Paris, le 8 juin 2012
Marc Ona, militant de la société civile gabonaise, a été arrêté ce matin afin d’empêcher la tenue d’un contre-forum organisé par les Indignés et le mouvement Ca suffit comme ça à Libreville ce 8 juin. Survie soutient ce contre-forum en opposition au New York Forum Africa qui a lieu en même temps et dénonce le pouvoir dictatorial d’Ali Bongo, le régime et ceux qui en tirent profit tenteront à nouveau ce week-end de redorer l’image du Gabon sur la scène internationale.
Du 8 au 10 juin, se tient à Libreville le "New York Forum Africa", qui rassemble "des décideurs économiques et politiques" pour "faire un zoom (...) sur les problématiques économiques du continent, mais aussi sur ses opportunités en matière d’investissement » comme l’explique Richard Attias. À ce grand raout du communiquant et de la présidence gabonaise, interviendront la directrice du Fonds Monétaire International, une poignée de présidents africains, des représentants des grandes entreprises françaises et même des médias publics français tels France 24 et TV5 Monde. Seront notamment représentés Orange, Total, le club des investisseurs français...
L’ancienne présidente d’Areva, Mme Lauvergeon, et un représentant de Total interviendront pour démontrer les bienfaits du nucléaire et du pétrole, ce qui ne manque pas de cynisme. Les zones d’exploitation d’uranium au Gabon à Mounana (fermées en 1999) sont largement contaminées malgré des investissements publics européens [1] pour leur réaménagement, et les anciens travailleurs atteints de maladies professionnelles ne sont toujours pas indemnisés. Cette opération s’inscrit-elle dans l’objectif de la réouverture de mines d’Areva au Gabon ? Par ailleurs, les revenus du pétrole bénéficient depuis des décennies au clan Bongo au pouvoir et aux intérêts de Total mais guère aux populations gabonaises, et l’affaire des Biens Mal Acquis à l’encontre notamment de la famille Bongo est toujours en cours d’instruction en France…
Pendant ce temps, les étudiants qui manifestent depuis plusieurs mois à Libreville pour de meilleures conditions d’études sont victimes d’une sévère répression, les déploiements de l’armée contre les mouvements populaires sont fréquents. Aucune opposition n’est représentée à l’Assemblée Nationale depuis la mascarade des élections législatives de décembre 2011, largement boycottées par les Gabonais, et les partis d’opposition sont moribonds ou interdits. Nicolas Sarkozy a soutenu Ali Bongo depuis son accession frauduleuse au pouvoir en 2009, afin de préserver les intérêts économiques et militaires hexagonaux - la base militaire française au Gabon a même vu ses effectifs renforcés ces dernières années ; il faut dire qu’Omar Bongo a en son temps été un des piliers de la Françafrique. En parallèle, les malversations sont multiples : en janvier les surfacturations des marchés relatifs à la tenue de la Coupe d’Afrique des Nations faisaient scandale et c’est aujourd’hui l’attribution du marché des élections biométriques à l’entreprise française Gemalto qui pose question à la société civile. Le pouvoir en place n’apprécie pas cette contestation : après les pressions exercées discrètement afin d’empêcher la tenue de ce contre-forum, le régime aux abois vient de franchir une étape supplémentaire dans la répression de la liberté d’expression, en arrêtant ce matin Marc Ona, personnalité bien connue de la société civile gabonaise. Les autorités envoient ainsi un signal de durcissement que les autorités françaises doivent condamner publiquement.
Opposée aux opérations de communication qui visent à légitimer le pillage du continent, notamment par les multinationales françaises, Survie soutient le contre-forum organisé par la société civile gabonaise et relaye sa Lettre ouverte. Pour mettre fin à la Françafrique, la France doit commencer par cesser tout soutien et silence complice vis-à-vis du régime d’Ali Bongo, qui en est l’un des piliers. Plus globalement, Survie rappelle ses demandes au nouveau gouvernement français :
En complément :
Annexe : Lettre Ouverte des Indignés du Gabon aux illustres invités au New York Forum Africa
Fait à Libreville, le 28 mai 20012
Lettre Ouverte des Indignés du Gabon aux illustres invités au New York Forum Africa
Mesdames et Messieurs,
Reconnus pour votre génie, pour l’éthique que vous défendez au point de les incarner, pour votre engagement, pour vos efforts et vos sacrifices en vue de mettre en application des valeurs pour laisser à la postérité un monde meilleur, vous avez été invités à participer au New York Forum Africa. Selon Richard Attias, l’organisateur de ce forum, « Le Gabon a un business model unique et que je pense sincèrement gagnant. Sa stabilité politique et économique en fait une terre d’accueil idéale. »
Mesdames et Messieurs,
Ce business model unique, les Gabonais n’en veulent plus. Le prétexte de la Guerre froide pour maintenir des rois nègres au pouvoir afin d’assurer la « stabilité » pour les réseaux d’affairistes n’est plus d’actualité. Ne sont également plus de notre temps l’esprit et la lettre de la récente réforme constitutionnelle qui renforce les pouvoirs du président d’un état militaro-policier en lui octroyant l’exclusivité des prérogatives en matière de sécurité et de défense, et, par conséquent, la souveraineté absolue dans la définition du concept éculé de « trouble de l’ordre public » ou de « respect des institutions ». Ainsi, depuis l’accession d’Ali Bongo au pouvoir, les marches pacifiques sont interdites, car elles troublent l’ordre public ; la presse indépendante et toute forme de contestation sont régulièrement sanctionnées pour tentative de déstabilisation de l’Etat. Lorsque, par ailleurs, le rapport de la Cour des comptes est classé top secret dans notre dernier bastion de la Françafrique, le doute n’est plus permis sur la nature de cet Etat. Ce modèle économique, les Gabonais n’en veulent pas.
Depuis plus de cinquante ans, les organismes et la communauté internationaux protègent un clan patrimonicide, contre les intérêts du peuple gabonais. C’est pourquoi, des patriotes issus de tous les corps sociaux se sont rassemblés au sein du Front des Indignés, afin de se réapproprier leur souveraineté et faire valoir leur aspiration à jouir de leurs droits et libertés fondamentaux. Cette revendication, nous sommes déterminés à l’exprimer en marge de l’opération de communication que sera le New York Forum Africa.
Lorsque les forces de répression et de coercition nous frapperont, de quel côté serez-vous ? Du côté de la famille qui dirige notre pays depuis 45 ans, au point de considérer que l’Etat, c’est elle, ou du côté de ceux qui aspirent à un Etat démocratique, avec la faiblesse de croire que l’alternance au pouvoir en est un élément fondamental en ce qu’elle renouvelle les idées en évitant de patrimoniser le bien public et de le léguer en héritage à des successeurs désignés ?
De quel côté serez-vous ? Serez-vous du côté du Président de l’Assemblée Nationale qui ne peut justifier les plus de 10 milliards de Francs (20 millions de US $) d’argent public dépensés pour la construction de l’annexe de l’Assemblée nationale dont il n’y a de trace nulle part ou serez-vous du côté de l’étudiant sorti de prison pour avoir revendiqué la construction de salles de cours, la dotation en matériel didactique et pour avoir protesté contre la limite d’âge des bourses d’Etat en plein milieu d’année ? Qui soutiendrez-vous ? Les forces spéciales anti-terroristes ou leur cible du corps médical coupable de revendiquer de meilleurs équipements pour soigner les malades qui meurent quotidiennement, sous leurs yeux, de maladies bénignes, alors que les dirigeants politiques se donnent les moyens d’aller se soigner à l’étranger, leur cynisme les poussant à préférer mourir à grand frais dans de prestigieux hôpitaux à l’étranger que dans les mouroirs plébéiens des centres de santé publics ?
De quel côté serez-vous ? Serez-vous avec les forces spéciales d’intervention ou avec les centaines de fonctionnaires dont les salaires sont supprimés depuis des années pour délit d’opinion ?
De quel côté serez-vous ? Serez-vous avec l’oligarchie qui, depuis des mois, pour blanchir l’argent détourné qui devait servir à alimenter les quartiers de Libreville en eau, exproprie les pauvres citoyens de leur terre pour bâtir leur empire immobilier, ou du coté de ceux qui se battent au prix de leur vie pour défendre la terre de leurs ancêtres ?
De quel côté serez-vous ? Serez-vous Accepteriez-vous aux côtés de ceux qui transforment les terres agricoles des pauvres paysans en plantations d’hévéa et de palmier à huile ou au côté des paysans qui revendiquent le droit à la terre ? Cet énième forum, véritable opération de communication d’un pouvoir oppressif, coûtera encore aux contribuables gabonais des sommes faramineuses qui auraient pu servir à améliorer les infrastructures de l’université de Libreville. Serez-vous dans le camp des gendarmes qui violent régulièrement les franchises universitaires pour y effectuer des ratonnades ou du côté des étudiants, déterminés à aller jusqu’au bout de leurs revendications légitimes ?
Les intellectuels que vous êtes défendront-ils des causes ou leurs honoraires ? Mesdames et Messieurs les économistes, défendrez-vous les affaires conditionnées pour une stabilité par la matraque ou défendrez-vous le respect des droits de notre peuple, gage d’une stabilité durable et sereine ? Les Nobel défendront-ils une éthique ou légitimeront-ils un pouvoir corrompu poursuivi, en France dans l’Affaire des Bien Mal Acquis et dont une enquête du Sénat des Etats-Unis a clairement mis à jour les activités de blanchiment d’argent ?
Votre notoriété a fait de vous des modèles pour l’humanité. Libre à vous de brouiller cette prestigieuse image en affichant une proximité avec des régimes dictatoriaux.
Contact presse : Porte Parole du Front des Indignés Gregory NGBWA MINTSA : +241 06246157 gngbwamintsa(a)yahoo.fr
[1] du Fonds Européen pour le Développement