Paris, le 29 août
Monsieur le Président,
Alors que jusqu’à aujourd’hui, l’exécutif français continue de soutenir le régime du clan Bongo-PDG [Parti Démocratique Gabonais] au pouvoir depuis près de 50 ans , notamment via sa coopération militaire et sécuritaire [1], il est plus que temps que les autorités françaises se rangent enfin du côté du peuple gabonais et condamnent les pratiques de cette dictature !
Si samedi 27 août, d’après tous les observateurs et médias, le peuple gabonais est allé massivement voter, le processus électoral aura été clairement entaché de nombreuses fraudes et irrégularités. Tout d’abord en amont des élections, avec le fichier électoral qui comporte de très nombreuses irrégularités comme l’a démontré dans un audit [2] le chercheur May Mouissi : plus d’une cinquantaine de villes ont un nombre d’électeurs inscrits plus important que d’habitants par exemple ! La veille du jour du vote, le 26 août, la Cour constitutionnelle (présidée par la belle-mère d’Ali Bongo, pour rappel) annonçait qu’elle "autorise les militaires à voter en dehors des centres dans lesquels ils sont régulièrement inscrits, et l’ouverture de listes additives d’électeurs pour eux [3]", ceci en dehors de tout cadre légal. Mais aussi lors de la journée du vote, où de nombreuses personnes ont été surprises en train de voter plusieurs fois avec différentes cartes d’électeurs, notamment certains élus PDG à Libreville, sans parler des nombreux cas de bureaux de votes fictifs où se trouvaient des urnes pré-remplies comme ont pu le montrer plusieurs vidéos et photos.
Malgré toutes ces fraudes avérées en faveur du président sortant, de nombreux acteurs internationaux – dont le Parti Socialiste français [4] - considèrent, tout comme la société civile, ainsi qu’une large partie de l’opposition politique gabonaise, qu’Ali Bongo est nettement distancé par son opposant principal, Jean Ping. Ces affirmations font suite à la compilation d’une grande partie des procès-verbaux des bureaux de votes dont les différents observateurs, tant de la société civile que des partis politiques, ont obtenu une copie.
Malheureusement, tout laisse à penser qu’Ali Bongo prépare un nouveau coup de force pour s’imposer, quitte à utiliser la violence comme il l’avait fait en 2009 (provoquant la mort de plusieurs dizaines de civils, notamment à Port Gentil). En effet, et comme nous vous l’avions déjà signalé dans notre courrier du 22 juillet dernier [5], les répressions vont grandissant contre les opposants depuis le début du mois de juillet (de nombreux militants sont d’ailleurs encore aujourd’hui en prison et ce de manière totalement illégale). Ce week-end, c’est l’activiste franco-gabonais Rodney Ekorezok, membre fondateur du CRAN Gabon et qui avait participé à la mise en place du dispositif AAA (Alerte Arrestations Arbitraires) qui a disparu juste après que plusieurs de ses amis ont eux-mêmes été embarqués par des forces gouvernementales. De plus, les deux chaînes de télévision privées, TV+ et la RTN, ont cessé d’émettre suite à une attaque de membres des forces armées du régime contre leurs installations. Les forces militaires ont de nouveau été déployées dans les rues, notamment de la capitale Libreville.
La mission d’observation de l’Union Européenne a annoncé [6] ce 29 août que le processus électoral avait été marqué par différentes irrégularités, notamment un manque de transparence. Elle fait aussi référence au fait que « l’ensemble des candidats de l’opposition et une partie de la société civile exprime un manque de confiance dans l’impartialité des trois organes responsables pour l’administration des élections, à savoir le Ministère de l’Intérieur, la Cour Constitutionnelle et la Commission électorale nationale autonome et permanente (CENAP) ».
Nous demandons donc à l’exécutif français de ne pas reconnaître automatiquement les résultats qui seront annoncé par le ministère de l’intérieur, notamment avant que toute la lumière soit faite sur les nombreuses fraudes avérées qui ont eu cours pendant l’ensemble du processus électoral, et de conserver une extrême vigilance vis-à-vis des résultats qui seront annoncés par les organes responsable des élections du fait des allégations de non impartialité de ceux-ci
Nous vous demandons également de condamner publiquement toutes les violences et répressions perpétrées par les forces de sécurités gabonaises contre la population gabonaise, et renouvelons notre exigence de suspension de la coopération militaire et sécuritaire avec le Gabon. Par la même, nous vous demandons d’exiger la libération immédiate des différentes personnes arrêtées de manière arbitraire et détenues illégalement, et notamment le dernier en date, le citoyen français Rodney Ekorezok, tout comme l’ensemble des citoyens et militants détenus pour des raisons politiques, notamment Firmain Ollo Obiang, J. R. Yama, Koumba Mba Essiane.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération
Fabrice Tarrit, co-président de l’association Survie
[2] http://www.mays-mouissi.com/2016/08/07/gabon-curiosites-de-liste-electorale-douter-de-fiabilite/
[3] http://www.rtbf.be/info/monde/afrique/detail_presidentielle-au-gabon-polemique-autour-du-vote-des-forces-de-securite?id=9389559
[4] http://www.parti-socialiste.fr/election-presidentielle-gabon-parti-socialiste-espere-democratie-lemportera/