La coopération décentralisée se veut plus vertueuse que la coopération gouvernementale. L’exemple des cantonniers de Ouagadougou illustre comment elle peut pourtant nourrir la précarité et les drames sociaux.
En 1994, la métropole de Lyon (ex Grand Lyon) et la ville de Ouagadougou - dirigée par Simon Compaoré [1] de 1995 à 2012 et depuis 2016 par Armand Roland Pierre Béouindé (deux très proches de Roch Marc Christian Kaboré [2]), ont établi un partenariat qui se traduit par des conventions triennales entre les deux collectivités [3]. Ramassage des ordures, enfouissement et recyclage des déchets sont les principaux axes de ce programme de jumelage qui se traduit par l’envoi matériel de collectes à ordure (dont des camions-bennes réformés) et des financements consentis par la métropole de Lyon, le ministère français des Affaires étrangères et du développement international, l’Agence Française de Développement (AFD) ou encore l’Union Européenne (liste non exhaustive). Parallèlement à la création de ce service de voirie, Simon Compaoré met également en place en 1995 une « brigade verte » [4] chargée de balayer les rues et composée de quelque trois mille femmes en situation de précarité. Si les institutions nationales et internationales - (voir les sujets de France Diplomatie [5]) - s’enorgueillissent des résultats sociaux et environnementaux d’un tel programme, il semblerait que le volet social soit largement mis de côté par la Mairie Centrale de Ouagadougou [6].
Des sous-salariés
Considérés comme du personnel occasionnel, les cantonniers n’ont jamais été augmentés, ni déclarés à la caisse nationale de sécurité sociale burkinabè (CNSS). Certains ont travaillés des dizaines d’année (28 ans pour les plus anciens) pour un salaire mensuel d’environ 37.500 CFA (soit 57 euros). Dans le même registre, la mairie de Ouagadougou ne fournit ni les équipements adéquats aux travaux de voirie (masques, gants, chaussures), ni ne couvre les accidents du travail ou les arrêts maladie. Spoliés de leurs droits les plus élémentaires, notamment du droit à la retraite, les ouvriers se sont appuyés en 2019 sur la FENAME (Fédération Nationales des Arts et Métiers burkinabè) affiliée à la CSB (Confédération syndicale burkinabè) pour faire valoir leurs droits.
Un conflit étouffé
Éconduits par le maire Armand Béouindé dans leur effort de dialogue, les cantonniers se sont finalement mis en grève illimitée le 5 novembre 2020. En réponse de quoi la mairie s’est appuyée sur des structures associatives de collecte d’ordures ménagères, nombreuses dans les quartiers, afin de casser la grève et de cacher au citoyen lambda la réalité du conflit. Plusieurs instances de médiations, notamment le Haut Conseil du dialogue social (HCDS) qui obtiendra la levée de la grève le 05 février 2021, ont pourtant été approchées, parfois sans succès, comme le médiateur du Faso – à l’époque Mme Séré Saran Sérémé ou le Larlé Naaba Tigré (ministre de la chefferie coutumière du Mogho Naaba, chef des Mossis) -, par la FENAME et la CSB dans l’espoir de résoudre la crise. En octobre 2021, le ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation burkinabè a finalement émis un avis de régularisation administrative auprès de la mairie centrale de Ouagadougou. Une injonction et des recommandations restées sans effet à ce jour.
Depuis la reprise du travail en février 2021 les cantonniers n’ont plus jamais été payés. 418 personnes sont concernées par ce conflit social, dont 25 sont aujourd’hui décédées. La plupart d’entre elles ont vécus des drames familiaux (divorces, maladies, enfants déscolarisés). En mars 2022, la « brigade verte » composée aujourd’hui de 3500 femmes, est elle aussi entrée en grève pour des arriérés de salaires datant du magistère de Mr Béouindé.
Le fruit empoisonné de la mal-gouvernance et de la corruption qui avait balayé le pouvoir autocratique de Blaise Compaoré a visiblement perduré sous Roch Marc Christian Kaboré. Réélu pour un second mandat en novembre 2021, il a été déposé le 24 janvier dernier par un putsch. Il est tout aussi consternant de constater le manque de rigueur dans l’accompagnement et le contrôle de programmes de jumelage financés par l’impôt des citoyens en Europe.
Ismaël Paulin
© Sophie Garcia - Hans Lucas
© Sophie Garcia - Hans Lucas
BURKINA FASO - DROITS DU TRAVAIL - SUSPENSION DES SALAIRES DES CANTONNIERS
Depuis plus d’un an, plus de 400 cantonniers ne perçoivent aucun salaire de la mairie centrale de Ouagadougou, au Burkina Faso bénéficiant d’un jumelage avec la Métropole de Lyon (Grand Lyon). Une situation dramatique, conduisant la plupart d’entre eux à renoncer à la scolarisation de leurs enfants et aux soins de santé les plus élémentaires. Une fois par semaine les cantonniers organisent des « coup d’éclat » pour protester contre les agissements de la mairie centrale de Ouagadougou et sensibiliser la population à leur travail au sein de la cité.
[1] Ténor du CDP (Congrès pour la Démocratie et le Progrès fondé en 1996 par Blaise Compaoré puis du MPP (Mouvement pour le Peuple et le Progrès créé en 2014 et issu de la mouvance du CDP), parti de Roch Marc Christian Kaboré.
[2] Président du Burkina déposé par un coup d’État le 24 janvier dernier.
[3] https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/rhone/lyon/serie-lyon-ouagadougou-25-ans-cooperation-decentralisee-au-burkina-faso-1559310.html
[4] Film de Lucie Thierry « Poussières de femme » http://www.lussasdoc.org/film-poussiere_de_femmes-1,17725.html
[5] https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/action-exterieure-des-collectivites-territoriales/exemples-de-projets-de-cooperation-decentralisee/la-cooperation-decentralisee-s-engage-pour-le-climat/article/metropole-de-lyon-ville-de-ouagadougou-burkina-faso-developper-une-approche
[6] Le budget annuel de la Ville de Ouagadougou serait de 53 milliards de francs CFA soit environ 81 millions d’euros, par comparaison le budget annuel de la ville de Marseille s’élève à 1 761 millions d’euros et celui de la ville de Paris à 10 milliards d’euros.