SURVIE « Donner valeur de loi au devoir de sauver les vivants »
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Monsieur Jacques Chirac, Président de la République française, Palais de l’Elysée
Le 04 août, 2003
Monsieur le Président,
Nous nous permettons d’attirer votre attention sur la situation préoccupante du journaliste djiboutien, rédacteur en chef du « Renouveau démocratique », monsieur Daher Ahmed Farah. Celui-ci est emprisonné à Djibouti dans des conditions inhumaines qui ont déjà provoqué la mort de nombreux prisonniers par le passé. On lui reproche d’avoir diffamé un des principaux responsables de l’armée et d’avoir porté atteinte au moral de cette dernière. Victime d’une véritable politique de harcèlement du pouvoir, il a été placé en détention à plusieurs reprises depuis le mois d’avril et rien n’assure qu’on ne saisira pas d’autres prétextes à la fin de sa peine pour l’y maintenir.
Dans un pays respectueux des Droits de l’Homme, les écrits de monsieur Farah n’auraient pas conduit à son incarcération. Comme vous le savez d’expérience, le respect de la liberté d’expression ainsi que celui des droits de l’opposition sont indissociables d’une véritable démocratie.
Or, en octobre 2002, vous avez décoré de la Légion d’Honneur Ismaël Omar Guelleh, Président de Djibouti, au nom de la France, en notre nom. Le 14 juillet, votre ambassadeur, notre ambassadeur, M. Patrick Roussel, s’est félicité du climat « de liberté et de maturité politique dans lequel se sont déroulées les dernières élections législatives à Djibouti », y voyant « le signe d’une démocratie qui s’affirme et qui puise largement dans la tradition djiboutienne qui accorde une place de choix au dialogue ». Il en a conclu que « Djibouti est un pays enfin en paix qui veut se tourner résolument vers le développement ».
Voilà deux grands symboles de la République française utilisés en notre nom par votre gouvernement pour soutenir l’action du Président Guelleh. Mais si les citoyens se sont un jour assemblés en Nation dans notre pays c’est autour de principes clairs, ceux de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.
A Djibouti qu’en est-il ? Est-ce la mise en application de ces principes que vous récompensez et soutenez ?
Vous ne pouvez ignorer que les élections législatives de janvier 2003 n’ont laissé aucun siège à l’opposition - leur déroulement a été entaché de nombreuses fraudes. L’espoir né de l’accord de paix signé en mai 2001 a vite disparu : les réformes institutionnelles promises ne se sont pas matérialisées, les promesses de reconstruction des zones de conflit n’ont pas été tenues et Monsieur Guelleh, en digne héritier de son « oncle » [1], a poursuivi sa politique fondée sur la répression (emprisonnements arbitraires, assassinats, viols par centaines) et le clanisme. Dans un pays réduit à l’extrême pauvreté [2], la corruption et son corollaire l’impunité (pilleurs des fonds publics, violeurs et assassins ne sont pas inquiétés et au contraire promus) règnent en maître. Un juge français l’a même payé de sa vie [3].
C’est cela que monsieur Farah a voulu dénoncer à travers une lettre ouverte à la jeunesse de son pays le 17 avril 2003 (cf pièce jointe). N’est-ce pas cela qui lui est en réalité reproché ?
Cependant des millions d’euros de notre argent de contribuables affluent ces derniers temps dans les caisses de l’Etat djiboutien. L’aide budgétaire de la France a explosé pour atteindre 30 millions d’euros malgré l’opacité de l’utilisation de ces fonds et ses résultats désastreux. Certes, la plus grande base de notre armée en Afrique est située à Djibouti. Certes, les Etats-Unis y disposent depuis peu des mêmes commodités et ont, de leur côté, versé 31 millions de dollars à l’Etat djiboutien. Certes, des institutions internationales sises à Washington (Banque Mondiale, Fonds Monétaire International etc) alimentent de plus en plus les caisses de ce même Etat ...
L’ambassadeur Roussel résume bien la situation : « les relations franco-djiboutiennes apparaissent plus que jamais fortes, parce qu’elles reposent sur des solides intérêts partagés et sur une longue tradition […] d’amitié ». Pourtant, rien ne justifie que notre gouvernement soutienne une dictature prédatrice qui maintient sa population dans la terreur et le dénuement le plus extrême. Cette « amitié » intéressée est inacceptable au regard de nos valeurs de citoyens français.
Nous vous prions M. le Président d’exercer sans tarder une forte pression auprès des autorités djiboutiennes pour que M. Farah ne soit plus inquiété pour délit d’opinion et de dénoncer les atteintes aux Droits de l’Homme dans ce pays qui rendent impossible toute véritable coopération. Votre voix est de celles qui pourraient être entendues.
Dans cette attente, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.
Pour Survie Paris-Ile de France,
Claude Chenaud, Emmanuel Frigara, membres du conseil d’administration
[1] M. Hassan Gouled Aptidon, Président de Djibouti de 1977 à 1999, dont M. Guelleh a été chef de cabinet et chef de la sécurité pendant 20 ans
[2] L’IDH y est de 0,445 soit la 149ème position sur 173 pays (PNUD)
[3] Il s’agit du juge Borrel, dont il a été prouvé que le « suicide » n’en était pas un