Le mercredi 21 mai, le Président de la République Nicolas Sarkozy, comme il l’avait annoncé en janvier dernier, célèbre aux Invalides le 30ème anniversaire de Kolwezi et les « opérations extérieures », essentiellement les nombreuses interventions françaises en Afrique (officiellement une quarantaine durant les 50 dernières années).
En 1978, la France intervenait militairement au Zaïre (actuelle République Démocratique du Congo) en soutien au dictateur Mobutu, contre les 3000 rebelles du Front de Libération Nationale Congolaise (FLNC). Venus d’Angola, ils avaient pris la ville minière de Kolwezi où résidaient plus de 3000 ressortissants européens (belges et français) travaillant essentiellement à la Gécamines (société d’exploitation des mines de la région du Katanga). Le 19 mai, 600 parachutistes de la Légion étrangère sautaient sur Kolwezi pour reprendre la ville. D’après Mobutu et les militaires français, les rebelles se seraient livrés à des massacres d’Européens. Or, N’Guz Karl-I-Bond, ténor de la politique zaïroise, déclara en 1981, sans être démenti, que le massacre des 130 Européens qui justifiait l’intervention militaire avait été commis sur ordre de Mobutu lui-même pour forcer la main aux Français. A la suite de combats qui firent plus d’un millier de morts zaïrois, les paras français, ayant perdu cinq des leurs, reprirent la ville aux rebelles katangais. Cette « victoire » fut suivie d’atroces représailles sur la population autochtone sous couvert de faire la chasse aux « complices » de la rébellion [1].
Si les Français ont tout fait pour devancer les Belges c’est que cette intervention militaire entre incontestablement dans le cadre de la guerre de prédation des ressources naturelles que se livrent alors les grandes puissances en Afrique [2].
Aucun traité ne permettait cette intervention militaire française au Zaïre, mais cette ingérence permit de conforter le régime corrompu de Mobutu, au pouvoir depuis 1965 après avoir comploté l’assassinat de Lumumba en 1961. Elle déclencha un accroissement du volume de la coopération militaire franco-zaïroise, qui s’est alors accompagné d’une percée spectaculaire des grands groupes industriels français (Thomson-CSF, CGE, Péchiney) sur le marché zaïrois [3]. Pour les populations locales ce fut l’enfoncement funeste dans le chaos et la misère. Est-ce cela aussi que nous célébrons aujourd’hui ?
Un hommage à une politique cynique de puissance (la récente intervention au Tchad en est une preuve flagrante), et que l’inauguration le 21 mai de la nouvelle plateforme offshore de Total au Congo-Brazzaville (champ de Moho-Bilondo) en présence de Christophe de Margerie (Directeur Général du groupe pétrolier), par le secrétaire d’Etat chargé de la Coopération Alain Joyandet ne vient que confirmer ; tout comme le voyage du président Sarkozy en Angola, autre eldorado pétrolier et cible privilégiée des groupes Total ou Bolloré.
Véritable VRP des intérêts privés français, la diplomatie française entend ainsi contribuer à une recolonisation du continent, en compétition avec les nombreux acteurs que peuvent être la Chine ou les Etats-Unis. A qui ira l’argent du pétrole ? Si le Congo a adhéré à l’Initiative de Transparence des Industries Extractives (ITIE), l’Angola n’est pas partie prenante de l’initiative. Surtout, quelles garanties les autorités françaises entendent-elles demander aux régimes de Denis Sassou Nguesso et d’Edouardo Dos Santos sur cette question, qui ont largement détourné l’argent du pétrole et des caisses de l’Etat pour asseoir leur pouvoir, s’enrichir et acquérir de nombreux biens immobiliers en France et ailleurs, comme une récente enquête de la justice française l’a prouvé en ce qui concerne le président congolais ?
Comme dans le cas du Zaïre suite à l’opération sur Kolwezi, le financement par Elf (aujourd’hui Total) de la guerre civile de Sassou Nguesso en 1997, ou les livraisons d’armes dans celle de l’Angola (qui donnera lieu à la fin de l’année au procès de l’Angolagate), permettent aujourd’hui aux entreprises françaises de jeter leur dévolu sur les ressources de ces pays. Dans une interview parue le 20 mai sur lejdd.fr, Alain Joyandet affirmait d’ailleurs : « l’implantation des entreprises françaises en Afrique est l’une de mes priorités ». Etrange conception de la Coopération au développement, digne d’un ministre de l’Economie ou de la guerre. En fait c’est le langage d’un authentique ministre des colonies.
Nicolas Sarkozy, admirateur et émule d’une politique de domination, rend une nouvelle fois la France complice des pires dictateurs, au bénéficie d’une minorité. Une France vue en Afrique comme méprisante, profiteuse et xénophobe, semeuse de misère et de révolte.
[1] Cf Roger Rousseau Légion je t’accuse, la face cachée de Kolwezi 2008 et Kolwezi, l’avènement d’un officier sans honneur 2006 éd. Rexy
[2] Déjà le 12 avril 1997, évoquant la 1ère guerre du Shaba cette même année, le président français Valéry Giscard d’Estaing avouait dans une allocution radiotélévisée : « [J’ai] voulu donner un signal de solidarité. [...] L’Europe ne peut pas se désintéresser de ce qui se produit sur le continent africain [...]. L’Afrique, c’est un continent d’où viennent traditionnellement un certain nombre de nos ressources et de nos matières premières, avec lequel nous avons des liens très étroits », Le Monde, 14 avril 1977.
[3] A titre d’exemple, le marché zaïrois des télécommunications échut à Thomson CSF, dont le PDG était... Philippe Giscard d’Estaing, cousin de Valéry.