires français forment directement leurs homologues guinéens et la France prépare elle-même des bataillons de soldats guinéens pour alimenter la Minusma (la mission de l’ONU au Mali, qui l’aide dans sa guerre au Mali). Face aux rivalités internationales croissantes, la présence militaire française permet d’arrimer la Guinée à la France.
Alpha Condé a aussi su soigner ses relations avec le monde politique et des affaires français. Dans son carnet d’adresses, il compte Francois Hollande, son ’ami et camarade’ (Jeune Afrique, 30/03/21), ainsi que son ’copain’ Bernard Kouchner(France info, 07/12/11), qu’il accueille pour ses activités de consultant. Lors de l’élection présidentielle de 2010, il est conseillé gracieusement par l’agence de communication Havas (détenue à 33 % par Bolloré). A la suite de ce coup de pouce électoral, la société Getma est brutalement évincée de la gestion du port de Conakry qui revient à Bolloré. Une bonne affaire : la quasi-totalité de la bauxite extraite y transite. En 2011, le procureur Jean-Claude Marin avait classé sans suite la plainte pour corruption déposée contre Bolloré, permettant à ce dernier de faire valoir la prescription des faits de corruption en 2019. Mais le milliardaire restait poursuivi pour « abus de confiance » et pour des faits similaires au Togo. Bolloré a alors négocié avec le Parquet national financier un plaider-coupable (il a donc reconnu la corruption) écopant de seulement 375 000 euros d’amende. En février dernier, le Tribunal de Paris a refusé l’accord, jugé trop clément (Le Figaro, 21/03/2021).
Quelques mois après son élection, le mouvement des entreprises de France (MEDEF) visite le pays à l’appel d’Alpha Condé. Bouygues, Areva, EDF ou encore Sanofi cherchent là une nouvelle source de profit. L’entreprise Orange, implantée dès 2007, devient leader du marché de la téléphonie mobile, un secteur très rentable notamment grâce aux cartes prépayées "choco malin". Profitable aussi pour le régime, puisqu’Orange n’hésite pas à couper le réseau internet les jours d’élections ou de mobilisation, en prétextant des « incidents » [3]. Dans le domaine minier, les entreprises françaises ne sont pas en reste non plus. En 2015, une start-up française est créée, l’Alliance Minière Responsable (AMR), pour faire « la mine différemment », avec le soutien de grands noms grâce au carnet d’adresses d’Arnaud Montebourg : Xavier Niel (Free), Anne Lauvergeons (ex-Areva), Edouard Louis Dreyfus. Elle exploite principalement une mine de bauxite guinéenne et est rapidement rattrapée par une vaste affaire de corruption et de fraude fiscale (voir Billets n°302, novembre 2020). En 2017 Bouygues décroche le contrat d’exploitation minière de la bauxite (pour le compte de Guinea Alumina Corporation-GAC) à Tinguilinta.

Transition ou continuité ?

Fortement contesté dans le pays et sourd à tout compromis, Alpha Condé devient gênant tant pour Paris que pour Washington (L’Opinion, 06/04/20). Condé est renversé le 5 septembre 2021 par un coup d’État mené par Mamady Doumbouya. Marié à une officière de gendarmerie française, il a précédemment effectué des études militaires en France et fait carrière dans la légion étrangère française. Des scènes de liesse sont visibles à Conakry. Le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD) prend le pouvoir. Mohamed Béavogui est nommé premier ministre le 6 octobre 2021. Il a fait carrière dans différentes institutions internationales (notamment à l’ONU) et c’est lui qui, lors de la grève générale de 2007 (sous Lansana Conté), avait été proposé pour le poste de premier ministre par les syndicats.
Tou.te.s les membres du CNRD sont visé.e.s par des sanctions de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) : gel de leurs avoirs à l’étranger et interdiction de voyager à l’international. La CEDEAO a également nommé un médiateur pour répondre à la "crise", nomination que le CNRD a refusée, qualifiant la situation de "transition" et non de "crise". Les réactions de l’opposition semblent pour le moment aller dans ce sens. Le coup d’État n’a pas surpris : « Alpha Condé ne tenait pas compte des droits de l’homme, ne respectait pas la constitution et a fait enfermer tous ceux qui levaient le petit doigt contre le 3è mandat. » selon Jacques Gbonimy, leader d’un parti d’opposition (France Culture, 06/09/20).
Les élections seraient prévues dans 2 ans, une charte de la transition remplace la constitution et a été saluée par le Front national de défense de la constitution.
Aujourd’hui, la France maintient ses relations avec le régime, en témoigne la cérémonie du 11 novembre à Conakry à laquelle ont participé conjointement militaires guinéens et français [4]. L’histoire a montré que la nature du régime lui importait peu, du moment que ses intérêts étaient protégés.
Guillaume Delarue

La Guinée : un pays riche

La Guinée, capitale Conakry, est un pays de 13 millions d’habitants, grand comme à peu près la moitié de la France (245 857 km²). Le pays a énormément de ressources : bauxite utilisée pour faire de l’aluminium (première réserve mondiale), fer, zinc, or, diamants, bois, de grandes ressources hydrauliques (devant lui assurer prospérité agricole et électricité abondante). Malgré cela, avec une espérance de vie de 62 ans, 2/3 de la population n’a pas accès à l’électricité et l’eau courante. Un.e guinéen.ne sur deux vit avec moins de 1.10 euro par jour.
L’extraction minière domine l’économie mais contribue seulement au tiers du budget de l’État et pourvoit très peu d’emplois.Les Guinéen.ne.s ne bénéficient donc pas de l’exploitation du sous-sol. Les populations locales sont fortement impactées par l’extractivisme : eau polluée, agriculture et pêche menacées.

[1Guinée maritime, moyenne Guinée, haute Guinée, Guinée forestière

[4Site de l’ambassade de France de Guinée

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 312 - nov-dec 2021
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