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Burkina-Faso : la France doit officiellement lâcher son vieil allié Blaise Compaoré

Publié le 29 octobre 2014 - Survie

Au Burkina-Faso, Blaise Compaoré renoue avec la tradition de modifier la Constitution afin de rester au pouvoir. Les manifestations contre ce projet se multiplient, la tension monte et une répression est à craindre. La France, qui a soutenu le pouvoir du « beau Blaise » 27 ans durant, doit condamner publiquement ce coup d’état constitutionnel et cesser toute coopération policière et militaire avec le régime.

Arrivé au pouvoir par l’assassinat de Thomas Sankara en 1987, le très françafricain Blaise Compaoré n’entend pas quitter son fauteuil de président-dictateur du Burkina Faso. Après des mois de faux suspens, il a levé le voile le 21 octobre dernier sur sa volonté de réviser la Constitution de 1991, pour que soit supprimée la limitation à deux mandats présidentiels. Il faut dire que le régime est expert en tripatouillage constitutionnel : la limitation du nombre de mandats avait ainsi été supprimée en 1997, pour être réintroduite en 2000, en même temps que l’abandon du septennat au profit du quinquennat, entré en vigueur en 2005. Compaoré trouve ainsi toujours une argutie juridique pour se présenter : en 1991 comme président du Front populaire du Burkina Faso ; en 1998 pour son second septennat ; en 2005 et en 2010 pour son premier puis son second quinquennat, qui arrivera à terme en 2015. D’où la nécessité pour lui, de faire voter ce 30 octobre par les 2/3 des députés burkinabè une loi de révision constitutionnelle puis, en cas d’échec, d’organiser un référendum tout aussi bidon que sa dernière élection présidentielle [1].

La première décennie de son pouvoir est marquée par une série d’assassinats politiques (dont le plus emblématique, celui du journaliste Norbert Zongo en 1998, dont les responsables n’ont toujours pas été inquiétés), et ses 27 ans de règne sont émaillés d’opérations de déstabilisation dans la région. Son clan a notamment soutenu activement les milices de Charles Taylor au Liberia et en Sierra Leone, participé à des trafics de diamants au profit du mouvement rebelle angolais UNITA, abrité plus récemment les « rebelles ivoiriens » emmenés par Guillaume Soro avant qu’ils ne déclenchent la guerre dans leur pays, et joué un rôle trouble vis à vis de certains groupes armés qui ont occupé le nord du Mali à partir de début 2012.

Mais, en pilier régional de la Françafrique, Blaise Compaoré a su redorer son image à l’international, y compris grâce à des alliées au sein du Parti socialiste telles que Ségolène Royal et Elisabeth Guigou [2]. Une relative liberté d’expression et un multipartisme de façade l’ont rendu prétendument fréquentable, tandis que ses soutiens au sein de la Grande Loge Nationale Française (GLNF), à laquelle il appartient, l’Association d’amitié France-Burkina de Guy Penne, ou son hagiographe, Jean Guion, ont redoublé d’efforts pour forger en France et à l’international l’image d’un homme de paix. Il a ainsi été choisi pour être le médiateur de crises politiques au Togo, en Guinée, et même en Côte d’Ivoire et au Mali où il a pourtant soutenu des belligérants. Et, sur fond de crise malienne, il a été reçu à l’Elysée dès le 18 septembre 2012 par un François Hollande déjà soucieux d’enterrer le changement.

Mais au Burkina Faso, les mouvements sociaux n’ont eu de cesse de se structurer et de se renforcer, pour s’opposer au pouvoir à vie auquel prétend Blaise Compaoré. En particulier, après les manifestations contre la vie chère en 2008, une explosion de colère populaire avait menacé le régime en 2011, amenant même Alain Juppé, alors ministre français des Affaires étrangères, à déclarer, en référence à la révolution tunisienne, que le régime burkinabè devrait « [tenir] compte de ce qui se passe ailleurs car les mêmes causes produisent les mêmes effets » [3].

Pure langue de bois, pendant que, à l’instar de ce que Michèle Alliot-Marie avait proposé pour sauver le pouvoir de Ben Ali en Tunisie, les autorités françaises ont poursuivi leur coopération pour le « maintien de l’ordre » avec Ouagadougou. On apprenait ainsi qu’en 2011, la France disposait toujours sur place de « 9 militaires de l’Armée de Terre, la plupart détachés auprès des Forces Armées Nationales », et octroyait une aide directe sur le volet militaire (dépenses d’équipement et d’infrastructure, formation des cadres) d’environ 1,2 million € par an, sous la houlette de la Direction de la Coopération de Sécurité et de Défense [4]. Une aide fournie sous l’habillage d’un maintien de l’ordre nécessaire au processus démocratique, mais en réalité indispensable au régime pour mater d’éventuels mouvements populaires. L’année dernière, l’hebdomadaire Jeune Afrique expliquait ainsi comment, du fait de tensions croissantes liées au projet de révision constitutionnelle, le gouvernement burkinabè, aidé par la France et les Etats-Unis, avait investi 15,2 millions d’euros « pour réorganiser et équiper la police » et qu’ « une unité de force spéciale [était] en cours de création avec le soutien du Raid français » [5].

Le régime avait vu juste : depuis le début de l’année, plusieurs manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, jusqu’au mois de septembre. Depuis cette semaine, et l’officialisation de ce projet de tripatouillage constitutionnel, la contestation se cristallise, avec une première manifestation rassemblant le 28 octobre des centaines de milliers de burkinabè déterminés à s’y opposer, et la promesses d’actions de blocage et de désobéissance civile dans les prochains jours. La colère est sur le point d’exploser, et une répression violente est à craindre.
Après avoir soutenu Blaise Compaoré dans son putsch de 1987 et durant ses 27 ans de règne, les autorités françaises, qui ont fait du Burkina Faso un des maillons de leur « lutte contre le terrorisme » au Sahel, en installant à Ouagadougou la principale base des forces spéciales et en intégrant le pays dans la zone d’intervention de l’opération « Barkhane », ont donc une responsabilité particulière dans ce qui va se passer dans les prochaines semaines.

L’association Survie exhorte donc le gouvernement français à dénoncer publiquement ce projet de révision constitutionnelle, sans équivoque [6], et à cesser toute coopération policière et militaire avec le régime, et appelle à rejoindre la manifestation unitaire organisée devant l’ambassade du Burkina Faso à Paris ce jeudi 30 octobre de 16h30 à 19h.


Contact presse :
Ophélie Latil 01 44 61 03 25 ophelie.latil@survie.org

[1Les chiffres officiels faisaient état d’un score de 80 % des suffrages exprimés... mais avec seulement 1,5 millions de voix dans un pays qui compte 16 millions d’habitants.

[3Audition d’Alain Juppé devant la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, à Paris le 4 mai 2011. Texte disponoble sur http://discours.vie-publique.fr/notices/113001192.html

[4Voir le site de l’ambassade de France au Burkina Faso (http://www.ambafrance-bf.org/Panorama-general-de-la-cooperation ). Le site du ministère de la Défense indique qu’en 2009, cette coopération s’était «  appuyée sur 12 coopérants militaires et un budget de 3 M€  » (http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/burkina-faso/la-france-et-le-burkina-faso/ )

[6Les déclarations alambiquées du porte-parole du Quai d’Orsay se référençant à la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance de l’Union Africaine, ne sauraient être considérées comme une condamnation (http://basedoc.diplomatie.gouv.fr/vues/Kiosque/FranceDiplomatie/kiosque.php?fichier=ppfr2014-10-28.html#Chapitre5 ).

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