À l’heure où le cyclone Chido a ravagé l’île de Mayotte, département colonisé, mais aussi l’ensemble des Comores, la droite et son extrême ont trouvé le coupable : les Comorien·ne·s.
Mayotte vient de subir un drame qui semble insurmontable. Le 14 décembre, un cyclone tropical du nom de Chido a plongé le territoire dans la plus grande détresse. À l’heure où ces lignes sont écrites, on ignore encore le bilan définitif de cette catastrophe, mais il se comptera probablement en centaines de mort·e·s et blessé·e·s, sans compter des dégâts matériels colossaux.
Après Mayotte, Chido a également durement frappé les trois autres îles de l’archipel, celles de l’Union des Comores, où des destructions et des inondations ont été constatées à Anjouan. Ainsi que le Mozambique, faisant au moins 120 mort·e·s et plongeant les villes de Pemba et Nampula dans l’obscurité. Car oui, le cyclone Chido ne reconnaît pas les frontières. Contrairement aux politiques de droite et d’extrême-droite…
Dès le lendemain, la députée mahoraise Estelle Youssoupha déclarait sur Cnews que « la moitié de la population [à Mayotte] est étrangère ». Deux jours plus tard, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau lui emboîtait le pas sur le réseau social X : « On ne pourra pas reconstruire Mayotte sans traiter, avec la plus grande détermination, la question migratoire […] Il faudra légiférer pour qu’à Mayotte, comme partout sur le territoire national, la France reprenne le contrôle de son immigration ».
Ces déclarations visent des Comorien·ne·s originaires des trois autres îles de l’archipel. Ils habitent Mayotte mais y sont considérés comme étrangers depuis que la France a conservé l’île sous sa coupe au moment de l’indépendance des Comores. Une aberration : Mahorais·e·s et Comorien·ne·s sont issu·e·s d’un même peuple, partageant la même culture, la même langue, la même religion et une histoire commune. Selon le droit international, Mayotte est un territoire volé à l’Union des Comores.
Vingt ans après son indépendance, en 1995, le visa Balladur venait entériner cette frontière créée de toutes pièces par la France au cœur de l’archipel. Depuis, les Comorien·ne·s des autres îles ne peuvent plus se rendre à Mayotte sans autorisation. Une absurdité à l’origine de la mort des dizaines de milliers de personnes qui tentent quotidiennement de rejoindre Mayotte par tous les moyens, notamment pour bénéficier de soins médicaux. Pourchassées par la police aux frontières, leurs embarcations, les fameux kwassa-kwassa, échouent régulièrement en mer, entraînant la mort de leurs passagers et passagères – ce qui n’a pas manqué de faire rire Emmanuel Macron en 2017 [1].
Mayotte devenue département français en 2011, les exactions à l’égard des Comorien·ne·s non mahorais·e·s n’ont pas cessé. Quand ce ne sont pas des collectifs de citoyens qui décident de se faire justice eux-mêmes à coups de « décasage », ces opérations illégales d’expulsion et destruction de logements, sous le regard impassible des gendarmes, c’est l’opération Wuambushu, voulue par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer d’alors, Gérald Darmanin, qui envoie les forces de l’ordre faire le sale boulot.
À chaque problème qui touche l’île, il faut un coupable et c’est toujours le·la Comorien·ne. Lors de la grave crise de l’eau de 2023, comme pour mieux détourner l’attention des vrais enjeux sociaux et environnementaux, M. Darmanin annonçait une restriction du droit du sol à Mayotte, pourtant déjà fortement restreint. Aujourd’hui, incapable de répondre aux besoins des habitant·e·s de Mayotte, le nouveau ministre de l’Intérieur ressort la sempiternelle carte de l’immigration.
Boucs émissaires pour les maux dont ils/elles ne sont aucunement responsables, les « migrant·e·s » qui survivent à Mayotte, victimes du racisme d’État, ont été aussi parmi les principales victimes du cyclone. Ce sont les bidonvilles qui ont été les plus touchés : les maisons en tôle, mais aussi leurs habitant·e·s (dont beaucoup en situation irrégulière), qui n’ont pas pu, par manque d’information, rejoindre les abris en dur proposés par l’État. Ou pas voulu « de peur de se faire contrôler et expulser », explique le journaliste Rémi Carayol (Mediapart, 18/12/2024).
Ce qui se joue à Mayotte aujourd’hui est bien de la responsabilité de la France. Sur ce territoire dit « français », 85 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et n’a généralement pas de quoi se loger dignement. Mayotte est le département le plus pauvre de France, et de loin. On peut également s’interroger sur le manque criant de moyens et d’anticipation de la part des autorités françaises alors même que nous sommes ici dans une zone cyclonique.
En réalité, tout cela n’est que la démonstration d’un mépris total de la France pour ses colonies, anciennes ou actuelles. Celles-ci sont destinées de tout temps à nourrir et enrichir la métropole, et non pas l’inverse. Comment alors s’étonner que le premier ministre, François Bayrou, ait préféré assister au conseil municipal de la ville dont il est maire plutôt que de se rendre à Mayotte pour montrer sa compassion et sa solidarité ? Cette tragédie nous rappelle ce fait indéniable : Mayotte est bien une colonie.
Riwadi Saïdi
[1] Deux semaines à peine après son investiture, le chef de l’État avait ironisé sur le kwassa-kwassa expliquant qu’il « pêche peu, il amène du Comorien, c’est différent ».