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Accords de libre-échange, piliers des pilleurs

rédigé le 30 avril 2022 (mis en ligne le 1er août 2022) - Achille Maillé­-Dancourt

L’Union européenne bénéficie d’une relation commerciale privilégiée avec le Maroc, notamment grâce à un accord sur l’agriculture et sur la pêche. Signé en 2010, il participe à l’exploitation du Sahara occidental au bénéfice de multinationales et du roi du Maroc, et aux dépens des populations locales sahraouies.

Photo Marie Bazin

Après que le colon espagnol se retire du Sahara occidental en 1975, le Maroc envahit le territoire, et les ressources naturelles et les grandes villes passent sous le contrôle du royaume. Depuis lors, les Sahraouis vivant sur ces terres occupées sont cantonnés à un rôle de citoyens de seconde zone, les opportunités économiques étant accordées principalement aux colons marocains. D’autres vivent dans des zones dites libérées, controlées par le Front Polisario, le représentant légitime du peuple sahraoui, tandis que certains doivent se résoudre à demeurer dans des camps de réfugiés en Algérie, dépendant de l’aide humanitaire. Un référendum sur l’autodétermination devait être organisé en 1992 par les Nations unies, mais il ne s’est jamais produit, ouvrant la porte à une situation de statu-quo qui appuie, dans les faits, le pillage des ressources de la région par le Maroc et ses alliés.
C’est dans ce contexte que, en 1996, l’Union européenne (UE) signe, avec le Maroc, un accord d’association établissant une zone de libre-échange. En 2010, un nouvel accord commercial est signé, libéralisant davantage les secteurs de l’agriculture et de la pêche. Tout ce qui est produit au Sahara occidental n’est pas exclu des accords, au grand dam des populations locales sahraouies qui n’ont, bien sûr, pas eu l’opportunité de donner leur avis. A partir de novembre 2012, une longue saga juridique débute. Le Polisario conteste l’application de cet accord au Sahara occidental. Malgré des décisions de la Cour de justice de l’UE en faveur du mouvement sahraoui, en décembre 2016 et en février 2018, le Parlement européen approuve l’application de l’accord au Sahara occidental. La bataille semble aujourd’hui interminable. En septembre 2021, la justice européenne rend une nouvelle décision en faveur du Polisario, mais le Conseil de l’UE et la Commission européenne font rapidement appel. Et pendant ce temps, le pillage des ressources continue et un accord de libre-échange approfondi entre le Maroc et l’UE demeure dans les papiers des deux parties.

« Nous sommes surpris que l’UE continue d’appliquer l’accord au Sahara occidental. […] La Cour européenne de justice a été très claire sur le fait que le Sahara occidental est une région distincte et séparée », a déclaré Jalihenna Mohamed, vice-président du groupe Sahraouis contre le pillage, dans une interview avec bilaterals.org [1], site spécialisé sur les accords de libre-échange. « Nous considérons que l’UE légitime l’occupation illégale du Maroc, […] alors que, dans le cas de la Palestine, […] les Européens agissent différemment avec les produits palestiniens issus de compagnies israéliennes ».

Géopolitique et commerce, deux faces d’une même pièce

Ce double standard reflète, sans doute, la présence de nombreux intérêts économiques et stratégiques au Sahara occidental. Par exemple, de nombreuses multinationales françaises sont présentes dans la région, dans des secteurs d’activités variés. On peut nommer Vinci (infrastructures), Alcatel (télécom), CMA CGM (transports), Azura (agriculture) ou Engie (dessalement de l’eau de mer pour l’irrigation). Le Sahara est aussi riche en ressources naturelles, dont certaines sont exploitées par des entreprises françaises. Optorg, via sa filiale Tractafric, est présente dans le secteur du phosphate, nécessaire pour fabriquer les engrais chimiques ; Voltalia est active dans les énergies renouvelables ; tandis que Total avait fait de la prospection pétrolière il y a quelques années.
Et ces cas ne concernent que la France. D’autres multinationales européennes sont également bien implantées dans ce territoire. Et elles ont à leur disposition de puissants lobbies exerçant quotidiennement des pressions sur les institutions à Bruxelles.
Outre-Atlantique, le Maroc possède un autre allié solide, les Etats-Unis, avec qui il a signé un accord de libre-échange en 2004. Fin 2020, un des derniers actes diplomatiques du président Trump, a été d’ouvrir un consulat états-unien au Maroc, à Dakhla, cœur économique du territoire saharien. Biden, une fois élu, ne remettra pas en cause cette décision.
Comme le souligne Jalihenna Mohamed, le Sahara occidental est, en fin de compte, un des derniers cas de vieux colonialisme, qui interagit avec de nouvelles pratiques du colonialisme, « où les intérêts économiques fusionnent avec les luttes politiques pour l’indépendance ». Les multinationales constituent le fer de lance du néocolonialisme, traversant les frontières et contrôlant des gouvernements.
Même si le cas du Sahara occidental sombre souvent dans l’oubli, Jalihenna Mohamed et ses camarades gardent espoir, cherchant à s’inspirer des luttes en Palestine ou en Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Récemment, en Nouvelle-Zélande, qui importe du phosphate saharien, un petit groupe de volontaires a réussi à porter le sujet au parlement néo-zélandais et à saisir la justice, après avoir contacté des médias locaux et des députés. Tout n’est donc pas perdu. « Nous ne gagnerons peut-être pas notre indépendance bientôt, mais nous continuons à nous battre », conclut-il.
Achille Maillé-Dancourt

[1Nous reproduisons des extraits de cette interview avec l’autorisation de bilaterals.org. L’interview est disponible dans son intégralité ici : https://www.bilaterals.org/?sahara-occidental-entre-vieux-et

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 317 - mai 2022
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