Survie

Gouvernement impérial et résistances

rédigé le 12 juillet 2022 (mis en ligne le 12 septembre 2022) - Mathieu Lopes

La refonte du gouvernement français marque un tour de vis colonial inquiétant pour les différents pays « d’outremer » et l’indépendance de Kanaky-Nouvelle Calédonie en particulier. Mais dans plusieurs de ces colonies, l’anticolonialisme reprend de la vigueur.

L’annonce a fait l’effet d’un vent glacial pour les indépendantistes de Kanaky et leurs soutiens. Sonia Backès, figure extrême des partisans de la Calédonie française, est désormais membre du gouvernement français, comme secrétaire d’État à la Citoyenneté. Elle dépend de Gérald Darmanin, toujours ministre de l’Intérieur, mais également, désormais, « des Outre-mer ». Ces dernières années, le parti de Backès a oscillé entre un refus de choisir entre Macron et Le Pen et un soutien à Zemmour. Elle a pourtant été préférée aux représentants locaux de la Macronie, le parti Calédonie Ensemble, tenant du dialogue avec les indépendantistes mais en perte d’influence dans le pays. Lors de la dernière présidentielle, Sonia Backès a ouvertement fait campagne pour Macron, en remerciement du sabotage du processus de décolonisation mené par le président français (Le Figaro, 09/01/22).

Coup de froid en Kanaky

Cette nomination est une attaque importante contre l’indépendance Kanak. Au niveau symbolique, en nommant la tenante locale d’une ligne coloniale pure et dure, le dialogue avec les indépendantistes, pierre angulaire de tout le processus de paix depuis les années 80, vole en éclat. Il semble aussi acté que l’interlocuteur au niveau de l’État ne sera plus le Premier ministre mais le ministre « des Outre-mer » et de l’Intérieur. Historiquement, cette distinction marquait la reconnaissance d’un dialogue particulier, avec un pays. Macron réaffirme ainsi que la Kanaky-Nouvelle Calédonie n’est à ses yeux qu’un territoire d’outremer comme les autres. Concrètement, Backès va pouvoir tenter d’influer sur la suite des négociations et en particulier d’imposer le cheval de bataille principal des partisans de la Calédonie française : le dégel du corps électoral, acquis principal des accords de paix, qui contrebalance la politique de colonisation de peuplement en réservant aux Kanak et aux personnes suffisamment anciennes dans le pays le droit de voter sur l’avenir institutionnel.

Les indépendantistes, suite aux différentes attaques contre le processus de décolonisation avaient déjà annoncé ne plus vouloir négocier qu’avec l’État français, sans les partis colonialistes locaux. À la suite de l’arrivée de Backès, Darmanin a tenté d’imposer une réunion du Comité des signataires, cadre incluant la droite locale, faisant fi de la position des indépendantistes. Ceux-ci ont donc annoncé leur boycott de ce comité. L’avenir politique du pays va donc s’écrire sur des bases tendues et un dialogue rompu.

Victoires anticoloniales

Mais les Kanak vont pouvoir s’appuyer sur des alliances plus fortes dans les autres pays « d’outremer ». Les élections présidentielles puis législatives y ont été largement boudées [1], signe d’abord que la politique française est bien lointaine. Mais les résultats indiquent tout de même, d’une part, un rejet de la Macronie, avec la victoire de 18 député.es soutenu.es par l’union de la gauche, sur 25 sièges. À la présidentielle, en plusieurs endroits, c’est Mélenchon et, de manière relativement étonnante, Le Pen au second tour qui ont été favorisés [2]. D’autre part, au-delà des clivages politiques hexagonaux, ce sont souvent des considérations sociales locales et même parfois le rejet de la France qui l’ont emporté.

Ainsi, en Guadeloupe, où la plupart des forces indépendantistes refusent historiquement de participer aux élections françaises, les résultats condamnent la politique présidentielle faite de mépris et de répression face au mouvement social qui anime le pays depuis 2021. A partir d’une opposition à l’obligation vaccinale, qui selon le politiste guadeloupéen Fred Reno, traduisait « une méfiance généralisée à l’égard des autorités étatiques et locales » (La Tribune, 21/12/21), la mobilisation portait surtout sur le manque abyssal de services publics de base.

En Guyane, le second tour a vu 3 personnalités du mouvement social de 2017 (cf. Billets n°293, 01/20) parmi les 4 finalistes. Et ce sont deux d’entre elles qui l’ont emporté, en particulier Jean-Victor Castor, secrétaire général du MDES (Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale, parti indépendantiste). Celui-ci a déclaré que « l’une des premières initiatives sera de fortifier les contacts avec les militants de la Kanaky » (France-Guyane 19/06/22), en invitant l’actuel président indépendantiste du pays, Louis Mapou, qui a mené la politique de redistribution des terres dans les années 80. En Polynésie, les indépendantistes du parti Tavini Huira’atira raflent tous les sièges, contre les « autonomistes » [3]. Moetai Brotherson a notamment été réélu (voir son interview p.7). Depuis 2017, il est un soutien actif du FLNKS de Kanaky-Nouvelle Calédonie à l’Assemblée et il vient de prendre la présidence de la délégation aux Outre-mer.

Les indépendantistes Kanak vont donc pouvoir profiter de cette dynamique anticoloniale. D’autant plus que les nouvelles prérogatives de Darmanin sont aussi source de tension ailleurs. Pour le syndicaliste indépendantiste Elie Domota, en Guadeloupe, « ça confirme que la Guadeloupe est une colonie » (Mediapart, 09/07/22). Le ministre symbolise la politique de répression pure du mouvement social qui y dure depuis 2021.

Si les camaraderies anticoloniales sont prometteuses dans les pays « d’outremer », reste à voir ce qu’il en sera pour les solidarités en France, et de la part des gauches en particulier.

[157 % d’abstention en moyenne au 1er tour de la présidentielle. 63 % au second tour des législatives, avec même 72 et 75 % en Guadeloupe et Martinique.

[2Mélenchon a ainsi totalisé 40 % sur l’ensemble des pays d’outremer, dont 56,2 % en Guadeloupe, 53,6 % en Martinique, 50,6 % en Guyane. Au second tour, Le Pen a réalisé d’excellents scores, aucunement reproduits aux législatives. C’est le signe d’un fort rejet de Macron même s’il ne faut pas sous-estimer de réelles dynamiques xénophobes.

[3Soutenus par le mouvement d’E. Macron, Ils ne remettent pas en cause l’appartenance du pays à la France.

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 319 - été 2022
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