Survie

Emmanuel Macron dans la Corne de l’Afrique : dictature, business et greenwashing

Côte djiboutienne, archive NASA du 7 janvier 2002 (Photo sous licence CC NASA's Marshall Space Flight Center)
Publié le 11 mars 2019 - Survie

Le président français entame ce lundi 11 mars sa première tournée dans la Corne de l’Afrique de l’Est, à l’occasion de la nouvelle édition du OnePlanetSummit, qui se déroulera cette fois-ci au Kenya. Entre appétit français pour les opportunités économiques en Afrique de l’Est et renouvellement du soutien français à la dictature djiboutienne, rentière de sa situation de hub militaire et éclaboussée du sang de ses opposants et du coopérant français le juge Bernard Borrel, l’Élysée n’innove guère.

C’est une volonté de faire passer les initiatives privées pour un outil pertinent de lutte contre le changement climatique, au détriment de politiques publiques ambitieuses, et d’acquérir au passage des parts de marchés pour les entreprises et opérateurs français, qui pousse le président français à se rendre à l’édition kényane du OnePlanetSummit. Cette création macronienne de 2017, pour surfer sur l’effet diplomatique de la COP 21, permet au passage de faire passer des dictateurs africains pour des chefs d’État soucieux de l’environnement. L’image est émouvante, au moment où Total négocie ardemment ses parts dans un immense projet pétrolier dans la province kényane du Turkana . Emmanuel Macron se prononcera-t-il contre ce projet d’exploitation pétrolière et le pipeline qui doit le relier au port de Lamu ? Celui-ci, comme l’ensemble du projet LAPSSET (Lamu Port-South Sudan-Ethiopia Transport corridor project), est combattu sur le terrain par des organisations de défense de l’environnement et des droits des populations, auxquelles le gouvernement kényan répond par la répression [1].
L’Éthiopie, où Emmanuel Macron sera en visite d’État à partir de mardi soir, aiguise les appétits économiques français : une délégation d’une cinquantaine d’entreprises françaises arrivera donc dans les valises du président [2]. Rien de bien nouveau : voilà plus de 10 ans que, grâce à leurs chiffres de croissance alléchants pour les entreprises du monde entier (mais qui ne profitent pas nécessairement à la population), des pays hors du « pré carré » néocolonial français (dans lequel l’économie est exsangue) sont devenus des enjeux de positionnement pour les entreprises tricolores. Emmanuel Macron poursuit ici un mouvement diplomatique d’accompagnement de cette ambition économique amorcée sous Nicolas Sarkozy. La visite devrait même être l’occasion de signer un accord de partenariat de défense entre la France et l’Éthiopie, actant une volonté d’ancrage militaire de Paris dans ce pays après l’accord de paix historique avec l’Érythrée l’année dernière.
Mais Emmanuel Macron profite du voyage pour rendre visite à un vieil « ami de la France » : il sera quelques heures à Djibouti pour y rencontrer Ismail Omar Guelleh, à la tête de ce petit pays stratégique depuis 20 ans après en avoir été le redouté chef des services de sécurité. Djibouti, ancienne colonie dont l’indépendance ne date que de 1977, est avant tout une base militaire française. Bien que les effectifs des Forces Françaises de Djibouti ne soient plus « que » de 1450 soldats (contre 5000 il y a quelques années) et que le régime fasse jouer la concurrence militaire en accueillant désormais des bases militaires américaine, japonaise, chinoise, italienne et bientôt saoudienne (en plus de petits contingents espagnol et de la marine européenne [3]), Djibouti reste un élément essentiel du maillage militaire français en Afrique et à proximité du Moyen-Orient : principale base française à l’étranger, elle a servi aux deux tiers des opérations militaires menées par la France en Afrique depuis les années 1960. Le dictateur Ismail Omar Guelleh, qui a fait changer la Constitution en 2010 pour rester indéfiniment au pouvoir, sait qu’il peut compter sur le soutien des présidents français successifs, malgré les violations des droits humains de son régime. L’affaire Borrel, du nom de ce juge français assassiné en 1995 à Djibouti, est également emblématique des manipulations auxquelles les autorités politiques et judiciaires françaises sont prêtes à recourir afin de préserver leurs intérêts stratégiques [4]. Fin janvier, un opposant historique au régime, Mohamed Kadamy, s’est vu convoqué par la justice française, au titre d’une commission rogatoire demandée par la justice djiboutienne. L’affaire intervient alors que ce dirigeant d’un mouvement d’opposition armée refusait de négocier avec le régime « sans la présence d’une médiation et d’une garantie internationale » [[Voir son comité de soutien ici]. Cette instrumentalisation de la justice ne dérange visiblement pas la diplomatie française qui, une fois de plus, préfère sacrifier plus de 800 000 Djiboutiens et la mémoire d’un de ses anciens coopérants sur l’autel du contrôle militaire de la Corne de l’Afrique et des flux de pétrole et de marchandises sur la Mer Rouge.

Version mise à jour le 19/03/2019

[1Total est impliquée dans les négociations autour des différents volets du projet. Voir par exemple, sur le pipeline, « Total strikes deal to build Kenya’s Lamu crude oil pipeline », The EastAfrican, 24 janvier 2018
Sur les mobilisations récentes et la répression, voir par exemple « “They Just Want to Silence Us”, Abuses Against Environmental Activists at Kenya’s Coast Region  », Human Rights Watch, 17 décembre 2018.

[2« Les entreprises qui suivront Emmanuel Macron dans la Corne », La Lettre de l’Océan Indien, n° 1493 du 08/03/2019

[3Sur la multiplication des implantations militaires à Djibouti, voir Jean-Luc Martineau, « Djibouti et le « commerce » des bases militaires : un jeu dangereux ? », L’Espace Politique, 34 | 2018-1

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