Survie

Charles Onana devant la justice

Négationnisme

(mis en ligne le 31 août 2024) - Ruben Morin

Ce 7 octobre débutera le procès du « journaliste » Charles Onana et des éditions du Toucan. La suite d’une plainte pour contestation de crime contre l’humanité déposée par plusieurs associations, dont Survie.

« La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». C’est ce qu’écrit Charles Onana à la page 198 de son livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise - Quand les archives parlent, paru en 2019 [1]. Le journaliste y affirme également que « le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs » (p. 34). Ou encore : « Continuer à pérorer sur un hypothétique “plan de génocide” des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire » (p. 460).

Des propos qui ont alerté la Ligue des droits de l’Homme, la Fédération internationale pour les droits humains et Survie qui voient là une opération de négation du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Ces trois associations se sont réunies pour porter plainte contre Charles Onana et les éditions du Toucan qui ont publié son ouvrage (sous le label de L’Artilleur). D’autres se sont également portées parties civiles : Ibuka France, la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et la Communauté rwandaise de France. Le procès est prévu pour se tenir du 7 au 11 octobre prochains devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris.

Charles Onana se présente comme un « journaliste d’enquête », mais la grande majorité de ses livres est éditée par les éditions Duboiris, dont le gérant n’est autre que... Charles Onana lui-même. En 2017, il a soutenu une thèse sur la dimension médiatique de l’opération Turquoise, pour laquelle il a obtenu le titre de docteur en science politique. Aucun rattachement à un laboratoire universitaire ou aucune publication scientifique n’ont cependant donné consistance à ce diplôme.

Proximité avec les génocidaires

À force de propos négationnistes, des médias qui invitaient régulièrement ce « politologue » sans emploi ni publication lui ont désormais fermé leur antenne. Parmi eux, TV5 Monde, France 24 ou LCI. Ceux qui lui donnent encore la parole — TV Libertés, le Cercle Aristote, André Bercoff… — appartiennent à des sphères souverainistes ou d’extrême droite.

La lecture des ouvrages sur le Rwanda de Charles Onana, fils spirituel revendiqué de Pierre Péan [2], montre également ses affinités avec certains milieux militaires français et rwandais dont il se fait le porte-voix. Dans Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise, Onana recueille quatre témoignages d’officiers des Forces armées rwandaises (FAR), dont celui d’Anatole Nsengiyumva condamné en appel par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), ainsi que celui d’André Ntagerura, ministre du gouvernement intérimaire rwandais (GIR), acquitté, lui, par le TPIR. Nsengiyumva et Ntagerura ont participé à la publication en 1996 d’un texte dans lequel on peut lire que «  l’utilisation du mot “génocide” procède d’une campagne médiatique savamment conçue par le FPR et ses alliés » et que « le “génocide tutsi” au Rwanda était un alibi ou une carte utilisée pour la conquête finale du pouvoir, cautionnée par la Communauté Internationale ».

Cette contestation de la qualification du crime est l’idée principale reprise par Onana 23 ans plus tard dans son livre (p.190). Au mépris des faits, celui-ci écrit ainsi : « Pour ne pas avoir à s’exposer à la moindre réflexion ou à des questions embarrassantes, les États-Unis valident ainsi, sans la moindre réserve et très officiellement, la demande pressante du FPR de retenir le mot “génocide” ou de qualifier comme tel les massacres du Rwanda. Ce terme est donc retenu sans examen ni enquête préalable. Sa validation ne sera jamais soumise à l’avis des magistrats professionnels ni à la consultation d’une quelconque juridiction internationale. C’est la volonté du FPR et la décision d’un secrétaire d’État américain qui ont conduit à parler de “génocide” au sein des Nations unies et principalement au Conseil de sécurité. » Comme les Hutus extrémistes responsables du génocide des Tutsis, Charles Onana met quasi systématiquement dans son livre des guillemets autour du mot génocide.

Quel sera l’enjeu de ce second procès en France pour contestation du génocide des Tutsis [3] ? Bien sûr, il précisera les limites légales des propos que l’on peut tenir sur ce crime contre l’humanité. Il pourrait également aider à mieux comprendre les raisons de la vitalité du négationnisme du génocide des Tutsis en France. Dans ce pays aux « responsabilités lourdes et accablantes » selon le rapport Duclert (des responsabilités qu’il faudra bien un jour qualifier de complicité), qui aura intérêt à venir à la barre défendre la même propagande que celle des organisateurs du génocide des Tutsis ? Ceux-là mêmes soutenus il y a 30 ans par les autorités françaises...

Ruben Morin

[1« Charles Onana mis en examen », Billets d’Afrique n°316 (avril 2022)

[2« Une vie en Françafrique », Billets d’Afrique n°289 (septembre 2019)

[3Après celui intenté en 2022 contre Natacha Polony : « Relaxe attendue pour Natacha Polony », Billets d’Afrique n°318 (juin 2022)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 339 - septembre 2024
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