Le 4 Novembre 2018 a eu lieu le référendum d’auto-détermination de la Kanaky-Nouvelle Calédonie. Attendu - ou redouté selon les points de vue - depuis 30 ans, il a donné la mesure du rapport de force d’aujourd’hui entre partisans et adversaires de l’indépendance.
À la question « voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? », 43,3% des votants ont répondu « oui », et 56,7 % se sont prononcés contre. La conséquence immédiate du scrutin est donc le maintien de la tutelle française. Mais tandis que les sondages donnaient une victoire écrasante pour le « non » (70-30), ce résultat est en réalité un camouflet pour les anti-indépendantistes et l’État français, qui espéraient enterrer une bonne fois pour toute les velléités d’indépendance, et une demi-victoire pour les indépendantistes dont les scores ont progressé partout.
La ségrégation spatiale en Nouvelle-Calédonie ne laisse aucune place au doute : les Kanak, dans leur écrasante majorité, se sont exprimés pour leur indépendance. Les autres communautés, Français en tête, la leur ont refusée. En effet, la population blanche de l’île est concentrée dans et autour de sa capitale, Nouméa. Dans la plupart des communes du grand Nouméa, 80% des votants ont rejeté l’indépendance. La province Nord et les Îles Loyautés sont presque exclusivement peuplées de Kanak, et ont massivement plébiscité la pleine souveraineté, avec des résultats favorables au oui parfois supérieurs à 90%. Le FLNKS a également salué le vote en faveur de l’indépendance d’une minorité de personnes non-Kanak. Après une campagne rouleau-compresseur basée sur la peur [1], annonçant l’effondrement économique et social, la colonisation chinoise, un retour des antagonismes entre communautés voire un exode de tous les non-Kanak en cas d’indépendance, force est de constater que la droite coloniale [2] n’a fait d’autres convertis qu’elle-même et que la volonté d’émancipation des Kanak n’a pas faibli depuis les années 1980.
Cet état de fait révèle à qui profite l’ordre actuel. La population issue de la métropole a la main-mise sur l’économie et le foncier, a façonné le système juridique, administratif, scolaire à son image et pour son bénéfice. En cas d’indépendance, elle pourrait voir ses privilèges remis en cause par une répartition plus juste des richesses et du pouvoir. Aujourd’hui en Kanaky – Nouvelle Calédonie, les colons sont ceux qui travaillent au maintien de ces privilèges. Être colon, est bien une identité politique et non une couleur de peau. Le peuple colonisé, le peuple Kanak, est toujours discriminé matériellement, socialement et culturellement dans son propre pays. L’insuffisance du rééquilibrage économique et de la reconnaissance de l’identité kanak, promis par les accords de Matignon et de Nouméa, se traduit par le choix du peuple colonisé de l’indépendance comme voie de son émancipation, qui semble irréalisable sous tutelle de la France. Le résultat du référendum vient remettre en lumière le fait colonial là où la droite, les médias locaux et l’État français ont toujours cherché à le faire oublier. Rappelons que le droit à l’autodétermination concerne le peuple colonisé, et que le rejet de l’indépendance le 4 novembre n’est dû qu’à la mise en minorité des Kanak sur la liste référendaire.
Que le résultat du référendum soit favorable au « non » ne marque pas la fin du processus de décolonisation, contrairement à ce que laissait entendre le discours d’Emmanuel Macron le 4 novembre après l’annonce des résultats. Les accords de Nouméa prévoient la tenue de deux autres référendums en cas de victoire du non, si un tiers du Congrès de Nouvelle-Calédonie le demande. Les mouvements anti-indépendantistes remettent d’ores et déjà en question ce principe et c’est en cela que les élections provinciales, qui détermineront la composition du nouveau Congrès en mai 2019, auront une importance capitale. Le Congrès est composé de 54 sièges et actuellement les indépendantistes en occupent 25. Le référendum ayant prouvé que les Kanak sont fortement mobilisés pour l’indépendance, et bien que la liste électorale provinciale rassemble davantage de votants non-Kanak, il y a fort à parier que les partis indépendantistes obtiendront le tiers des voix nécessaires à l’organisation d’un nouveau référendum.
Dans ce cas de figure, un durcissement des positions et des manœuvres des anti-indépendantistes et de l’État français est à prévoir. Dans la droite ligne de la colonisation de peuplement à l’œuvre depuis des décennies, des inscriptions irrégulières de métropolitains et du refus de l’inscription automatique des Kanak – dénoncés par les indépendantistes à l’approche du référendum, la droite coloniale a commencé à évoquer un « dégel » du corps électoral pour y faire figurer plus de non-Kanak.
Le résultat du référendum marque le choix très clair des Kanak de l’indépendance comme moyen d’obtenir leur émancipation. Au-delà de la question institutionnelle, l’enjeu de fond est bien celui de la décolonisation et de l’accession du peuple premier à une égalité matérielle et culturelle, ce qui nécessite des transformations profondes de la société coloniale d’aujourd’hui.
Les institutions actuelles sont le fruit de l’histoire coloniale, et sont en majeure partie calquées sur celles de la Métropole. La refonte des institutions et des rapports sociaux ne devra revenir en aucun cas à des « coopérants » ou « experts » français. Survie rappelle que le maintien de troupes françaises, la mise en place d’accords bilatéraux économiques et de défense, le maintien de systèmes scolaire, judiciaires, de droit foncier, ou encore d’une monnaie coloniale ont été autant de facteurs vidant de leur substance les indépendances africaines.
Depuis plus d’un an, Survie suit de près la situation en Kanaky - Nouvelle-Calédonie grâce à des recherches et des rencontres avec plusieurs personnes indépendantistes ou solidaires de cette revendication. Pourquoi s’y intéresser, alors que Survie est une association de lutte contre la Françafrique ? Parce que la Nouvelle-Calédonie conserve toutes les caractéristiques d’une colonie et occupe encore une place importante dans « l’Empire » français de par son histoire et ses intérêts stratégiques. Et parce que le processus de décolonisation dans lequel elle est engagée et les manœuvres et mécanismes mis en place par l’État français pour conserver cette colonie font largement écho à ce qu’ont vécu les pays africains dans les années 1960 au moment des indépendances.
Jusqu’au 4 novembre, Survie a considéré que son rôle n’était pas de se positionner en faveur de l’indépendance, ce que doit être l’avenir de Kanaky - Nouvelle-Calédonie étant avant tout le choix des Kanak. Au cours de l’année écoulée, nous avons donc cherché à documenter, décrypter, diffuser l’information sur la situation coloniale de Kanaky, le rôle joué par l’État, et les enjeux du référendum, pour faire connaître une actualité très largement ignorée en France.
Le résultat du référendum et notre engagement pour le droit des peuples à l’autodétermination nous amènent à soutenir clairement et concrètement la lutte du peuple colonisé pour son indépendance.
Pour Survie, notre juste place en tant que militant-e-s français-es anticolonialistes est :
[1] Cf. Qui a peur de l’indépendance ?, Billets d’Afrique 277 mai 2018 et Rudiments de campagne anti-indépendance, Billets d’Afrique 281 octobre 2018.
[2] En Kanaky – Nouvelle Calédonie, les partis de droite sont tous en faveur d’une Calédonie française. Ils combattent l’indépendance et œuvrent donc objectivement au projet colonial. Les partis qui correspondraient à ce qu’on entend par « gauche » sont quasiment tous indépendantistes malgré leurs différences. Il existe quelques petits partis n’appartenant pleinement à aucun de ces deux blocs.