Survie

Eugène Rwamucyo reconnaît le génocide des Tutsis « oui, mais… »

Un médecin condamné

(mis en ligne le 4 mars 2025) - Laurence Dawidowicz

Le 30 octobre, la cour d’assises de Paris a condamné le docteur Eugène Rwamucyo à vingt-sept ans de réclusion criminelle pour participation à une entente en vue de la préparation d’un génocide et complicité dans le génocide des Tutsis en 1994. Retour sur le procès.

Le génocide des Tutsis n’est pas le résultat d’une fureur populaire. Il ne commence pas le 7 avril 1994. C’est le fruit de l’ethnicisation de la société rwandaise, articulée à une logique coloniale, et l’aboutissement d’un projet de déshumanisation des Tutsis devenus un corps malade, étranger, dont il faudrait se méfier, se séparer, qu’il faudrait soustraire à l’Humanité. La façon dont les corps des victimes tutsies ont été traités fait partie du crime : enfouir les cadavres à la pelleteuse dans des fosses communes, dans des latrines, quoi de plus « normal » pour « traiter des déchets ».
Cette année encore, des charniers de centaines de cadavres ont été découverts, par exemple à Ngoma à l’occasion d’un chantier. Un charnier dont les fosses n’avaient pas été cartographiées, ni marquées d’une croix ou d’un symbole – comme un médecin-hygiéniste conscient des risques sanitaires aurait dû le faire pour éviter une pollution des nappes phréatiques ou des sources.

Condamné pour ses actes lors du génocide des Tutsis

Arrêté par les autorités françaises en 2010, le docteur Eugène Rwamucyo a été condamné ce mercredi 30 octobre à vingt-sept ans de réclusion criminelle après cinq semaines de procès. Il a fait appel de sa condamnation. Il était jugé devant la cour d’assises de Paris en vertu de la compétence universelle [1] pour son implication dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 2014, lui qui a mis son intelligence et sa formation de médecin hygiéniste au service du gouvernement génocidaire. Il avait notamment à l’époque soutenu sa candidature aux fonctions de responsable de la direction sanitaire de la région de Butare afin de devenir « coordonnateur des opérations d’enfouissement des cadavres ».
Le 14 mai 1994, lors du déplacement de Jean Kambanda, premier ministre du gouvernement intérimaire (GIR), à l’université de Butare, il a été le seul à faire un discours de soutien à la politique menée. Il y proposait les éléments de langage qui serviront à mieux cacher les crimes. Considéré comme un soutien important à la politique menée par le GIR, il a relayé les mots d’ordre incitant la population à s’en prendre aux Tutsis, à les tuer. Eugène Rwamucyo était aussi accusé d’avoir participé à l’enfouissement de victimes dans des fosses communes « dans un ultime effort pour supprimer les preuves de génocide ».

800 personnes constituées parties civiles

Les témoins sont venus dire devant la cour leurs souffrances, la traque qu’ils ont subie nuit et jour, la crainte d’être tué de façon atroce. Les conditions de leur survie, elles aussi souvent atroces. Comme pour cette personne, une enfant à l’époque, qui fut séquestrée et obligée de devenir « la femme d’un Interhamwe » alors qu’elle n’avait que 11 ans. Une avocate lui a demandé si elle a eu honte quand elle a enfin été libérée, si elle a honte aujourd’hui de venir parler devant la cour.
Voulait-elle évoquer par cette question la crainte de ne pas être crue ? La psychanalyste Régine Waintrater a bien exposé lors de son audition que celle-ci existe pour tout survivant. Comment expliquer ce qui dépasse l’entendement humain ? Comment dire l’indicible ? Qui, à part ceux qui ont survécu, peut vraiment comprendre que certains sons, certaines odeurs replongent les rescapés dans ces moments atroces, et que c’est le cas aussi lorsqu’ils viennent témoigner. Mais parler est essentiel puisqu’ils⋅elles sont vivant⋅e⋅s : « Ils en ont reçu mandat de ceux qui ne pourront plus jamais le faire ».
Ce sont pas moins de 800 personnes physiques qui se sont ainsi constituées parties civiles face à un homme jugé pour son implication dans l’ensevelissement et la disparition de quelque 100 000 personnes. Il est incontestable que ces victimes étaient des civils sans armes, femmes, hommes, enfants, nourrissons, vieillards – ces derniers en très grand nombre pour effacer le passé et interrompre la filiation. D’ailleurs, le procès a permis d’entendre que les combats n’avaient eu lieu dans la préfecture de Butare qu’entre juin et le 3 juillet 1994, aucune preuve n’ayant été trouvée de « présence d’infiltrés du FPR » sur les sites d’extermination.

« L’enfouissement des victimes permet la dissimulation du crime »

La cour d’assises a été convaincue que les faits relèvent d’une entente en vue de commettre le génocide, prévoyant « la mise en œuvre d’une logistique d’enfouissement des cadavres à la fois […] pour éviter les risques sanitaires pour la population subsistante mais aussi pour dissimuler les cadavres, faisant logiquement partie de la stratégie de minimisation et de négation de l’extermination et des violences infligées aux Tutsis. » D’ailleurs, si Eugène Rwamucyo décrit les sites où il s’est rendu afin de coordonner les enfouissements, il estime le nombre de cadavres d’une façon que la cour qualifie de « pour le moins fantaisiste et extrêmement choquante  ». Il reconnaît sa présence auprès de différentes fosses, mais il ne parle par exemple que de 60 cadavres au grand séminaire de Nyakibanda quand le rapport d’identification des sites du génocide y fait état de « fosses de 6 000 victimes ».
L’accusé a invoqué un impératif sanitaire là où l’accusation voit dans son action une volonté d’effacer les preuves. «  Le traitement des corps s’inscrit dans la continuité logique du génocide, car le propre des crimes de masses est de déshumaniser l’autre, le sortir de la communauté des hommes, avait plaidé Sarah Scialom, avocate de Survie. Ici, le corps est traité comme un déchet qu’on jette dans une fosse. Il n’est pas étonnant qu’on ait entendu parler de camions-bennes. De plus, l’enfouissement des victimes permet la dissimulation du crime. »
Les associations parties civiles ont profité de ce procès pour demander encore une fois la fin de l’impunité et la justice. Les rescapé·e·s et les familles des victimes, également parties civiles, ne demandent qu’une chose : « Qu’Eugène Rwamucyo nous dise où sont enterrés nos morts ». Les dépouilles, rarement identifiables 30 ans après les faits, pourront alors seulement être «  enterrées en dignité ».

Témoins négationnistes

Eugène Rwamucyo a dit lors de l’audience qu’il avait su dès avril 1994 qu’il s’agissait d’un génocide et non de grands massacres comme ceux de 1959, 1962, 1963, et même que « les Tutsis avaient été tués du seul fait qu’ils étaient Tutsis ». Il a contesté avoir participé à la politique génocidaire tout en faisant citer des témoins négationnistes, venus à la barre à sa demande pour sa défense. Pourquoi faire citer ces témoins si ce n’est pour leur faire dire ce que pense l’accusé encore aujourd’hui ? Des témoins dont la cour d’assises a estimé, dans les motivations de son arrêt, que « les exposés sans nuances [...] reflètent l’adoption d’un langage politique, maîtrisé, devenu immuable, indiscutable, destiné à éviter la moindre reconnaissance d’une quelconque part de responsabilité face aux centaines de milliers de morts tutsis entre avril et juillet 94 ». Avant de conclure : « La cour n’a pas été convaincue par le positionnement idéologique et manifestement partisan des témoins de la défense ».
Le père Fortunatus Rudakemwa a ainsi expliqué sans trembler que ce sont les Hutus qui ont subi un génocide. Il a menti sur le verdict du procès des sœurs de Sovu, condamnées pour crime de génocide par la cour d’assises de Bruxelles en 2001. Il a affirmé que l’abbé Seromba, condamné à perpétuité par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) notamment pour avoir fait s’effondrer l’église de Nyange sur des rescapés qui se trouvaient à l’intérieur, a été condamné à tort.
L’ex-ambassadeur du Rwanda en France, Jean-Marie Vianney Ndagijimana, a transformé sa déposition devant la cour en tribune sur le soi-disant double génocide… pour finir par ne plus parler que de celui des Hutus.
Jean Kambanda, ancien premier ministre du gouvernement génocidaire, incarcéré après sa condamnation à perpétuité par le TPIR pour génocide et entente en vue de commettre un génocide, a répété pendant quatre heures que le génocide des Tutsis aurait été orchestré par les Tutsis eux-mêmes avec pour objectif de faire ensuite le génocide des Hutus.
Charles Onana, probablement fatigué par son procès pour négationnisme du génocide des Tutsis qui s’est tenu du 7 au 11 octobre 2024, ne s’est même pas présenté devant la cour, lui qui ne sait pas écrire le mot génocide sans l’entourer de guillemets«  [2].
Hervé Déguine, ancien dirigeant de Reporters sans frontières, a expliqué que c’est au Rwanda aujourd’hui que « la parole n’est pas libre », mettant en garde contre les risques de témoignages mensongers. La cour et le jury ont pris soin de réaffirmer que cela ne les dispenserait pas d’examiner les faits reprochés à l’accusé et d’apprécier sa responsabilité au regard des accusations portées à son égard par une grande partie des 55 témoins du procès.
Est-ce après avoir entendu les propos mensongers tenus par les témoins de la défense que l’avocat général dans le procès en appel de Philippe Manier [3]. - a rappelé dès le premier jour que «  tout propos négationniste tenu pendant les audiences fera l’objet de poursuites » ? La justice française en aurait-elle assez d’écouter des négationnistes et leurs leçons de professionnalisme quand les associations parties civiles, elles, s’en remettent à la cour d’assises pour faire entendre la vérité et la mémoire des victimes, pour dire la culpabilité des bourreaux ?

Laurence Dawidowicz

Je soutiens Survie

[1L’État français est compétent pour la poursuite et le jugement d’une infraction, même si celle-ci a été commise à l’étranger, par des étrangers et à l’encontre de victimes étrangères, lorsque la personne poursuivie s’est rendue coupable de crime de torture, crime de génocide, crime contre l’Humanité, crime ou délits de guerre.

[2Charles Onana devant la justice » (Billets d’Afrique n°339, septembre 2024).

[3Philippe Hategekimana, naturalisé français en 2005 sous le nom de Philippe Manier, est un ancien gendarme rwandais condamné en juillet 2023 à perpétuité pour crime de génocide et crime contre l’Humanité et dont le procès en appel est en cours depuis le 4 novembre. À (re)lire : « Philippe Hategekimana, 
un ex-gendarme rwandais condamné » (Billets d’Afrique n°329, été 2023)

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 342 - décembre 2024
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