Au Cameroun, le vrai-faux suspense n’aura duré qu’un temps : malgré les rebondissements liés à l’alliance de deux des principaux candidats d’opposition juste avant le scrutin, le Conseil constitutionnel vient sans surprise d’annoncer la victoire du vieux dictateur Paul Biya à l’issue d’une illusion d’élection présidentielle. Avec cette « tacite reconduction », la guerre en cours depuis plus d’un an dans les régions anglophones ne peut que dégénérer davantage. L’association Survie appelle la France à ne pas reconnaître ces résultats, à suspendre toute coopération militaire et policière avec le régime et à œuvrer au niveau européen pour que des sanctions visent les responsables camerounais des exactions dans les régions anglophones.
La guerre ravage les régions anglophones du Cameroun, où des mouvements de lutte armée ont fait suite à un mouvement pacifique réprimé pendant des mois. Cela n’empêche pas le régime en place depuis l’indépendance [1] de mener à bien son projet de « tacite reconduction » du dictateur Paul Biya, 85 ans, en place depuis 36 ans. Un procédé déjà bien rôdé de propagande pré et post-électorale ont diffusé l’idée qu’il n’y avait pas d’autre option crédible lors de ce scrutin à un tour, et des techniques de fraudes pudiquement désignées comme des « irrégularités » ont fait le reste [2]. Il ne restait alors plus qu’à une institution fantoche, le Conseil constitutionnel [3], de promulguer ce matin les faux résultats, donnant plus de 71% de voix à Biya.
Pour Thomas Borrel, porte-parole de Survie, « on a un régime en guerre contre sa population, avec un vieux dictateur qui s’impose pour 7 années de plus. Et la France ne dit rien, n’envoie aucun signal de condamnation, de prise de distance claire. C’est une Françafrique "business as usual", que l’Élysée veut faire passer en prétendant qu’une réaction passerait pour une leçon néocoloniale. La France dispose pourtant d’un puissant levier, avec sa coopération policière et militaire avec ce régime. Pour ne plus s’ingérer dans les affaires camerounaises, il ne suffit donc pas d’un service diplomatique minimum : notre pays doit arrêter cette coopération, ne pas reconnaître ces faux résultats et cesser de considérer que ces dirigeants sont fréquentables ».
Cette coopération consiste à proposer des formations, à mettre des conseillers français à disposition des plus hautes autorités militaires et policières – y compris parfois dans le renseignement [4] – et à fournir du matériel répressif. Très peu d’informations sont disponibles sur cette coopération avec le Cameroun, puisque le manque de transparence est de mise dans ce domaine [5]. Les autorités françaises assurent qu’aucune unité camerounaise engagée dans la répression dans les régions anglophones ne bénéficie de programmes de formation ou de conseil français. Mais il leur est en réalité impossible de garantir qu’aucun équipement militaire français n’y est utilisé, et surtout, comme l’explique Thomas Borrel, « la question n’est pas de savoir si tel ou tel soldat a été formé par la France, ce qui est d’ailleurs impossible à vérifier, tout comme l’origine de leur matériel. C’est plutôt de savoir si le maintien d’une relation organique entre cet appareil répressif et le mentor historique français est perçu par les Camerounais comme la réaffirmation continue du soutien de Paris : la réponse est évidemment oui » [6].
L’association Survie appelle une nouvelle fois à des mesures politiques concrètes plutôt qu’à de vaines promesses du président Emmanuel Macron, à commencer par le retrait des coopérants policiers et militaires français du Cameroun et la transparence sur les matériels de répression et de guerre livrés à ce pays ces cinq dernières années. La France doit aussi agir au niveau européen pour que des sanctions individuelles soient appliquées aux responsables politiques et militaires camerounais impliqués dans la chaîne de commandement des corps d’armée qui commettent des crimes de guerre dans les régions anglophones.
Rappel : une vidéo diffusée par Survie le 8 octobre vise à interpeller les Français sur la situation dans ce pays et sur la responsabilité française.
[1] Le régime actuel s’inscrit dans la continuité de celui d’Ahmadou Ahidjo, dans lequel Paul Biya exerçait déjà de hautes responsabilités (voir « Cameroun : Biya, le président de la plaie », Alice Primo, Billets d’Afrique n°274, février 2018)
[2] Le scandale des faux "observateurs indépendants", invités par un organe de presse proche du pouvoir créé il y a trois mois et présentés de façon mensongère sous l’étiquette Transparency International par les médias d’Etat camerounais, suffit à lui-seul à décrédibiliser cette prétendue élection à un seul tour.
[3] La semaine passée, l’opposition camerounaise a rappelé, si besoin était, que les membres de cette institution sont pleinement liés au régime en place - certains ayant même des responsabilités ou des liens directs avec le parti au pouvoir. Lire à ce sujet la tribune de Florian Ngimbis, "Présidentielle au Cameroun : Kafka à Yaoundé", Jeune Afrique, 18 octobre 2018.
[4] Impossible, du fait du manque de transparence en la matière, de savoir si les services camerounais bénéficient aussi actuellement de cette coopération dans le domaine du renseignement : aucune information n’a été publiée depuis 2011 par les autorités françaises sur la coopération militaire et policière avec le Cameroun (alors qu’on sait par exemple qu’en 2014, un militaire français était affecté au renseignement tchadien, cf. Yves Fromion et Gwendal Rouillard, Rapport d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours, Commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale, 9 juillet 2014, p.150).
[5] Voir "Coopération militaire et policière en Françafrique - De l’héritage colonial au partenariat public-privé", rapport de l’association Survie comprenant trois études de cas dont le Cameroun, novembre 2017 (réactualisé en mars 2018)
[6] La dernière note de International Crisis Group sur le Cameroun, juste avant le scrutin présidentiel, soulignait par exemple que « de nombreux observateurs camerounais soulignent que Paris semble privilégier ses intérêts économiques de court terme, au détriment d’un accompagnement du processus démocratique au Cameroun » . cf. "Election présidentielle au Cameroun : les fractures se multiplient", ICG, Briefing n°142, 3 octobre 2018.