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Macron à Bouaké va assurer le service après vente de l’ingérence française en Côte d’Ivoire

Publié le 23 décembre 2019 - Survie

Après les annonces sur le Franc CFA hier [1] , Emmanuel Macron s’est rendu avec Alassane Ouattara à Bouaké. Le premier objectif de ce déplacement est l’inauguration d’un projet financé dans le cadre de Contrats de Désendettement et de Développement, véritable outil d’ingérence économique français. Le second est l’hommage aux victimes militaires françaises décédées lors du bombardement du 6 novembre 2004, toujours sans évoquer les dizaines de morts civils ivoiriens tués par l’armée française les jours suivants. Les deux objectifs de cette visite sont emblématiques de l’immixtion française dans les affaires ivoiriennes et du fonctionnement de la Françafrique.

Le Président Macron a commencé sa visite en posant la première pierre du futur marché central de Bouaké, qui sera le plus grand marché couvert d’Afrique de l’Ouest et qui abritera plus de 8000 commerces. Sa construction coûtera près de 60 millions d’euros. Ce projet, comme celui de la rénovation de la route A3 Bouaké-Ferkessédougou - d’un montant de 212 millions d’euros - ou celui du métro d’Abidjan - d’un montant d’1,36 milliard d’euros - ont tous été financés dans le cadre du mécanisme de Contrats de désendettement et de développement (C2D). Tous ces contrats ont été confiés à des filiales ou consortium menés par le groupe Bouygues. Ce dispositif oblige la Côte d’Ivoire à rembourser les dettes - souvent illégitimes - contractées auprès de la France, en "contrepartie", cette dernière verse un montant égal au capital remboursé sur un compte qui finance des projets d’infrastructure décidés avec son aval permettant ainsi de favoriser des entreprises françaises. [2]

"La France grâce à ces C2D, évacue toute idée d’annulation de la dette, oblige les Ivoiriens à rembourser une dette illégitime, et permet à des entreprises françaises de s’enrichir au détriment des entreprises locales, c’est la triple peine" affirme Patrice Garesio co-président de Survie.

Le second événement de ce déplacement à Bouaké est l’inauguration d’une stèle à la mémoire des soldats français et du civil américain tués lors du bombardement du 6 novembre 2004 par des avions de l’armée de l’air ivoirienne. Ce geste symbolique est particulièrement cynique de la part du chef de l’État français, tant pour ces premières victimes et leurs familles que pour les manifestants ivoiriens tués par l’armée française entre le 6 et le 9 novembre 2004. Tout d’abord et vis-à-vis de ces premières, l’État français est l’acteur principal qui empêche l’établissement de la vérité dans cette affaire, en refusant l’accès à de nombreuses informations classées Secret Défense. De plus, comme l’affirme Maître Balan, avocat des familles des victimes, le bombardement de Bouaké apparaît comme "Un coup monté au plus haut niveau de l’État et destiné à accuser, puis à faire tomber le président ivoirien Laurent Gbagbo". [3]

Ce scénario est partagé par le général Renaud de Malaussène, qui fut nommé numéro deux de la force militaire française en Côte d’Ivoire deux mois après les faits. Si la vérité sur les commanditaires de ce bombardement reste à établir, la responsabilité de Michèle Alliot Marie, Dominique de Villepin et Michel Barnier tous trois ministres au moment des faits, a été évoquée ; leur inaction a permis aux pilotes biélorusses de s’enfuir alors que les autorités ivoiriennes puis togolaises les tenaient à leur disposition. [4]

"L’affaire du bombardement de Bouaké est emblématique des conséquences de l’ingérence française dans les affaires d’un pays souverain, mais aussi de l’absence de contrôle démocratique sur les opérations militaires extérieures" confirme Pauline Tétillon, co-présidente de Survie.
Suite à ce premier drame, la France décida de détruire totalement l’aviation ivoirienne. S’ensuivirent alors d’importantes manifestations de la population ivoirienne pour exiger le départ de l’armée française. Cette dernière, pour mater les manifestations tira alors sur les civils, faisant ainsi plusieurs dizaines de morts.
Pauline Tétillon concluant ainsi : "L’impunité des militaires français en Afrique est telle, que, dans le cas de la Côte d’Ivoire, l’armée française s’est permis de tirer sur des civils à l’arme lourde lors de manifestations exigeant son départ. Ces dizaines de morts ivoiriens n’ont toujours pas eu droit ni à une stèle ni même à un mot du chef de l’État français"

[2Billets d’Afrique "Convertir la dette en influence française", août 2017

[4Pour plus de détails sur cet événement, lire notre dernier ouvrage publié aux éditions Agone " Un pompier pyromane. L’ingérence française en Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny à Ouattara", août 2018 ; et notamment le chapitre 6 : "Coup tordu pour un coup d’État ?"

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