TotalEnergies veut relancer le chantier d’exploitation d’un énorme gisement de gaz naturel au large du Mozambique, suspendu en 2021 pour cause d’attaques djihadistes dans la région du Cabo Delgado. Mais à quel prix, compte tenu des répercussions sociales, environnementales, climatiques et sécuritaires du projet ? Sans compter les implications politiques et militaires, qui percutent jusqu’à la politique européenne dans la région des Grands Lacs.
Tout commence au début des années 2010 avec la découverte, au large du Mozambique, de la plus importante réserve gazière exploitable d’Afrique (la neuvième au niveau mondial) : 4500 milliards de mètres cubes dans le bassin de Rovuma. Si l’entreprise Total (rebaptisée TotalEnergies en 2021) a déjà été brièvement présente dans la zone pour l’exploration pétrolière à partir de la fin 2012, elle ne s’y est implantée pour la production gazière qu’en septembre 2019. Elle y a été précédée par une myriade d’entreprises françaises importantes dans le secteur parapétrolier, pour la prospection, la logistique, les services ou la finance.
Or, « aux origines de l’implication française dans l’exploration des hydrocarbures au large du Mozambique, on retrouve un scandale de corruption et de contraction de dettes cachées » lié à des ventes d’armes, souligne un rapport de juin 2020 de l’ONG Les Amis de la Terre intitulé « De l’eldorado gazier au chaos. Quand la France pousse le Mozambique dans le piège du gaz » (Billets d’Afrique n°299, juillet 2020). En 2013, sous couvert de se doter d’une flotte de pêche au thon, le Mozambique s’est lourdement et secrètement endetté pour commander des navires aux Constructions mécaniques de Normandie (CMN). « Très vite, il est devenu évident que derrière (...) se cachait en fait un programme militaire, visant à acquérir du matériel et à proposer des services de surveillance maritime aux compagnies pétrolières et gazières actives dans le canal du Mozambique. (…) Le gouvernement français savait (…) qu’il s’agissait d’une commande plus large, incluant des contrats d’armement » et « que le prix des bateaux était largement surestimé », résume le rapport. Dénoncé en 2016 par le FMI, cet endettement masqué a plongé le pays dans une grave crise économique.
En amont de cette affaire, les liens entre la France et le Mozambique n’étaient pas inexistants, mais restaient faibles, limités pour l’essentiel aux intérêts stratégiques français dans le canal du Mozambique (Mayotte, îles Éparses). Les relations s’intensifient après la signature du contrat avec les CMN. En 2015, la France rouvre le service économique de son ambassade au Mozambique. La même année, François Hollande est le premier chef d’État français à accueillir le nouveau président du Mozambique en visite officielle. Ce dernier en profite surtout pour s’entretenir avec le patronat français et le ministre de l’Économie, un certain Emmanuel Macron. Quelques mois plus tard, des officiels français se rendent à leur tour au Mozambique pour tenter de transformer l’essai en matière de coopération économique et sécuritaire. Il s’agit de pousser le pays à se doter d’une marine militaire à même de protéger l’exploitation gazière, prévue alors pour démarrer en 2020.
Le soutien des autorités françaises à l’exploitation du gaz mozambicain est en totale contradiction avec les engagements pris dans l’accord de Paris sur le climat issu de la COP 21 de 2015. Il va pourtant se renforcer encore avec l’arrivée de Total. En 2019, la firme française fait l’acquisition des actifs africains de l’entreprise Anadarko pour près de 4 milliards de dollars. Avec 26,5 % des parts du projet « Mozambique LNG » sur le bloc 1, elle en devient ainsi l’opérateur principal. Le financement dépasse les 20 milliards d’euros, ce qui en fait le plus gros investissement jamais réalisé par le géant pétrolier sur le continent africain.
Il s’agit en particulier de construire deux trains de liquéfaction, d’une capacité de 13,1 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an, et des infrastructures portuaires pour son exportation. La péninsule d’Afungi, dans le Cabo Delgado, est transformée en gigantesque parc industriel. « Si l’on prend en compte l’ensemble de ses émissions, le projet Mozambique LNG pourrait produire entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes d’équivalent CO2 au cours de son cycle de vie, soit plus que les émissions annuelles de gaz à effet de serre de l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne », alertent les ONG qui mènent campagne contre ce projet [1]. À quoi il faut ajouter trois autres projets gaziers prévus sur le bloc 4 voisin. De véritables bombes climatiques.
En octobre 2017, une insurrection islamiste armée, menée par le mouvement Ansar al-Sunnah (aussi appelé Al-Shabab), se déclare à l’extrême nord du pays. Les racines du conflit sont locales et anciennes. La marginalisation économique de la région du Cabo Delgado, l’abandon de sa jeunesse, l’accaparement des richesses locales par des proches du pouvoir et des entreprises étrangères et la répression policière fournissent un terreau propice à l’essor des djihadistes. Comme au Sahel, le refus de considérer les causes endogènes et l’appréhension de la crise sous le seul prisme sécuritaire ont dans un premier temps contribué à radicaliser le mouvement sans l’affaiblir. La population s’est retrouvée prise en étau entre les exactions des forces de sécurité et la brutalité croissante des islamistes.
Dans un premier temps, le gouvernement du Mozambique joue la carte des sociétés militaires privées en complément de l’action des forces de sécurité. À mesure que le mouvement djihadiste gagne en importance, lorsqu’il commence à occuper plusieurs localités à partir de mars 2020, les pressions extérieures pour un recours à une ingérence militaire étrangère officielle se renforcent, émanant autant de pays voisins que de pays impliqués dans l’exploitation gazière.
Dans le souci d’incarner l’indépendance nationale aux yeux de sa population, le président Nyusi refuse d’abord le déploiement de militaires étrangers. Mais en échange d’un soutien logistique et d’une compensation budgétaire, il met à disposition d’Anadarko, puis de TotalEnergies, jusqu’à 700 militaires des Forces armées de défense du Mozambique (FADM) pour protéger le chantier Mozambique LNG. Dans le même but, la multinationale française a en outre recours à des sociétés privées, souvent dirigées par d’anciens militaires français.
En février 2020, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian se rend à Maputo pour réitérer la volonté française de renforcer la coopération navale entre les deux pays. La France propose aussi aux services secrets mozambicains de profiter de l’imagerie satellitaire française. Mais aucun nouvel accord de coopération militaire n’est alors signé et le Mozambique fait le choix du renseignement états-unien. La France manœuvre ensuite avec le Portugal et l’Italie pour faire accepter, en octobre 2020, le principe d’une mission militaire de formation de l’Union européenne au Mozambique, que ce dernier autorise dans l’espoir d’obtenir du matériel militaire. Cette mission EUTM-Mozambique se déploie un an plus tard pour former les forces spéciales locales engagées dans la lutte contre-insurrectionnelle.
Entre temps, la menace djihadiste et avec elle les inquiétudes de TotalEnergies sont encore montées d’un cran. Début 2021, selon le journal sud-africain The Mail & Guardian (12/09/2021), le président Nyusi aurait suggéré à TotalEnergies de demander une présence militaire française pour sécuriser la zone industrielle, mais la France se serait montrée réticente. En mars 2021, la ville portuaire de Palma, voisine de quelques kilomètres du site d’Afungi, est conquise pendant plusieurs jours par les hommes de Ansar al-Sunnah, désormais affilié à l’État islamique. Les centaines de soldats d’élite des forces mozambicaines se contentaient jusque-là de protéger les installations de TotalEnergies, et non les civils. L’attaque aurait fait une trentaine de morts selon les autorités du pays, plus de mille selon une enquête indépendante coordonnée par le journaliste Alex Perry – dont au moins 55 employé·e·s de sous-traitants de TotalEnergies. En mai 2024, une enquête judiciaire a été ouverte en France contre la multinationale pour « homicide involontaire » et « non-assistance à personne en danger ». TotalEnergies est notamment accusée d’avoir refusé du carburant aux hélicoptères d’une société de sécurité qui devaient évacuer des civils.
Suite à l’attaque de Palma, le chantier de construction des usines de GNL doit être évacué et TotalEnergies fait alors valoir l’état de « force majeure » qui lui permet de suspendre le projet sans avoir à s’acquitter de pénalités. Les pressions en faveur d’une intervention militaire extérieure s’accroissent encore. « La France est disponible pour prendre part à des opérations sur la partie maritime » en cas d’intervention de la SADC (Communauté de développement d’Afrique australe), déclare le président français Emmanuel Macron en visite en Afrique du Sud. Mais le président Nyusi, réticent à voir son puissant voisin sud-africain s’ingérer dans les affaires intérieures du pays, se contente dans un premier temps d’appeler à une aide logistique et à davantage de coopération militaire.
Le Mozambique accepte finalement une mission militaire de la SADC qui se déploie en août 2021. Mais pas avant d’avoir sollicité un autre partenaire inattendu, le Rwanda, dont un millier de soldats et de policiers sont arrivés dans le pays un mois plus tôt (leur nombre augmentera par la suite jusqu’à 2500). Avec leur appui, les troupes mozambicaines reprennent la ville de Mocímboa da Praia dont les djihadistes avaient fait leur place forte, et sécurisent un périmètre autour du site de TotalEnergies. L’armée rwandaise est perçue, notamment en Afrique du Sud, comme un sous-traitant au service des intérêts français sur le sol africain. Il ne fait pourtant aucun doute que le Rwanda suit là des intérêts propres, qu’il s’agisse entre autres d’accentuer la surveillance de ses opposants présents sur le sol mozambicain, d’obtenir un retour économique pour les entreprises liées au Front patriotique rwandais (le parti au pouvoir) ou encore de consolider sa légitimité et son impunité sur la scène continentale et internationale en raison des services militaires rendus à la « communauté internationale ».
Mais l’affirmation de Paul Kagame, qui a assuré que ses troupes n’étaient pas là pour « protéger des projets privés » (LeMonde.fr, 29/09/2021), est peu crédible. Selon The Mail & Guardian, c’est la France qui aurait soufflé l’idée au président mozambicain. Ce que les autorités françaises nient : « La France n’a donné aucun feu vert, orange ou rouge pour cette intervention », assure une source élyséenne. « En revanche, dans toutes les conversations entre MM. Macron et Kagame, la question du Mozambique a été évoquée. À chaque fois, les Rwandais nous ont tenus au courant de l’état de leurs discussions avec le Mozambique » (LeMonde.fr, 27/05/2022). Des journalistes et des chercheurs considèrent que la France a au minimum favorisé cette solution.
Interrogé par un parlementaire le 21 mars 2024, Jean-Claude Mallet, directeur des affaires publiques de TotalEnergies, réfute quant à lui toute action de son entreprise pour réclamer une action militaire française ou favoriser celle du Rwanda : « La seule chose que nous ayons vraiment essayé de dire, c’est : attention, l’armée mozambicaine ne tient pas la route, pour des raisons historiques. Si nous avons peut-être exercé une influence, c’est en disant : il serait bon que l’Union européenne puisse développer des actions de coopération. Mais c’était un avis. À cet égard, nous ne prenons aucune décision. »
Après la mission EUTM-Mozambique, à l’initiative de la France, l’Union européenne accorde un soutien de 20 millions d’euros aux troupes rwandaises au Mozambique, via le mécanisme de Facilité européenne pour la paix (FEP). Autre retour d’ascenseur : en janvier 2022, la PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, fait escale au Rwanda pour inaugurer l’ouverture d’une antenne locale de l’entreprise et signer un protocole d’accord concernant le développement énergétique du pays. Depuis, des entreprises rwandaises ont été associées aux intérêts de TotalEnergies au Mozambique dans le domaine de la sécurité et du BTP.
Cette convergence d’intérêts pourrait surprendre ceux qui n’ont pas suivi le processus de rapprochement entre la France et le Rwanda entamé sous Nicolas Sarkozy et poursuivi par Emmanuel Macron. Une normalisation diplomatique concrétisée avec la nomination en juin 2021, après six ans de vacance du poste, d’un nouvel ambassadeur français à Kigali. Le déploiement de forces rwandaises au Mozambique coïncide également avec la reprise de la coopération sécuritaire entre France et Rwanda, rompue depuis la prise de pouvoir du Front patriotique rwandais qui avait chassé en juillet 1994 le gouvernement génocidaire soutenu par la France.
En août 2021, un attaché de défense est affecté à l’ambassade de France à Kigali. Puis, en mars 2022, une délégation rwandaise comprenant le chef d’état-major, le chef des services de renseignement militaire et le chef des opérations et de la formation est reçue à Paris par le chef d’état-major français des armées. C’est ensuite le patron de la Direction du renseignement militaire (DRM) française qui est attendu à Kigali fin novembre. Par ailleurs, l’intervention au Mozambique n’est pas la première intervention rwandaise accueillie favorablement par l’Élysée. En décembre 2020, le Rwanda avait déjà envoyé des troupes en Centrafrique, pour défendre le régime de Faustin-Archange Touadéra contre plusieurs groupes armés. La France, dont l’influence dans le pays commençait à décliner, avait vu d’un bon œil la présence de ce nouvel allié pour contrebalancer l’influence russe via le groupe Wagner.
L’action au Mozambique des forces rwandaises, plus respectueuses des civils que les troupes mozambicaines et plus efficaces militairement, a été unanimement saluée, mais elles n’ont pour autant apporté qu’une solution partielle et temporaire au problème. Bien qu’affaiblis, les djihadistes ont adapté leur stratégie et étendu leur présence géographiquement pour échapper aux représailles. Début 2024, on dénombrait près de 5000 victimes depuis le déclenchement du conflit et près d’un million de personnes déplacées. Rien ne pourra être de toute façon réglé tant que le terreau politique et social qui a permis aux djihadistes de prospérer n’aura pas été pris en compte. Or l’exploitation gazière que ces troupes étrangères ont vocation à sécuriser fait partie intégrante du problème…
En 2022, pour couper court aux critiques, le PDG de TotalEnergies confie une « mission d’évaluation indépendante sur la situation humanitaire dans la province du Cabo Delgado » à Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur français et ex président d’Action contre la faim (2002-2006), pour déterminer les conditions d’une possible reprise de ses activités dans le pays. Le rapport, rendu public en mai 2023, préconise entre autres une meilleure prise en compte des populations lésées et une aide en matière de projets de développement qui ne soit pas limitée à la zone limitrophe de l’exploitation gazière. Il s’abstient en revanche de traiter des questions relatives au respect des droits humains, même s’il préconise la rupture des liens entre TotalEnergies et les forces mozambicaines, – ce qui vaudrait condamnation implicite de leurs pratiques selon Rufin (LeMonde.fr, 06/07/2023). Il a également été reproché au rapport de ne pas « indiquer que le grand projet d’exploration gazière a déclenché une forte pression foncière, d’importants déplacements de population, une inflation généralisée et un sentiment d’exclusion chez les autochtones, notamment dans l’accès à l’emploi », résume Le Monde. Conformément aux préconisations du rapport, une fondation, dotée d’un budget annuel de 200 millions de dollars, est créée pour solde de tout compte et la multinationale s’engage à accélérer les processus de compensation liés aux expropriations.
La reprise des activités a été plusieurs fois annoncée en interne chez TotalEnergie, mais elle a sans cesse été différée. La multinationale subit de multiples pressions pour un redémarrage rapide. De la part du pouvoir mozambicain qui souhaite qu’elle lève la « force majeure » alors que la prochaine élection présidentielle doit se dérouler fin 2024 ; de la part des autres actionnaires du consortium inquiets de la hausse des coûts du projet ; de la firme états-unienne ExxonMobile, opérateur du bloc 4 voisin de celui de TotalEnergie ; ou encore des sous-traitants et des bailleurs de fonds, plusieurs banques se montrant de plus en plus hésitantes à financer les investissements nécessaires. Par ailleurs, plus de 10 millions de tonnes de GNL ont déjà été prévendues à des clients asiatiques et européens (dont EDF).
Mais en dépit de déclarations rassurantes tenues périodiquement par les responsables de la firme, les conditions sécuritaires ne paraissent toujours pas réunies. Les djihadistes, même diminués, poursuivent leurs attaques meurtrières. Un regain de leur activité est par exemple observé dans la zone de déploiement de la force militaire de la SADC (la SANIM), sur le départ et réduite depuis janvier 2024. Le Rwanda porte alors à 5000 ses effectifs dans le nord du Mozambique, répondant aussi aux sollicitations d’ExxonMobil. Cette présence est ambivalente pour TotalEnergies : elle est à la fois une bouée de secours et une source d’inquiétude. Cette dépendance sécuritaire risque de conférer au Rwanda un pouvoir de pression démesuré sur les firmes et les pays engagés dans l’exploitation du gaz.
Ces derniers peuvent par ailleurs se voir accuser de cautionner les agissements de leur allié en République démocratique du Congo (RDC), où la rébellion du M23 est militairement soutenue par le Rwanda. Le dernier rapport d’experts de l’ONU (S/2024/432, juin 2024) accuse les militaires rwandais, dont le nombre serait compris entre 3000 et 4000, d’être même plus nombreux que les rebelles. « Le contrôle et la direction que [les Forces rwandaises de défense exercent] de facto sur les opérations du M23 rendent également le Rwanda responsable des actes du M23 », estime le rapport qui pointe le « grand nombre de victimes civiles et des déplacements massifs de population », ainsi que le recrutement forcé des enfants.
Le président de la RDC Félix Tshisekedi a dénoncé à plusieurs reprises le soutien européen apporté à l’action rwandaise au Mozambique [2]. En visite officielle en France fin avril 2024, il affirmait affirme avoir mis en garde Emmanuel Macron : « Une mise au point s’imposerait si nous nous rendions compte que les contingents rwandais envoyés au Mozambique et assistés par l’État français étaient ensuite dirigés pour nous faire la guerre en RDC. Cela provoquerait un risque de crise diplomatique évident avec Paris » (LeFigaro.fr, 02/05/2024). Depuis plusieurs mois, la France tente ainsi, non sans mal, d’adopter une position diplomatique plus équilibrée entre la RDC et le Rwanda [voir encadré ci-dessous].
La France a appuyé la nouvelle demande de financement européen de 20 millions d’euros que le Rwanda a déposée début 2024 pour soutenir sa présence militaire contre l’État islamique au Mozambique. Celle-ci fait pourtant de plus en plus fortement débat. Si le Portugal et l’Italie ont également soutenu cette demande, d’autres pays, comme la Belgique, s’y sont opposés. La décision, prévue début juillet et requérant l’unanimité des pays membres de l’UE, a été ajournée. Plusieurs États ont en outre été particulièrement irrités par l’immixtion du Rwanda dans le processus de désignation d’un nouveau représentant spécial de l’Union européenne pour la région des Grands Lacs. Le Rwanda a en effet fait pression sur certains pays en avril 2024 pour faire capoter la nomination d’un représentant belge. La France a alors retiré son soutien à ce dernier et réintroduit une candidature française. C’est finalement un diplomate suédois qui a été choisi. Le Rwanda a donc eu gain de cause.
Cependant, si certains pays européens rechignent à voir le Rwanda bénéficier de financements européens pour sécuriser les projets gaziers de TotalEnergies et des autres multinationales au Mozambique, cela ne signifie nullement une remise en cause du soutien accordé à ce projet, y compris militairement. Sous couvert de favoriser la gestion des « affaires africaines (…) directement par les Africains eux-mêmes », surtout si « au passage, cela protège également les intérêts de nos entreprises » (dixit un diplomate européen au Monde, 25/06/2024), le soutien financier à l’armée mozambicaine s’est ainsi accru et le mandat de la mission militaire européenne au Mozambique a évolué pour permettre « aux troupes de l’UE d’être déployées sur le terrain des opérations », selon Africa Intelligence (04/01/2024). Un pas supplémentaire vers la militarisation de l’extractivisme sur le continent.
Raphaël Granvaud
Une version plus développée de cet article est parue sur le site Afrique XXI
En février 2023, pour la première fois, un communiqué de la diplomatie française a « condamn[é] la poursuite des offensives du M23 avec le soutien du Rwanda, et la présence des forces rwandaises sur le territoire congolais », tout en appelant « les forces armées de RDC [à] cesser toute collaboration avec les FDLR, mouvement issu des milices ayant commis le génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994 ». Mais le président Macron rechigne à réaffirmer publiquement cette position, même à l’occasion de sa visite officielle en RDC en mars 2023. Il s’était alors permis de faire publiquement la leçon à son homologue congolais sur la gestion de la crise sécuritaire. Surtout, en vertu d’un rôle de médiateur qu’il entend jouer, Macron se refuse à franchir le pas d’une demande de sanctions internationales contre le Rwanda, réclamées par Tshisekedi.
La mise en balance des intérêts français au Rwanda et en RDC explique sans doute cette position ambiguë. Si les liens militaire et économiques entre France et RDC restent encore limités, l’importance des richesses naturelles et du marché potentiel du pays nécessite que l’on n’insulte pas l’avenir pour les responsables français. Mais la volonté de ne pas compromettre le rapprochement diplomatique opéré ces dernières années avec le Rwanda, la perspective d’en faire un allié militaire de premier plan en Afrique et l’importance des investissements immédiats au Mozambique l’emportent pour l’heure.
[1] Voir la page consacrée au projet sur le site de la campagne Defund TotalEnergies
[2] Le même joue par ailleurs contre le M23 et le Rwanda un jeu dangereux d’instrumentalisation de milices, parmi lesquelles les Forces démocratiques de libération du Rwanda qui perpétuent l’idéologie génocidaire anti-tutsie.