Recension du livre de Bernard Maingain, sous titré « Un crime judiciaire d’État ».
Un non-lieu confirmé en cassation… et puis plus rien. La justice française a refermé le dossier de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, qui servit de déclencheur au génocide des Tutsis. Bien que trois Français figurent parmi les victimes, elle a renoncé à identifier les auteurs du crime. Bernard Maingain, l’avocat des responsables du FPR mis en cause par le juge Bruguière, brise le silence sur une instruction truffée de manipulations et de mensonges, qu’il qualifie de « crime judiciaire d’État »
L’affaire Péan : un prélude
Pour Bernard Maingain, c’est le livre de Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, véritable brûlot négationniste et raciste, qui a servi de « courte échelle » à l’instruction du juge Bruguière, nimbant son enquête d’idéologie anti-tutsie et de parti-pris anti-FPR. S’appuyant sur les révélations de Wikileaks (p.77), Bernard Maingain met « en cause l’impartialité de l’instruction menée par le juge (…) [son] hostilité manifeste (…), le fait que ce même magistrat s’est engagé dans une formation politique [française] dont plusieurs dirigeants peuvent théoriquement être soupçonnés de complicité de génocide, ce qui porte atteinte à l’exigence d’apparence d’indépendance du magistrat ».
Une ordonnance passée au crible
La démonstration est précise, les questions nombreuses. Les tueurs avaient besoin de savoir que l’avion était en zone d’approche : avec qui étaient-ils en contact radio ? Est-ce la raison de l’assassinat des gendarmes français Didot et Maïer encore non élucidé ? (Libération, 10/01/2013). Qu’avaient pu voir ou entendre les villageois du secteur pour qu’on les massacre dans les jours suivants ? [1] Pourquoi le juge n’a-t-il pas pris en compte (p. 269) « le témoignage du colonel de Saint Quentin (…) [qui] permettait d’indiquer de manière indiscutable le point de départ des missiles (…) inaccessible à un commando extérieur tant pour s’y rendre que pour se replier » ? Pourquoi l’enquête de l’auditorat belge et de ses experts écossais (p.107) n’a-t-elle pas été intégrée à l’enquête française ? Il est vrai que l’enquêteur belge Artiges était convaincu de la responsabilité française dans l’attentat (p.96), un point de vue que le juge Bruguière était loin de partager.
Un espion au service de Bruguière
B. Maingain raconte comment Paul Barril a conseillé à l’enquêteur Payebien (p.141) de s’attacher les services de Fabien Singaye, pourtant chassé de Suisse pour espionnage en août 1994. Gendre de Félicien Kabuga, « le financier du génocide », Singaye a des liens privilégiés avec le clan Habyarimana. Il va servir d’« interprète pour deux témoins directs et pour la traduction d’une pièce importante, à savoir l’enregistrement de la tour de contrôle ». La perquisition chez Barril (p.145) révélera que Singaye était employé par Secrets, la société de Paul Barril, lequel a fait après le génocide « des offres de service (…) auprès des autorités françaises (…) dans une perspective de reconquête du pouvoir par voie diplomatique et, à défaut, par la force militaire ».
La boite noire et les enfumages du dossier
Concernant la boîte noire de l’avion, B. Maingain décortique une instruction faite de mensonges à répétition. Après la chute de l’avion (p.155), « l’équipe de Grégoire Saint Quentin recherche la fameuse boite noire la nuit du 6 au 7 avril 1994 ». L’officier affirme que ses recherches, qu’il situe le lendemain, « ne furent pas fructueuses ». Mais, le 28 juin 1994, Paul Barril se targue de l’avoir retrouvée. Un mensonge grossier, vite démonté par des experts. Mais pourquoi l’a-t-il fait ? Et pour qui ? Cette mascarade ne le décrédibilisera pourtant pas aux yeux de l’enquêteur Payebien. En 2004, nouveau rebondissement, orchestré par le journaliste Stephen Smith (p.506) : la boite noire aurait été saisie par l’ONU. Bruguière est obligé d’enquêter, pour conclure qu’il s’agit en fait de celle d’un Concorde. Qui a fabriqué la mise en scène ? Comment ? Quant à la boite noire du Falcon, qui la détient ? Pourquoi la faire disparaître ?
Un non-lieu comme fin de non-recevoir
Une fois les enquêtes sérieusement menées par les juges qui ont succédé au juge Bruguière (p.257 à 280) et le non-lieu prononcé pour les Rwandais mis en accusation, aucune autre thèse n’a été étudiée. La Cour de cassation a rejeté les pourvois déposés par les familles de victimes. Reste donc à découvrir les instigateurs, les auteurs, les complices de l’attentat. On peut se demander pourquoi les parties civiles n’ont jamais demandé d’examiner d’autres pistes. A moins qu’on leur ait déconseillé de le faire ?
Laurence Dawidowicz
Bernard Maingain, Le cri du falcon : un crime judiciaire d’État, préface de Lef Foster, Histoires et images, mars 2024, 520 p. 30 €
[1] cf. Le Sabre et la Machette, de François Graner.