Survie

Coup de bluff à l’Elysée

rédigé le 25 mars 2023 (mis en ligne le 22 juin 2023) - Thomas Borrel

Deux jours avant son décollage pour le Gabon des Bongo et le Congo de Sassou Nguesso, le président français a joué d’effets de manches pour tenter de faire disparaître les atouts françafricains qu’il dissimule dans son jeu.

Emmanuel Macron a présenté lundi 27 février les lignes de la politique française en Afrique. Un exercice réalisé pour une fois à l’Elysée, symbole appréciable pour indiquer qu’il s’agit bien de politique française. Le public était moins surprenant : une délégation d’ambassadeurs, de ministres, de parlementaires impliqués dans la promotion et la mise en œuvre de la politique africaine de Macron, des membres de l’état-major et des bénéficiaires des programmes initiés après le sommet Afrique-France d’octobre 2021 à Montpellier.
L’entourage d’Emmanuel Macron avait opportunément laissé entendre que ce discours serait au moins aussi important que celui tenu lors de son premier voyage africain en tant que président français, il y a presque 6 ans à Ouagadougou (cf. Billets n°273, décembre 2017). Et il a en effet été question encore une fois de "nouveauté", un thème martelé plus d’une vingtaine de fois lors du discours. Une rhétorique qui parvient à assumer néanmoins la continuité de sa propre action lors du quinquennat précédent, dont un simili-bilan fut présenté en février 2022 aux médias via un document de cinq pages intitulé « La construction d’un nouveau partenariat avec l’Afrique ». Mais sur le fond, les annonces d’Emmanuel Macron ont un air de déjà vu.

Imposer son narratif

Tout en prônant une nécessaire « humilité » (vite oubliée les jours suivants), le président français a oscillé entre l’auto-satisfecit et l’affirmation d’une difficulté à réformer en profondeur des relations qu’il souhaite pourtant refonder, jure-t-il régulièrement. Mais Emmanuel Macron n’en effleure que certains aspects, souvent les plus superficiels, comme pour mieux préserver ce qui structure les relations franco-africaines et "fait" système.
Ainsi a-t-il appelé à « nous débarrasser pour de bon de réflexes, d’habitudes et d’un langage qui sont aujourd’hui en quelque sorte notre handicap » et à « adopter une posture résolument plus claire de modestie, d’écoute » mais aussi « d’ambition » : il suffirait en somme de décréter sa propre mutation, d’affirmer comme Nicolas Sarkozy en son temps [1] que « la France n’a plus de pré carré en Afrique » et de renommer certaines choses pour « bâtir des relations respectueuses, équilibrées, responsables »… et regagner des parts de marché.
Concernant l’aide publique au développement, il faut ainsi, a-t-il expliqué, « passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire et partenarial ». Tout au moins peut-on lui reconnaître de ne pas chercher à masquer ses ambitions au plan économique : cette terminologie vise surtout à assumer une politique offensive. « L’Afrique est devenue une terre de compétition. Il faut donc qu’on ait un réveil du monde économique français pour se dire "on doit aller s’y battre" ». Le continent africain comme opportunité économique : le thème est développé depuis dix ans dans différents rapports officiels, tels le rapport sénatorial « L’Afrique est notre avenir » (2013) de Jeanny Lorgeoux et Jean-Marie Bockel, le rapport « Un partenariat pour l’avenir » (2013) d’Hubert Védrine et Lionel Zinsou, le rapport « La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable » (2014) de Jacques Attali, etc.
Cherchant à inscrire résolument le terme dans le passé, le président français a assuré n’avoir « pour [s]a part aucune nostalgie vis-à-vis de la Françafrique », mais ne pas vouloir « laisser une absence ou un vide derrière elle ». Le tout sans saisir la colonialité de sa posture, dans la façon de dresser son bilan ou de promettre des actions futures.
Affirmant avoir suivi le cap fixé en 2017, il a ainsi brandi comme résultat la réforme du franc CFA (un thème pourtant absent de son discours de Ouagadougou et qu’il avait à l’époque qualifié de « non-sujet pour la France »). Celle-ci ne visait pourtant qu’à désarmer la critique tout en préservant l’essentiel de ce système monétaire [2]. Et elle n’a eu pour effet que de fragiliser davantage la dynamique de création d’une monnaie ouest-africaine débarrassée de toute ingérence française.
Il s’est aussi targué du travail engagé sur le patrimoine africain détenu en France, alors même que des restitutions, certes appréciables, n’ont eu lieu qu’au compte-gouttes (cf.Billets n°315, mars 2022) ; ou encore des commissions d’historiens nommées sur l’Algérie, le Rwanda, ou plus récemment le Cameroun, alors même que celles-ci servent à éluder les questions centrales de la responsabilité juridique, des excuses officielles et de la réparation, sur la base de travaux existants déjà largement incriminants. Il a vanté les efforts mis en œuvre au plan culturel et sportif, où des initiatives locales servent bien souvent de faux-nez à une politique d’influence et d’ouverture de nouveaux marchés.
Interrogé sur sa visite dès le surlendemain au Gabon, pour un sommet que la France a initié sur la protection de la forêt équatoriale, Emmanuel Macron a affirmé une motivation écologique et lâché crânement que c’est un pays « que nous mettons en situation de leadership ». Sans aucune prétention ni posture du passé, bien évidemment.

« Imbrication » militaire

Le président français se savait attendu sur un point particulier : l’armée française. Mais il a mis fin au « (faux) suspense d’une éventuelle fermeture des bases militaires françaises en Afrique », comme l’a écrit le journal L’Opinion (26/02) la veille de l’annonce présidentielle. Le journaliste spécialisé Défense Jean-Dominique Merchet prévenait ainsi : « Le dispositif sera "réarticulé" avec une diminution des effectifs. Paris souhaite rendre sa présence militaire "moins visible" et l’inscrire dans un cadre de "coopération" avec les États concernés, grâce à des "partenariats militaires opérationnels" . » Avant de conclure, sévère : « L’idée n’a rien de nouveau : elle n’est qu’une version, remise au goût du jour, du concept Recamp (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix) datant de 1997. »
Face caméra, le président français a plutôt pudiquement parlé de « diminution visible de nos effectifs » et il a insisté sur la « montée en puissance de la présence dans ces bases de nos partenaires africains », en prenant même l’image « d’académies ». Emmanuel Macron a ainsi promis d’accroître « notre offre de formation, d’accompagnement, d’équipement au meilleur niveau » - en clair, la coopération militaire. D’ailleurs, a-t-il tenu à justifier, cela permettra « de bâtir de nouveaux modèles d’intimité et d’imbrication entre nos armées : si l’armée française reste, c’est pour s’imbriquer plus intimement.
On cherche en vain la nouveauté. Cette « imbrication » est en effet le cœur même des relations militaires nouées entre la France et son ex-empire africain dès les indépendances, notamment par le déploiement des Assistants militaires techniques : des coopérants chargés d’encadrer les armées. Trente-sept ans après les indépendances, cette coopération militaire, dont l’intensité avait progressivement baissé, a été revue : la France ne pouvait plus être le gendarme de l’Afrique, convenait-on à Paris, place à la formation et à l’africanisation du dispositif, via le programme Recamp. Ainsi furent créées des Ecoles nationales à vocation régionale (ENVR), sorte « d’académies » militaires françaises sur le sol africain – ce qui revient moins cher que de faire venir des centaines d’officiers africains à l’académie militaire française de Saint-Cyr. Le nombre de ces ENVR n’a cessé d’augmenter : on en compte aujourd’hui une vingtaine, situées dans 12 pays africains. Outre la formation, la coopération militaire française ne s’est pas non plus interrompue avec les dictatures amies de la France sur les autres aspects : mise à disposition d’officiers ou sous-officiers français comme « conseillers » au sein même des appareils répressifs et fourniture d’équipement militaire et policier. Ce qu’a promis Emmanuel Macron ressemble ainsi fortement au renforcement d’une tendance à l’œuvre depuis des décennies.

Le collectif sénégalais France Dégage en conférence de presse en 2018. Image Creative Commons Thiey dakar

« Moins visible,
mais plus présente »

Emmanuel Macron a par ailleurs savamment maintenu le flou sur le nombre de bases concernées. Il a fallu la question d’une journaliste après le discours pour qu’il précise que la base française de Djibouti, plus importante implantation militaire permanente sur le continent, n’était pas concernée par cette annonce - car, pour la France « Djibouti n’entre pas dans le cadre de la stratégie africaine mais dans la stratégie indo-pacifique », a-t-il précisé. Quant aux bases "temporaires" comme celles au Tchad et au Niger, dont l’existence légale était liée depuis 2014 à l’opération Barkhane, elles restent dans le flou juridique dans lequel elles sont depuis la fin officielle de cette opération extérieure [3]- : un point soigneusement éludé par le président français et qu’aucun journaliste n’a pensé à soulever...
Ce scénario, à en croire Emmanuel Macron, a émergé suite à ses échanges récents avec certains de ses homologues africains. Pourtant, le 24 janvier déjà, alors que le Burkina Faso venait de demander le départ des forces spéciales françaises basées près de Ouagadougou depuis la fin des années 2000, le général Didier Castre avait évoqué cette même « hypothèse », au micro deRFI : « En gros, la ligne qui a déjà été évoquée par le président, c’est : la France doit être moins visible, mais plus présente. Moins visible, c’est probablement des empreintes de bases avec des volumes qui sont moins importants, peut-être des bases qui ne sont pas installées au milieu des capitales et peut-être une façon de rendre nos bases aux pays africains hôtes et de compléter leur action sur ces bases-là. (…) La deuxième option serait que nos bases servent à accueillir des grandes écoles de ces pays-là. Pourquoi on ne ferait pas le Saint-Cyr ivoirien sur le camp de Port-Bouët ? » Ce choix tactique était déjà explicite dans le rapport de 2014 sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique, par les députés Yves Fromion et Gwendal Rouillard, qui suggéraient de « privilégier une "empreinte" militaire légère et discrète » lorsque celle-ci était contestée, comme au Niger. Une idée moins visible qu’avec Emmanuel Macron, mais déjà présente.

Un « besoin » de France ?

Au final, cette annonce s’inscrit cyniquement dans l’histoire longue de la Françafrique : au moment où un aspect particulier du néocolonialisme français est sous le feu des critiques, on le réforme pour préserver le système. Et qu’Emmanuel Macron et ses proches croient sincèrement ou non à leur propre récit n’y change pas grand-chose.
L’hôte de l’Elysée s’est voulu rassurant lors de son discours : « cette transformation débutera dans les prochains mois sur le principe même de la co-construction » et elle « suppose que nos partenaires africains formulent très clairement leur besoin militaire et sécuritaire ». Cette nécessaire expression « très claire » du « besoin » d’appui français – une évidence en apparence – rappelle le Sommet de Pau, en janvier 2020, où le même Emmanuel Macron, excédé par les critiques anti-France au sein des pays de la zone d’intervention de l’opération Barkhane, avait enjoint les chefs d’État du Niger, du Burkina, du Tchad, du Mali et de Mauritanie à venir réaffirmer leur « souhait » que la France intervienne militairement [4]. L’objectif, hier comme demain, est de faire passer l’ingérence française comme une simple réponse à une "demande africaine".
Thomas Noirot

[1Nicolas Sarkozy avait ainsi déclaré, le 13 juillet 2010, alors qu’il accueillait les chefs d’État de 13 anciennes colonies françaises : « La politique de la France envers l’Afrique francophone n’est inspirée ni par l’idée de "pré carré" ni par une quelconque nostalgie coloniale. » BFM-Reuters 13/07/2010.

[2Voir le billet de la journaliste Fanny Pigeaud et de l’économiste Ndongo Sylla, « Réforme du franc CFA : les députés français mal informés par leurs techniciens ? », blog Mediapart, 24/02/2020.

[3Voir « Sahel : Barkhane se termine, l’armée française reste et le problème demeure », communiqué de l’association Survie, 9/11/2022.

[4Voir la tribune collective « Sommet de Pau : sentiment antifrançais ou sentiment antiFrançafrique ? »,blog Les Invités de Mediapart, 12/01/2020

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 326 - mars 2023
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