Le Cameroun, pays d’Afrique centrale privilégié par sa situation géographique et la diversité de ses ressources, subit depuis 1960 une dictature néocoloniale féroce. Celle-ci est incarnée depuis 1982 par un Paul Biya pas prêt à lâcher le pouvoir.
Le 13 juillet 2025, Paul Biya, président du Cameroun, a annoncé qu’il était candidat le 12 octobre prochain, à sa huitième parodie d’élection présidentielle [1]. Pour que cette sinistre farce soit complète, il a dit céder aux instances de Camerounais de toutes les régions et de la diaspora. Le plus vieux président de la planète devrait donc continuer à vampiriser l’État le plus corrompu de la planète, l’un n’allant pas sans l’autre.
En 2024, au Sénégal, quand Macky Sall, président en exercice, décide de repousser l’élection présidentielle, à laquelle il ne peut se présenter après deux mandats, les Sénégalais descendent massivement dans la rue contre cette tentative de rester au pouvoir et le Conseil constitutionnel annule cette décision. Pourquoi rien de tel au Cameroun après des dizaines d’années d’abus de pouvoir ?
La première explication qui s’impose, c’est l’omniprésence de la répression sous toutes ses formes : tirs dans la foule à la moindre manifestation, avec des centaines de morts en 1991 et en 2008 ; pogroms des groupes ethniques « allogènes » dans le territoire de l’ethnie Boulou du Président ; arrestations arbitraires des leaders de l’opposition ou des associations étudiantes et citoyennes non gouvernementales ; répression de la presse privée et des radios non gouvernementales, ; arrestation arbitraire, emprisonnement voire assassinat de journalistes, leaders de la société civile, ecclésiastiques qui osent critiquer le régime ; interdiction des réunions publiques de l’opposition… Un climat d’absence de droits et de crainte généralisée imprègne la vie sociale et politique.
La seconde explication, conséquence de la première, est l’impossibilité de l’émergence d’une opposition puissante et organisée. Celle-ci est tuée dans l’œuf, atomisée en une pléthore de mouvements et de leaders séduits par les subventions accordées à d’inoffensives candidatures qui, du fait des modalités de l’élection présidentielle – majorité simple à un tour – assurent le résultat. La fraude règne dans le fief présidentiel, qui se doit d’enregistrer 100, voire 110 % des suffrages, sous peine de disgrâce des notables locaux. Enfin, le 7 août, Maurice Kamto, principal opposant, a dénoncé « le rejet arbitraire de sa candidature à l’élection présidentielle ».
Le fonctionnement du pouvoir est de type mafieux. Après l’élection présidentielle, Biya distribue à ses soutiens les prébendes sous forme de ministères – au moins une cinquantaine. Les ministères régaliens sont réservés à des personnalités de son ethnie. Les autres postes sur des domaines « négligeables », comme l’éducation (morcelée entre cinq ministres au moins), sont attribués aux notables des autres régions pour calmer leurs velléités d’opposition.
Cette répartition est le seul acte politique de Biya. Aucun conseil des ministres n’aura lieu par la suite. Biya n’a aucun projet à mener. Un seul mot d’ordre : « Débrouillez-vous ». Implicitement : « Faites comme moi, servez-vous ». Dès qu’un ministre ou un collaborateur lui déplaît, il peut le faire condamner par une justice aux ordres. Tout un secteur de la prison de Kondengui, à Yaoundé, est occupé par d’anciens ministres, secrétaires généraux de la Présidence, chefs de la police devenus trop puissants – un autre secteur étant occupé par les leaders anglophones et les militants de l’opposition.
Le pouvoir de Biya repose sur les balles pour le peuple, le chantage pour son entourage, la corruption pour ses partisans. Sa garantie contre les tentations de coup d’État repose sur sa garde prétorienne de mercenaires israéliens. Sa « stabilité », à laquelle Macron a rendu hommage, est bien celle d’un parrain de la mafia. Ne parlons pas d’habileté politique, encore moins de popularité : c’est simplement l’homme le plus redouté et donc le plus haï du Cameroun.
La répression sanglante des revendications citoyennes dans l’Ouest anglophone du Cameroun s’est muée en guerre civile. Au lieu de chercher une solution politique, Biya s’en tient à la violence, aux crimes de guerre et aux crimes contre l’humanité pour écraser la révolte. Cela n’empêche pas la France de collaborer avec ce régime criminel. En témoigne la visite officielle début juin du Directeur général de la Gendarmerie nationale française, le général Hubert Bonneau, gage des relations entre la France et le Cameroun dans le domaine militaire.
Les capitaux étrangers, principalement français, prospèrent également dans la téléphonie mobile (Orange), les palmeraies et la télévision (Bolloré), le pétrole (Perenco), l’exploitation forestière (Rougier), l’agriculture et l’agroalimentaire (Compagnie fruitière, Vilgrain, Castel), le BTP (Vinci, Bouygues).
Quant à la succession de Biya, elle se jouera probablement au sein du clan ethnique mafieux au pouvoir dans ce pays ravagé par la misère et la corruption.
[1] Sur le sujet, (re)lire notre entretien avec le journaliste et écrivain camerounais Jean-Bruno Tagne : « Les Camerounais·e·s se souviendront que la France a soutenu Paul Biya », Billets d’Afrique n°349 (été 2025).