Poursuivi pour avoir contesté publiquement l’existence du génocide des Tutsis, Charles Onana a été reconnu coupable le 9 décembre 2024 par la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Les juges estiment que son livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise « n’aborde la question de l’opération Turquoise que comme pur prétexte au déploiement sans frein de l’idéologie négationniste de l’auteur ».
Essayiste ? Polémiste ? Comment décrire Charles Onana ? Le tribunal de Paris vient ce 9 décembre 2024 de lui décerner un qualificatif bien mérité : négationniste. Ce fils spirituel de Pierre Péan (comme il aime lui-même se désigner), qui ne manque jamais une occasion de louer la rigueur de son propre travail, pourra désormais revendiquer un titre, celui de premier condamné en France pour contestation de l’existence du génocide perpétré contre les Tutsis. Souhaitons-lui de ne pas suivre les traces d’un certain Robert Faurisson, diplômé comme lui de l’université de Lyon et plusieurs fois condamné pour contestation de crime contre l’humanité, celui de la Shoah.
En cause : le livre Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise, paru en 2019 aux éditions du Toucan [1].-. Le législateur ayant défini le directeur de publication comme le premier coupable du délit de « contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité », le tribunal a condamné Damien Serieyx en tant que gérant de la maison d’édition. Charles Onana, l’auteur du livre, est quant à lui déclaré « coupable des faits de complicité de contestation publique de l’existence d’un crime contre l’humanité ». Le premier a été condamné à 5 000 € d’amende et le second à 120 jours-amende de 70 €. Charles Onana doit donc régler un montant total de 8 400 €. En cas de défaut total ou partiel de paiement, il sera incarcéré pour une durée correspondant au nombre de jours-amende impayés. Un jugement historique, résultat d’une plainte déposée en octobre 2019 par plusieurs associations, dont Survie, et de quatre jours de procès devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris [2]].
Dans son rendu, le tribunal écrit que Charles Onana emprunte une démarche qui « consiste à minorer le génocide des Tutsis en niant purement et simplement la singularité des massacres subis par ces derniers entre avril et juillet 1994 ». S’appuyant sur des extraits du livre incriminé, les juges ont détaillé cette minoration du génocide sous trois formes :
« l’assimilation réalisée entre les massacres subis par les Hutus, les Tutsis et les Twas », « l’emploi de propos tendant à banaliser le crime » et enfin « la contestation […] de l’existence d’une planification du génocide liée à un ancrage, dans la population rwandaise, d’une haine envers les Tutsis pour ce qu’ils sont […] ». Ce constat a logiquement amené les juges à conclure que Charles Onana « nie l’existence du génocide des Tutsis ».
Ces mêmes éléments étaient déjà présents dans la plainte et les parties civiles les ont développés pendant le procès. Mais la défense s’est montrée dans l’incapacité de les aborder, maître Pire, l’avocat de Charles Onana, regrettant un « malentendu persistant » entre les parties et évoquant « une démarche sincère, positive, légitime » de son client. Un malentendu sans fin semble-t-il, puisque Me Pire déclarait encore au micro de France Culture à l’issue du jugement : « Ce procès est précisément un détournement du droit, car on utilise une qualification relative à la contestation de génocide alors qu’il s’agit de protéger Paul Kagame. Ce livre ne nie pas le génocide ». Cette stratégie de la défense d’ignorer l’objet de la plainte et de tenter de faire diversion, en présentant ce procès comme une ingérence étrangère visant à censurer une voix critique dérangeante, n’a pas convaincu les juges. Il est visiblement plus facile pour Charles Onana de crier sur tous les toits que les parties civiles seraient des « officines » françaises du pouvoir de Kigali que de le prouver devant la justice.
Au cœur de la plainte figuraient 20 extraits du livre niant, minorant ou banalisant le génocide des Tutsis, mais également un décompte : celui du mot génocide mis 160 fois entre guillemets. Interrogé par le tribunal sur ce point, Charles Onana a répondu que les guillemets signaleraient qu’il reprend le mot tel qu’utilisé par le Front patriotique rwandais (FPR). « Ils sont pénibles, ces guillemets », a toutefois concédé Me Pire lors de sa plaidoirie, tout en les présentant comme des citations, dans le cadre d’un travail de politologue essayant de comprendre le processus de qualification du massacre des Tutsis. Une explication qui n’a pas convaincu le tribunal pour qui, « contrairement à ce que soutient le prévenu, cet usage [des guillemets] n’a pas pour seul objectif de montrer qu’il s’agit d’une citation », mais « est, sans ambiguïté et très nettement, un procédé qui contient, en lui-même, toute l’ambition de l’auteur de nier implicitement l’existence du génocide des Tutsis ».
Le tribunal a aussi retenu « l’usage d’une rhétorique laissant ourdir l’existence d’un complot ayant abouti à la reconnaissance officielle de ce crime ». Dans son récit complotiste, Charles Onana prétend en effet que « c’est ce communiqué du 12 avril [1994] du FPR adressé aux membres du Conseil de sécurité qui introduit ce terme [génocide] aux Nations unies » (p. 174), un terme selon lui avalisé le 21 mai par le secrétaire d’État aux Affaires africaines états-unien [3], et que les médias et la justice internationale auraient alors docilement repris sans jamais en faire un examen critique.
En réalité, dès août 1993, le Rapporteur spécial de l’ONU pour les droits de l’Homme Waly Bacre Ndiaye avait estimé que les massacres de Tutsis qui avaient déjà lieu au Rwanda « étaient susceptibles » d’être qualifiés de génocide. Le 28 juin 1994, le génocide des Tutsis est considéré comme avéré par le rapporteur de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU, mais dans sa résolution 935 du 1er juillet, le Conseil de sécurité n’en tient pas compte et ne retient pas la qualification de génocide. Ce n’est finalement que le 4 octobre que le secrétaire général de l’ONU reconnaît officiellement le génocide des Tutsis.
La chercheuse en analyse du langage et spécialiste des Grands lacs Bojana Coulibaly, de l’université Harvard, a mentionné lors du procès un document de juin 1996 cosigné notamment par les colonels Théoneste Bagosora et Anatole Nsengiyumva, deux des artisans du génocide condamnés par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), et intitulé « Le Conseil de Sécurité de l’ONU induit en erreur sur le prétendu “génocide Tutsi” au Rwanda » [4]. Un titre qui résume parfaitement le vrai sujet au centre du livre de Charles Onana, publié vingt-trois ans plus tard, ce que les juges ont très clairement souligné : « Il vient d’être démontré qu’il [l’ouvrage] n’aborde la question de l’opération Turquoise que comme pur prétexte au déploiement sans frein de l’idéologie négationniste de l’auteur ».
Plusieurs témoins des parties civiles ont d’ailleurs relevé des similitudes importantes entre ces textes propagandistes des extrémistes hutus et cette « idéologie négationniste » de Charles Onana. En effet, la lecture du document de 1996 ne laisse aucun doute sur le fait que M. Onana répète dans son livre un argumentaire négationniste échafaudé par les génocidaires eux-mêmes : l’usage des guillemets autour du mot « génocide » déjà évoqué ici ; la négation de la singularité du massacre des Tutsis (« Il y a donc eu des actes criminels au Rwanda sans aucune intention de détruire en tout ou en partie le groupe tutsi. Ce qui est arrivé au Rwanda ne peut être qualifié de “génocide tutsi”, mais plutôt de “massacres interethniques” », p. 17) ; la banalisation du génocide, dilué dans la guerre (« Il y a eu des massacres interethniques intervenus au cours de la guerre civile qui a suivi l’assassinat du Président Habyarimana et la reprise des hostilités militaires par le FPR », p. 39) ; l’affirmation complotiste selon laquelle « l’utilisation du mot “génocide” procède d’une campagne médiatique savamment conçue par le FPR et ses alliés pour lui permettre de totaliser tout en sa faveur dans cette guerre qu’il reprenait et qui était pour lui une solution finale » (p. 1).
On notera aussi qu’Anatole Nsengiyumva est la personne la plus citée dans le livre de Charles Onana... sans que jamais ce dernier n’informe le lecteur que celui-ci a été condamné en appel par le TPIR pour génocide.
Pendant sa plaidoirie, Me Pire a balayé d’un simple « anecdotique » la disqualification des institutions judiciaires dans le livre incriminé. Autre « malentendu » ici aussi avec le tribunal qui a écrit dans le jugement que Charles Onana cherche à « discréditer, d’une part la construction de la réalité judiciaire ayant abouti à la reconnaissance de l’existence de ce génocide, d’autre part la reconnaissance universelle de la commission d’un tel crime, qui est désignée par l’auteur comme le fruit de “l’histoire officielle” ».
Dès son audition le premier jour du procès, M. Onana a expliqué au tribunal que la plainte se résumait à une lecture interprétative et mal intentionnée de son livre. Une ligne maintenue par Me Pire au sortir du jugement, déclarant toujours sur France Culture qu’« on peut avoir des lectures différentes » du livre. Si le tribunal a condamné Charles Onana et Damien Serieyx pour négationnisme, sans émettre un seul bémol, c’est bien pour sanctionner cette « lecture différente » qu’ils proposent du génocide des Tutsis, copie conforme à celle des génocidaires eux-mêmes. Une lecture négationniste que pas moins de cinq officiers de l’armée française, dont trois généraux (parmi lesquels le chef de l’état-major particulier du président Mitterrand), tous appelés à témoigner par la défense, n’ont pas trouvé problématique à la barre du tribunal.
Charles Onana et son éditeur ont annoncé faire appel de ce jugement. Qu’à cela ne tienne : deux condamnations vaudront mieux qu’une pour dissiper tout « malentendu ».
Ruben Morin
[1] « Charles Onana devant la justice », Billets d’Afrique n°339 (septembre 2024)
[2] Le récit détaillé du procès est à retrouver sur notre site web (https://survie.org/)
[3] Onana écrit p. 190 : « C’est ainsi que les États-Unis vont produire l’acte de naissance de la reconnaissance internationale du “génocide des Tutsis” ».