Survie

La Guinée dans une main de fer

(mis en ligne le 1er octobre 2025) - Jérôme Lasagno

Le général-président de la Guinée-Conakry vient de faire valider par référendum une constitution lui permettant de légitimer sa place après son coup d’État de 2021. Avec le soutien de Paris.

Le général Mamadi Doumbouya, président de la transition en Guinée-Conakry depuis le coup d’État de 2021, organisait ce 21 septembre un référendum pour doter le pays d’une nouvelle constitution. À l’heure où nous écrivons, les résultats sont encore partiels, mais sans surprise : plus de 90 % de participation, plus de 80 % de « oui ».

La nouvelle loi fondamentale semble taillée sur mesure pour maintenir durablement Doumbouya au pouvoir, puisque ses principaux rivaux – Alpha Condé, Sidya Touré (trop âgés) et Cellou Dalein Diallo (exilé) – seront désormais inéligibles aux élections présidentielles. Doumbouya y sera très certainement candidat, contrairement à sa promesse faite après le putsch, car la clause de la charte de transition interdisant aux membres de la junte de se présenter a été supprimée. Les principaux partis d’opposition – RPG, UFDG et UFR – ont été suspendus le 23 août. Le dictateur guinéen cherche un vernis démocratique, mais à qui pense-t-il vraiment donner le change ?

Un régime tortionnaire

Selon un décompte rapporté par Human rights watch, au moins 59 personnes, dont au moins 5 enfants, ont été tuées lors de manifestations entre juin 2022 et début décembre 2024. Rappelons également que les enlèvements par les forces spéciales, tortures et disparitions se succèdent à un rythme effrayant dans un « climat de terreur » selon la Fédération internationale pour les droits humains (communiqué du 08/07/2025) [1].

Les responsables du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), Oumar Sylla et Mamadou Billo Bah, le journaliste Habib Marouane Camara, l’ancien secrétaire général du ministère des Mines, Saadou Nimaga, ne sont jamais réapparus. L’opposant Abdoul Sakho a été retrouvé dans un état critique après avoir été torturé et vit maintenant en exil. L’avocat Mohamed Traoré a été enlevé et torturé en juin 2025, de même qu’un responsable local du FNDC, Yamoussa Youla, début septembre. Selon Abdoul Sacko, « l’illusion du coup d’État [du 5 septembre 2021] pour plus de liberté s’est transformée en prison à ciel ouvert pour tous les Guinéens » (RFI, 26/08/2025).

Pour légitimer Doumbouya, la France ne recule devant rien, tout en restant en coulisses. La Guinée a ainsi pu réintégrer en septembre 2024 l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dont elle avait été exclue suite au putsch de 2021. On se demande pourtant en vertu de quelles « avancées constatées dans le rétablissement de l’ordre constitutionnel et du respect des droits et libertés », selon la formule du communiqué honteux de l’OIF…

Soutien discret de la France

Doumbouya entretient de bonnes relations avec la Russie, permettant notamment un acheminement de matériel lourd pour le Mali via le port de Conakry (RFI, 18/06/2025). Ainsi qu’avec la Turquie, y envoyant régulièrement des officiers en formation (Africa Intelligence, 28/08/2025). Mais c’est bien Paris qui reste son meilleur allié. La coopération militaire franco-guinéenne se veut discrète, mais elle est soutenue. Des documents inédits révélés par Afrique XXI (18/09/2025) viennent confirmer l’implication des militaires français dans la formation de l’armée guinéenne : marine, armée de l’air, ainsi que le Groupement des forces spéciales (GFS) et le Groupement des forces d’intervention rapide (GFIR), unités d’élite dévouées à Doumbouya.

Selon plusieurs témoignages, le GFS a participé aux enlèvements de Oumar Sylla et de Billoh Bah. Être au cœur de la formation des hommes de main du régime de Doumbouya devrait au minimum questionner dans la grande démocratie qu’est la France. Il n’en est rien, bien au contraire. Lors de son audition en septembre 2024 devant la commission de défense de l’Assemblée nationale, le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, avait affirmé qu’il pouvait y avoir des déploiements opérationnels français en Guinée. Selon Afrique XXI, des blindés légers fabriqués par l’entreprise française Technamm ont déjà été débarqués à Conakry en mai 2024 et pourraient servir à la répression de manifestations.

On comprend bien le souhait de discrétion de la France sur cet appui au régime tortionnaire de Doumbouya. Pour des raisons d’opinion publique intérieure, Doumbouya n’a pas non plus envie d’afficher ouvertement le soutien militaire qu’il reçoit de Paris. Comme le souligne Afrique XXI, ce cas de figure est typique de la nouvelle doctrine de déploiement de l’armée française en Afrique (hors Djibouti, où la base est officiellement maintenue). Comme la présence des militaires français est mal vue par les populations, la plus grande prudence est désormais de rigueur.

Le maintien de Doumbouya au pouvoir grâce à un référendum représente une revanche française, dans cette ancienne colonie qui en 1958, sous Sékou Touré, avait dit « non » au général de Gaulle. Il est clair que le pouvoir macroniste souhaite consolider cette position, quitte à soutenir un dictateur cruel dénoncé par l’ensemble des observateurs des droits humains.

Je soutiens Survie

[1Sur le sujet, (re)lire une brève de notre numéro 347 et « La coopération française au service de la répression » (Billets d’Afrique n°340, 10/2024).

#GénocideDesTutsis 30 ans déjà
Cet article a été publié dans Billets d’Afrique 351 - octobre 2025
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