Survie

Puissance culturelle

(mis en ligne le 2 octobre 2024) - Thomas Borrel

Rassemblant 88 États et gouvernements, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) promeut à la fois « la langue française et la diversité culturelle et linguistique » : une idée généreuse permettant, suppose-t-on, la communication des peuples et le partage des cultures. Qui pourrait être contre ? Le sommet de l’OIF organisé les 4 et 5 octobre en France, à Villers-Cotterêts, s’annonce consensuel.

Certes, personne n’ignore que l’histoire de la diffusion du français est intimement liée au passé colonial de la France et à ses conquêtes sur tous les continents. Mais beaucoup ignorent que son intérêt stratégique est théorisé dès la fin du XIXe siècle. Le géographe Onésime Reclus, qui forge alors le néologisme « francophonie », prédit que le français permettra d’assurer une présence durable en Afrique. Il faut, explique-t-il, « assimiler nos Africains, de quelques races qu’ils soient, en un peuple ayant notre langue comme langue commune. Car l’unité du langage entraîne peu à peu l’union des volontés. »

Surtout, dans les milieux supposément « informés », on cultive toujours le mythe que l’OIF serait le résultat d’une initiative des ex-colonisés. Une légende construite dès le lendemain des indépendances [1]. « La francophonie est une grande idée », explique le général de Gaulle en 1963, mais « il ne faut pas que nous soyons demandeurs ». Le même confie à un proche, en 1966 : « Maintenant que nous avons décolonisé, notre force dans le monde repose sur notre force de rayonnement, c’est-à-dire avant tout sur notre puissance culturelle. La francophonie prendra un jour le relai de la colonisation. »

La France peut compter sur ses amis pour porter l’idée, comme le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. En réponse à cette « demande », en 1970 est créée l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), ancêtre de l’institution rebaptisée OIF en 2006.

Entre autres objectifs, celle-ci dit promouvoir la démocratie et les droits humains mais ses « observateurs » sont étonnamment myopes lorsqu’ils sont invités à assister à des scrutins dans les pays « amis de la France ». L’OIF avalise de fait chaque farce électorale, du Congo au Togo en passant par le Rwanda – pays dont est issue son actuelle Secrétaire générale, élue grâce à Paris. Quant à son réseau de formation pour les opérations de paix, il diffuse une méthode d’apprentissage du français spécifiquement conçue pour les Casques bleus, appelée « En Avant ! », qui vise à favoriser ce qu’on appelle « l’interopérabilité » entre armées francophones, donc leur capacité à travailler ensemble. Cela entretient opportunément une culture militaire favorable à la France – et à ses fabricants d’armes – au sein des appareils sécuritaires concernés [2].

Confronté à une contestation populaire croissante de l’action de la France en Afrique, Emmanuel Macron a repris à son compte une idée rabâchée par les rapports parlementaires dédiés aux relations franco-africaines : promouvoir la francophonie pour resserrer les liens. En 2017, à Ouagadougou, il déclarait vouloir une « francophonie forte, rayonnante, qui illumine et qui conquiert ». Une terminologie assumée cinq ans plus tard au sommet de l’OIF, où il expliquait que la francophonie était « tout à la fois un espace de résistance et de reconquête ».

Il a raison. La francophonie n’est pas seulement une idée tout droit issue de notre histoire impériale, elle cristallise une mythologie coloniale persistante où Paris est le phare qui doit éclairer le monde.

Je soutiens Survie

[1« Francophonie. Quand la France déploie son empire linguistique », chapitre de l’ouvrage collectif L’Empire qui ne veut pas mourir (Seuil, 2021), également republié par Afrique XXI.

[2« Francophonie : la langue des armes », Billets d’Afrique n°267, mai 2017

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 340 - octobre 2024
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