Mi-avril, le site d’information Afrique XXI pointait la bienveillance douteuse avec laquelle certains grands médias français avaient récemment traité Sassou Nguesso. Un nouvel épisode de l’entreprise de séduction à laquelle se livre régulièrement le régime congolais, en mobilisant ses alliés dans la sphère politico-médiatique.
Le compte est impossible à tenir : au pouvoir depuis trente-neuf ans en cumulé, Sassou Nguesso a bénéficié un nombre incalculable de fois des talents de griots de ses amis français. Une "sassouphilie" loin de se limiter aux déclarations des présidents et ministres en exercice.
Prétendant à de plus hautes fonctions ou déjà hasbeen dans le jeu politique français, plusieurs personnalités se sont succédé à Brazzaville ces dernières années, le plus souvent en dehors de tout cadre officiel. La palme revient sans doute à l’ancien ministre de la Justice Jacques Toubon : à la toute fin de son mandat d’eurodéputé, il a pris la tête avec son collègue Patrick Gaubert (alors également président de la LICRA) d’une étrange délégation lors de la présidentielle congolaise de juillet 2009, complètement pipée, au nom d’une obscure Coordination des observateurs franco-africains (Cofa). Fort de ce mandat sorti de nulle part, il affirma que ces élections « correspond[aient] à l’état de la démocratie dans un pays comme le Congo », constatant certes que « beaucoup d’urnes n’étaient pas fermées », mais expliquant avec force paternalisme qu’il était « probablement plus difficile d’avoir des cadenas à Brazzaville qu’à la Samaritaine à Paris » (Survie.org, 22/03/2010).
Brazzaville est de fait un véritable hub pour la droite française. En juillet 2012, juste après des élections législatives tout aussi volées par le parti au pouvoir, le lancement de l’édition francophone de Forbes Afrique (déclinaison africaine du célèbre magazine états-uniens) a été l’occasion pour les organisateurs de l’événement d’inviter deux anciens Premiers ministres français, Jean-Pierre Raffarin et Dominique de Villepin. Une invitation émanant « de Forbes » et non de la présidence congolaise, s’est justifié leur entourage (Libération, 23/07/2012). Sauf que cette édition d’Afrique francophone est dirigée par Lucien Ebata, un proche du clan Sassou, qui s’était d’ailleurs fait attraper six mois plus tôt à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle avec une grosse valise de cash, point de départ du scandale récent des "Orion Files" (cf. Billets d’Afrique n°327, avril 2023). L’édition suivante du Forum Forbes Afrique, dont l’organisation est confiée à la branche communication du groupe Bolloré (Euro-RSCG devenue Havas, dirigée par Stéphane Fouks, qui apparaît dans l’enquête judiciaire sur les "Orion Files"), invita le président de l’UMP Jean-François Copé pour une conférence grassement rémunérée. Il fut précédé à Brazzaville de la vice-présidente de son parti, Rachida Dati, venue avec sa casquette d’eurodéputée pour, selon la télé d’Etat « apporter son appui au développement du système éducatif congolais » et examiner « les possibilités de coopération entre le parlement européen et la chambre haute du parlement congolais » (cf. Billets d’Afrique n°227, septembre 2013).
En 2014, c’était carrément au tour de Nicolas Sarkozy, deux ans après avoir quitté l’Elysée, de venir au Forum annuel Forbes Afrique pour intervenir, moyennant finances, sur les « défis de la bancarisation », en ayant au passage un tête à tête avec son ami Sassou (AFP, 26/07/2014).
Pas avare de bons conseils, Dominique de Villepin est revenu en 2017 avec des membres de l’association Groupe de Liaison Afrique-Europe (GLAE) cofondée un an plus tôt par les anciens députés Michel Terrot (LR) et François Loncle (PS), tous deux du voyage, officiellement pour commémorer le 77ème anniversaire du discours du général de Gaulle instaurant Brazzaville comme capitale de la France Libre. L’occasion de s’afficher avec Sassou et le gouvernement (Jeune Afrique, 7/11/2017), et pour de Villepin de déclarer que « le rôle et l’amitié de la France, c’est d’être un partenaire exemplaire pour le Congo et de l’accompagner dans ses difficultés » (Les Echos du Congo-Brazzaville, 27/10/2017).
La gauche n’est pas en reste. Outre les bons services de Dominique Strauss-Kahn que s’offre le régime pour négocier avec le FMI et les connexions avec Manuel Valls que laisse supposer le dossier des "Orion Files", la maire de Paris Anne Hidalgo a aussi un petit tropisme brazzavillois. En septembre 2015, à quelques mois de la COP 21 à Paris, elle pose fièrement en photo avec Sassou et flagorne, depuis la capitale congolaise : « La ville de Brazzaville, son maire et le président de la République sont très engagés sur les questions de climat. Le rôle joué par le président pour la protection de la forêt […] est très important. » (Mediapart, 23/09/2015). Elle signe même un Pacte d’amitié et de coopération entre sa capitale et celle du Congo, où elle revient fin mars 2017 avec l’Association Internationale des Maires Francophones (AIMF). Son homologue brazzavillois n’est pas n’importe qui : député du parti au pouvoir depuis 2002, maire de 2003 à 2017, année où il entre au gouvernement, Hugues Ngouélondélé est le gendre de Sassou Nguesso.
Dans Afrique XXI (12/04), Antoine Hasday et Michael Pauron montrent comment André Bercoff, intervieweur star de Sud Radio, Yves Thréard, éditorialiste au Figaro, et Samy Ghorbal, un ancien journaliste reconverti dans la communication et la consultance présenté pour l’occasion comme un « envoyé spécial » par Le Point Afrique, ou encore Gil Mihaely pour Causeur et Michel Taube pour Opinion internationale, ont réalisé des interviews d’une étonnante bienveillance de Sassou. L’opération a été montée par une agence de com’ française, à la demande de l’éditeur des Mémoires du potentat (à paraître) [1] 1. Ce type de voyage de presse est, avec les publireportages (des quasi reportages facturés par les rédactions à l’instar de contenus publicitaires), la version la plus organisée de l’influence médiatique. Mais cette dernière peut passer par des canaux plus diffus. Ainsi, le directeur de la rédaction du magazine Jeune Afrique, François Soudan, n’est autre que le mari d’Arlette Soudan-Nonault, une nièce éloignée de Sassou, membre du bureau politique du parti-État et au gouvernement congolais depuis 2016. Désormais ministre de l’Environnement, du Développement Durable et du Bassin du Congo, elle est au cœur de la « diplomatie verte » du régime congolais.
Moins connue en France, l’agence d’information d’Afrique centrale (ADIAC) et son journal Les dépêches de Brazzaville, du journaliste français Jean-Paul Pigasse, a aussi ses entrées au palais. Cet oncle du banquier d’affaires Mathieu Pigasse (lequel a conseillé le régime dans ses négociations avec le FMI, au côté de DSK), propulsé chevalier de la Légion d’honneur par Jacques Chirac juste avant que ce dernier quitte l’Élysée, en avril 2007, remplit depuis 1997 et de façon permanente la fonction de griot du régime.
Thomas Borrel et Jean-François de Montvalon
Mars 2007. Les associations Survie, Sherpa et la Fédération des Congolais de la diaspora portent plainte pour « recel de détournement de biens publics et complicité » contre cinq chefs d’État africains et leurs proches : le Gabonais Omar Bongo, l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang, l’Angolais Eduardo Dos Santos, le Burkinabè Blaise Compaoré et le Congolais Denis Sassou Nguesso. Le parquet de Paris ouvre une enquête trois mois plus tard. Cette première plainte sera classée sans suite (il faudra une nouvelle plainte l’année suivante visant Bongo, Obiang et Sassou pour que l’appareil judiciaire se mette lentement en branle) mais elle met en ébullition le microcosme françafricain.
Plus de dix ans plus tard, l’onde de choc se fait ainsi ressentir jusque dans le dossier d’instruction concernant l’arbitrage frauduleux de l’affaire Bernard Tapie, qui s’était vu octroyer 404 millions d’euros en juillet 2008 par un tribunal arbitral en dédommagement de la vente d’Adidas par l’ex-Crédit lyonnais. Citée par Mediapart (11/01/2018), l’ordonnance de renvoi prise le 18 décembre 2017 par les deux juges d’instruction, renvoyant en correctionnelle six protagonistes du scandale, s’étonne du « rôle de messager de Nicolas Sarkozy auprès d’autorités étrangères » qu’aurait pu jouer Bernard Tapie. Dans un courrier du 3 août 2007 tombé aux mains des juges, le secrétariat particulier du président de la République rendait compte à celui-ci d’un appel de l’avocat Robert Bourgi (messager officieux faisant la navette avec les palais africains). Informé par l’ambassadeur du Congo, l’émissaire prévenait que « B. Tapie avait été reçu pendant 48 h à Brazzaville par le président Sassou-N’Guesso et qu’il aurait été mandaté par NS », à qui il semblait avoir déjà rendu compte. Rappelant que « Bernard Tapie prétendait ne s’être déplacé dans ce pays que pour visiter une école de formation au football », les juges observent « que c’est précisément à cette période, en juin 2007, que le parquet de Paris ouvrait une enquête préliminaire sur l’affaire dite “des biens mal acquis” qui visait notamment des détournements de fonds publics dans ce pays. »
[1] Le groupe Ipanema a en effet fait appel au savoir-faire de la communicante française Anne Bassi – une avocate fiscaliste qui a cofondé en 2008 l’agence Sachinka.