Survie

Madagascar : le pillage

L’accaparement des terres en Afrique ne date pas d’aujourd’hui. Elle a commencé avec la colonisation mais le processus s’accélère actuellement avec des sociétés d’investissement qui achètent des terres laissées en friches et profitent de la demande accrue de surfaces cultivables pour spéculer. Le cas de Madagascar est édifiant. Interview de Mamy Rakotondrainibe, présidente du Collectif pour la Défense des Terres Malgaches (TANY).

Billets d’Afrique (BDA) : Pour quelles raisons Madagascar est-elle particulièrement touchée par l’accaparement des terres ?

Mamy Rakotondrainibe : Les autorités malgaches cherchent à attirer les investisseurs afin d’obtenir des fonds pour alimenter leurs budgets (sans parler de la corruption). 70% des recettes du budget de l’Etat dépendent de l’extérieur depuis plusieurs années. Ceci explique l’intense recherche d’investisseurs à travers le monde avec des offres alléchantes dont les terres agricoles font partie. D’autre part, de nombreuses surfaces sont considérées comme non cultivées, soit parce que la densité de population est faible, soit que l’eau est insuffisante pour des cultures de grandes surfaces. Sur ces terres vivent des familles dispersées ou regroupées en petits hameaux, où elles assurent leur alimentation de subsistance.

Quelles sont les sociétés étrangères qui tentent d’accaparer des terres à Madagascar et y-a-t-il parmi elles, des sociétés françaises ?

La célèbre affaire Daewoo (1,3 millions d’ha) est devenue emblématique du problème de l’accaparement des terres et a montré que Madagascar était particulièrement vulnérable face à ce type de prédation. Grâce à la mobilisation nationale et internationale, ce projet n’a pas pu se réaliser, et a contribué en partie à la chute de Marc Ravalomanana. Il existe bien d’autres cas d’accaparement de terres en cours à Madagascar. On peut citer l’action des sociétés indiennes comme Varun sur des surfaces situées dans le nord et l’ouest de l’île, et Landmark dans le centre sud. Des investisseurs australiens, mauriciens, des Européens comme l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni sont également cités dans les rapports de recherches. Sont présentes des sociétés françaises comme le Groupe Cailler, Soabe et New Ecological Oil en plus de Sopremad, un groupe mixte franco- malgache. [1]

Le Collectif TANY s’oppose à la vente des terres et aux baux emphytéotiques (location pour 50 ou 99 ans) et rejoint d’autres représentants de la société civile dans leur lutte pour aboutir à la transparence de toutes les tractations. Le Collectif réclame particulièrement l’annulation de la loi 2007-036 sur les investissements qui autorise l’achat de terres par les étrangers à partir du moment où ils sont associés à des Malgaches. La conséquence pratique est que souvent l’investissement est réalisé sous couvert d’une entreprise malgache.

Madagascar 2010
Photo sous licence Creative Commons de Isem

Que rapporte à l’Etat malgache cette politique sur les terres ?

Sur les ventes de terres, on ne connait pas les sommes rapportées car les dossiers sont opaques. Cette situation alimente la suspicion de corruption, sinon pourquoi ce manque de transparence ? Les locations pour les baux emphytéotiques aurait été de 0,80 dollar US par hectare et par an [2]. Nous ignorons, par contre, les chiffres réels que les redevances et rentrées fiscales de ces locations de terres ont rapporté à l’Etat, aux régions et aux communes.

Dans certains contrats, sont évoquées des contreparties telles que la construction de routes, d’écoles, de puits, quelquefois de centres médicaux que les investisseurs fournissent à la place de l’Etat. Dans d’autres dossiers, rien n’est écrit et les contreparties sont seulement formulées oralement avec les autorités locales ! Ces contreparties pour l’Etat et les populations doivent faire l’objet d’études concrètes et minutieuses pour vérifier leur impact. C’est en effet, le principal argument avancé par les autorités et les défenseurs des investisseurs dont la préocupation n’est pas la souveraineté du pays ni l’indépendance alimentaire des générations malgaches futures .

L’Etat de la juridiction foncière, présente-t-elle des ambiguïtés qui favorisent l’accaparement des terres ?

Les lois malgaches sur le foncier, se sont longtemps appuyées sur les textes issus de la colonisation dont le but était de favoriser les titres de propriété pour l’acquisition de terres par les colons (à l’origine la terre appartenait à la collectivité) Pour que le paysan puisse être propriétaire reconnu par la loi de la terre qu’il cultive, il doit posséder un titre délivré par les services fonciers. Ceci necessite beaucoup de temps, des moyens financiers considérables et d’affronter une procédure administrative complexe. Pendant la colonisation et jusqu’en 2009, il existait une trentaine de services fonciers dans ce pays vaste comme la France et le Benelux réunis. Ainsi, en plus de cent ans, 400 000 titres ont été délivrés et seulement 1/15 de la surface de Madagascar a été immatriculée. Après la décolonisation, les terres non titrées sont devenues propriétés de l’Etat malgache. En conséquence, la majeure partie des paysans non posseurs de titre, cultivent des terres qui appartiennent de fait à l’Etat. C’est ce qu’on appelle la présomption de domanialité, alors que le droit coutumier n’est pas pris en compte. Donc l’état peut vendre les terres et les louer comme il l’entend.

C’est en 2005, qu’une réforme foncière essaye de modifier cet héritage colonial en reconnaissant les droits locaux en distinguant les propriétés privées titrées et les propriétés privées non titrées. La gestion des propriétés privées non titrées a été confiée aux collectivités décentralisées avec la création de « guichets fonciers » plus proches des populations où peuvent s’acquérir des certificats fonciers délivrés par les communes [3], beaucoup moins chers et plus rapides à acquérir. En cinq ans, 416 communes sur 1559 sont munis d’un guichet foncier et 60 000 certificats ont pu être ainsi délivrés [4]. Suite à la crise politique de 2009, les bailleurs de fonds qui soutenaient les guichets fonciers, ont arrêté leur financement ce qui a entrainé un ralentissement de la certification foncière et seules les communes qui en avaient les moyens ont pu poursuivre ce travail.

Les anciennes lois profitaient surtout à l’état malgache, on se doute que l’application de ces nouveaux textes ne font pas partie des urgences gouvernementales !

La loi 2007-036 qui facilite la vente des terres aux investisseurs étrangers, (dont le décret d’application n’est jamais paru), est citée comme référence dans une circulaire d’octobre 2010. Cette circulaire évoque une centralisation de l’attribution des terres de vastes surfaces aux investisseurs. Le document délivré à la fin des procédures de demande de bail emphytéotique décrites par cette circulaire s’appelle « titre spécial ». Le nom de ce document va sûrement créer sur le terrain une grande confusion en faveur des investisseurs.

L’ensemble de ces textes n’est pas favorable à la petite paysannerie qui constitue la majorité de la population. La volonté de favoriser l’acquisition de terres par les investisseurs étrangers figure dans la Constitution votée en novembre 2010 dans l’article 1er : « Les modalités et les conditions relatives à la vente de terrain et au bail emphytéotique au profit des étrangers sont déterminées par la loi. »

Quels moyens de pressions sont utilisés par les investisseurs pour acquérir des terres et quelle est l’attitude du gouvernement malgache ?

Les instances internationales, Banque mondiale et FMI ont beaucoup poussé l’Etat Malgache à permettre aux investisseurs d’acquérir des propriétés foncières. En 2003, la loi sur les nationalités a autorisé les achats de terres par les étrangers, à condition que le montant investi soit au minimum de 500 000 dollars. La loi 2007-036 sur les investissements a encore plus favorisé ce genre de transactions.

La Banque mondiale, pendant la période où Ravalomanana était au pouvoir, a financé l’EDBM - Economic Development Board of Madagascar - structure mise en place auprès de la présidence dont l’objectif était de faciliter l’installation des investisseurs étrangers. En 2009, beaucoup pensaient que le financement de cette structure s’était tari comme les autres fonds de l’aide internationale. En fait, l’EDBM a simplement été déplacé sur le ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation où il a continué son activité !

Le pouvoir malgache de la Haute Autorité de la Transition recherche des fonds pour alimenter ses budgets, notamment en raison de la suspension des financements internationaux. L’attribution de terres agricoles de vastes surfaces constitue probablement l’un des volets du bradage des ressources naturelles visant à compenser partiellement ce déficit.

Connaissons-nous la surface des terres soustraite aux paysans malgaches et combien de familles sont-elles touchées ?

L’évaluation est difficile en raison du manque de transparence. Une récente publication parle de 3 millions d’hectares de surfaces qui ont fait l’objet de transactions en cours, suspendues ou réalisées à Madagascar entre 2005 et 2010 (2) mais cet inventaire n’est peut-être pas exhaustif. Quant au nombre de familles touchées, il est impossible pour l’instant de l’évaluer par insuffisance de données. Par contre le projet avorté de Daewoo qui portait sur 1,3 million d’hectares aurait spolié des centaines de milliers de familles.

Comment peut-on contrer le problème ?

L’interpellation des autorités locales, régionales et nationales, les échanges d’information entre tous les citoyens, une solidarité forte avec les paysans au niveau national et international sont les actions que nous menons et les objectifs que nous visons. Pour faire face aux investisseurs transnationaux qui font chorus avec le pouvoir malgache, il faut établir un rapport de force. Les citoyens malgaches doivent unir leurs forces de mobilisation avec celles des citoyens des autres pays, car l’accaparement des terres aujourd’hui n’a plus de frontières. L’information des familles paysannes et des citoyens malgaches est une action prioritaire. De nombreuses données montrent que les droits des populations concernées ne sont pas pris en compte. Elles sont peu consultées, et pas toujours informés de la totalité du projet de l’investisseur.

Des déplacements de populations et de tombeaux auraient eu lieu dans certaines régions. Le retard des informations concernant ces évènements auprès des malgaches a nui pour une mobilisation efficace. Les populations touchées s’expriment peu, rendues prudentes par les pressions exercées par certaines autorités mais aussi parce que des avantages à court terme sont proposés. Il est indispensable d’évaluer toutes ces propositions sur le long terme.

Les droits des ouvriers agricoles ne sont pas toujours respectés. La société Delta Jatropha qui avait embauché des paysans démunis de leur terre n’a pas payé les indemnités de licenciement ni versé le dernier salaire, lorsqu’ elle a arrêté son activité en 2009. C’était pourtant des dispositions contractuelles. Des révoltes de paysans face à des accaparements de terres ont été durement réprimées, par exemple à Analavory en 2006. La liberté d’expression limitée à Madagascar constitue un obstacle majeur aux actions d’opposition. Le foncier est un sujet très sensible et les familles malgaches ne cèdent leurs terres que si elles y sont obligées.

Des organisations paysannes et associations de la société civile à Madagascar luttent contre l’insécurité foncière .Les associations comme le Collectif TANY ont un rôle de veille et d’information des populations malgaches afin qu’elles puissent être informées des conséquences des accaparements de terres. Nous informons l’opinion publique internationale sur le développement de ces spoliations afin de déclencher des mouvements de solidarité. Une pétition dans ce sens est en cours de signature suite à une vague d’expulsions en 2011.

La mise en place d’une politique foncière et agricole favorable aux petits paysans malgaches, constituerait face à l’agrobusiness une alternative efficace pour atteindre l’autosuffisance alimentaire et contribuerait à la paix sociale.

Propos recueillis par Marc Reymond

[2Burnod Perrine et al. « Régulations des investissements agricoles à grande échelle » Études de Madagascar et du Mali, Afrique contemporaine, 2011/1 n° 237, p. 111-129. DOI : 10.3917/afco.237.0111.

[3Rochegude Alain « La terre, objet et condition des investissements agricoles ». Quels droits fonciers pour l’Afrique ? Afrique Contemporaine 2011/1 n° 237 p.85-96. DOI : 10.3917/afco.237.0085

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