Rassemblant 88 États et gouvernements, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) promeut à la fois « la langue française et la diversité culturelle et linguistique » : une idée généreuse permettant, suppose-t-on, la communication des peuples et le partage des cultures. Qui pourrait être contre ? Le sommet de l’OIF organisé les 4 et 5 octobre en France, à Villers-Cotterêts, s’annonce consensuel.
Certes, personne n’ignore que l’histoire de la diffusion du français est intimement liée au passé colonial de la France et à ses conquêtes sur tous les continents. Mais beaucoup ignorent que son intérêt stratégique est théorisé dès la fin du XIXe siècle. Le géographe Onésime Reclus, qui forge alors le néologisme « francophonie », prédit que le français permettra d’assurer une présence durable en Afrique. Il faut, explique-t-il, « assimiler nos Africains, de quelques races qu’ils soient, en un peuple ayant notre langue comme langue commune. Car l’unité du langage entraîne peu à peu l’union des volontés. »
Surtout, dans les milieux supposément « informés », on cultive toujours le mythe que l’OIF serait le résultat d’une initiative des ex-colonisés. Une légende construite dès le lendemain des indépendances [1]. « La francophonie est une grande idée », explique le général de Gaulle en 1963, mais « il ne faut pas que nous soyons demandeurs ». Le même confie à un proche, en 1966 : « Maintenant que nous avons décolonisé, notre force dans le monde repose sur notre force de rayonnement, c’est-à-dire avant tout sur notre puissance culturelle. La francophonie prendra un jour le relai de la colonisation. »
La France peut compter sur ses amis pour porter l’idée, comme le Sénégalais Léopold Sédar Senghor. En réponse à cette « demande », en 1970 est créée l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), ancêtre de l’institution rebaptisée OIF en 2006.
Entre autres objectifs, celle-ci dit promouvoir la démocratie et les droits humains mais ses « observateurs » sont étonnamment myopes lorsqu’ils sont invités à assister à des scrutins dans les pays « amis de la France ». L’OIF avalise de fait chaque farce électorale, du Congo au Togo en passant par le Rwanda – pays dont est issue son actuelle Secrétaire générale, élue grâce à Paris. Quant à son réseau de formation pour les opérations de paix, il diffuse une méthode d’apprentissage du français spécifiquement conçue pour les Casques bleus, appelée « En Avant ! », qui vise à favoriser ce qu’on appelle « l’interopérabilité » entre armées francophones, donc leur capacité à travailler ensemble. Cela entretient opportunément une culture militaire favorable à la France – et à ses fabricants d’armes – au sein des appareils sécuritaires concernés [2].
Confronté à une contestation populaire croissante de l’action de la France en Afrique, Emmanuel Macron a repris à son compte une idée rabâchée par les rapports parlementaires dédiés aux relations franco-africaines : promouvoir la francophonie pour resserrer les liens. En 2017, à Ouagadougou, il déclarait vouloir une « francophonie forte, rayonnante, qui illumine et qui conquiert ». Une terminologie assumée cinq ans plus tard au sommet de l’OIF, où il expliquait que la francophonie était « tout à la fois un espace de résistance et de reconquête ».
Il a raison. La francophonie n’est pas seulement une idée tout droit issue de notre histoire impériale, elle cristallise une mythologie coloniale persistante où Paris est le phare qui doit éclairer le monde.
[1] « Francophonie. Quand la France déploie son empire linguistique », chapitre de l’ouvrage collectif L’Empire qui ne veut pas mourir (Seuil, 2021), également republié par Afrique XXI.
[2] « Francophonie : la langue des armes », Billets d’Afrique n°267, mai 2017