Survie

50 ans après, Omar Blondin Diop vit toujours

Mémoire coloniale

rédigé le 25 octobre 2023 (mis en ligne le 21 mars 2024) - Florian Bobin

Le 11 mai 1973, le corps du militant sénégalais Omar Blondin Diop était retrouvé sans vie dans sa cellule de la prison de Gorée. Cinquante ans après, son ombre plane toujours sur le Sénégal.

Le 18 mars 2021, dix jours après des manifestations populaires qui ont embrasé le Sénégal, le collectif de graffeurs sénégalais Radikal Bomb Shot (RBS) dévoilait à Dakar une fresque hommage aux combattants de la libération noire à travers le monde. Omar Blondin Diop y est dépeint en train de lire l’ouvrage Africa Unite ! de l’historien Amzat Boukari-Yabara. La mort d’Omar Blondin Diop en détention constitue un épisode tragique d’une longue série de violences menées par l’État du Sénégal. Il est peu courant de mettre l’accent sur les mouvements de résistance à Léopold Sédar Senghor, qui a réussi à ériger le pays en « exemple démocratique ». Mais suite aux indépendances politiques, les autocraties du continent, soutenues par les anciennes métropoles coloniales, ont étouffé les perspectives révolutionnaires de mouvements appelant à l’émancipation de l’impérialisme et du capitalisme, par des méthodes brutales de répression, allant jusqu’à « suicider » leurs dissidents.

Une vie internationaliste

Blondin Diop est né dans la colonie française du Niger en 1946, où les autorités coloniales avaient envoyé son père, médecin, le soupçonnant de « sentiments anti-français ». Après une enfance passée à Dakar, il s’installa à 14 ans en France, où son père amorça un doctorat de médecine, et y vécut durant la majeure partie des années 1960. À Paris, il poursuivit des études littéraires au lycée Louis-le-Grand puis à l’École normale supérieure de Saint-Cloud. En 1968, il participa activement aux débats organisés par divers groupes de gauche, et, depuis la Faculté de Nanterre, aux premiers jours du mouvement du 22-mars, étincelle de Mai 68. Inspiré par les écrits de Spinoza, Marx et Fanon, Blondin Diop cultivait l’éclectisme théorique, entre le situationnisme, l’anarchisme, le maoïsme et le trotskisme. Pour lui, la révolution à venir ne pouvait qu’être internationale [1]. En raison de ses activités politiques, Omar Blondin Diop fut expulsé fin 1969 de France vers le Sénégal, où il participa au Mouvement des jeunes marxistes-léninistes. Assistant de recherche à l’Institut fondamental d’Afrique noire, Blondin Diop intervenait régulièrement dans des conférences. Les après-midis, il pérégrinait dans Dakar aux côtés d’artistes iconoclastes ; les nuits, il prévoyait les luttes à venir avec des camarades afro-américains. Blondin Diop promut la performance artistique et développa le projet d’un « théâtre dans la rue qui dira ce qui préoccupe et intéresse le peuple », étroitement lié au Théâtre de l’Opprimé d’Augusto Boal. Le Sénégal indépendant était un espace néo-colonial. Senghor, plaidant pour une autonomie progressive sur vingt ans, en appelait régulièrement au soutien de la France. En 1968, à l’éclatement d’une grève générale à Dakar, la police réprima le mouvement avec l’aide des troupes militaires françaises. En 1971, Senghor invita le président français Georges Pompidou, ami proche et ancien camarade de classe ; une provocation pour nombre de jeunes militants radicaux. Au moment de la visite, un groupe tenta d’attaquer le cortège présidentiel, mais ses membres furent arrêtés. Parmi les détenus figuraient deux frères de Blondin Diop, qui, lui, était retourné à Paris quelques mois plus tôt.

« Assassins, Blondin vivra »

Blondin Diop quitta la France avec plusieurs amis afin de s’initier à la lutte armée dans un camp syrien de fedayin palestiniens et de guérilleros érythréens. Leur plan était d’enlever l’ambassadeur de France au Sénégal et de le libérer en échange de leurs camarades emprisonnés. Ils se rendirent à Conakry puis Bamako, où la police les arrêta à l’automne 1971. Extradé vers le Sénégal, Omar Blondin Diop fut condamné à trois années de réclusion pour « tentative de complot contre l’autorité de l’État » et enfermé à la prison de Gorée. Le 11 mai 1973, les autorités annoncèrent la mort d’Omar Blondin Diop. Il avait 26 ans. La nouvelle fit l’effet d’une bombe. Des centaines de jeunes prirent d’assaut les rues et inscrivirent sur les murs de la capitale : « Senghor, assassin ; On tue vos fils, réveillez-vous ; Assassins, Blondin vivra ». D’emblée, l’État du Sénégal a maquillé le crime. Tandis que l’autopsie officielle présentait la mort d’Omar Blondin Diop comme un « suicide par pendaison », le père du défunt rédigea un rapport de contre-expertise attestant de coups reçus au cou. Après une tentative échouée de reconstitution du « suicide », le juge Moustapha Touré découvrit que le détenu s’était évanoui plusieurs jours avant l’annonce de sa mort. Mais les autorités le remplacèrent par un autre juge qui, deux ans plus tard, mit fin à cette procédure judiciaire. Dans le contexte politique troublé du Sénégal actuel, l’État ne semble pas pressé de rouvrir le dossier sur la mort d’Omar Blondin Diop. Mais ses proches ne désespèrent pas : comme le veut l’adage qu’ils citent régulièrement, « quelle que soit la longueur de la nuit, le soleil finit toujours par se lever ».

Florian Bobin

Étudiant-chercheur en histoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, auteur d’une biographie d’Omar Blondin Diop et éditeur d’une sélection des écrits du philosophe (tous deux à paraître).

Une version longue de cet article a été initialement publiée en anglais par la Review of African Political Economy, traduit en français par Florian Bobin pour Afrique XXI (17/05/2023).

[1Un ouvrage à paraître (Nous voir nous-mêmes du dehors), compilé par Florian Bobin, regroupe une sélection d’écrits politiques d’Omar Blondin Diop

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Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 332 - novembre 2023
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