Après quelques hésitations, le dictateur tchadien Idriss Déby sera reçu à l’Elysée par François Hollande mercredi. Cette rencontre plusieurs fois reportée, aura lieu sur fond de négociation sur une intervention militaire au Mali appuyée par la France, qui souhaite mobiliser les troupes claniques de l’armée tchadienne.
L’accueil annoncé à l’Elysée du dictateur tchadien Idriss Déby le 5 décembre conclut un vrai-faux suspense qui a duré plusieurs semaines. Les reports de ce rendez-vous sont probablement le signe de houleuses tractations dans lesquelles les questions liées aux violations des droits humains au Tchad n’auront au final pas pesé lourd face à la volonté de la France d’obtenir le soutien de N’djamena dans le dossier malien. En effet, pour des raisons géostratégiques décidées en dehors de la volonté souveraine du Mali, la France fait depuis plusieurs mois pression sur le président tchadien pour obtenir la participation de ses troupes et de ses moyens militaires dans l’ « opération africaine » qu’elle promeut. Une participation évidemment compromise si Hollande n’accepte pas de donner un minimum de caution diplomatique à Déby en le recevant à l’Elysée.
Le cas tchadien illustre cette incapacité de l’exécutif français à définir une ligne diplomatique claire et assumée concernant ses relations avec les dictateurs africains. A quoi bon en effet tenir un discours sur les droits humains sur les terres d’un dictateur à Kinshasa en octobre et se pincer le nez face à lui, si c’était pour rencontrer discrètement dans la même journée les despotes congolais et camerounais Denis Sassou Nguesso et Paul Biya ou si c’est pour recevoir à l’Elysée le dictateur tchadien Idriss Déby quelques semaines plus tard ? Rappelons qu’Idriss Déby, souhaitant faire jouer au maximum son potentiel de négociation, avait pris soin de décliner l’invitation à Kinshasa, sans doute d’en l’attente d’être « mieux traité » à Paris. C’était prendre peu de risques. Les visites ministérielles au Tchad en juillet dernier de Laurent Fabius et Pascal Canfin avaient en effet laissé envisager, sur fond de crise au Mali, une continuité dans la politique française de soutien « pragmatique » au dictateur, le chef de la diplomatie française y faisant étalage des « relations d’amitié qui demeurent » .
En fait d’amitié, c’est l’armée tchadienne qui est soutenue sans discontinuer par le dispositif militaire français Epervier, lancé en 1986 par le gouvernement Fabius – ce dispositif est constitué d’un millier d’hommes, d’une force d’aviation et de renseignement sophistiqué, renforcé ces dernières semaines. L’armée tchadienne, en phase avec la volonté farouche d’Idriss Deby de se maintenir au pouvoir, est une des plus puissantes de la région. Habituée à des opérations dans des zones désertiques, elle compterait « 30.000 hommes équipés d’armes modernes et de moyens aériens » [1] . Dans un pays classé parmi les plus pauvres de la planète, l’armée plétorique de ce pouvoir couvé par les bons soins de la France aurait davantage de quoi inquiéter que de réjouir quiconque.
En effet, Idriss Déby est responsable d’une partie des massacres et atrocités commises sous le régime d’Hissène Habré, dont il fut le chef d’État major, avant de le renverser en 1990 avec l’appui de la France. A la tête de l’État, il n’hésita pas à ordonner de nouveaux massacres et des exactions insoutenables [2] , et s’est maintenu au pouvoir par les armes, toujours soutenu par la France. Un soutien tricolore multiforme : économique, via les largesses en aide publique ; diplomatique, par la validation d’élections truquées (quand la France n’a pas elle-même contribué à organiser la fraude comme lors de la présidentielle de 2001) ; militaire enfin, l’armée française repoussant les rébellions de 2006 ou 2008 et continuant à fournir en armes un régime qui a renoncé à investir dans les secteurs sociaux de base et n’hésite pas, comme le dénonce Amnesty International, à recruter des enfants soldats.
Aujourd’hui, alors que les Tchadiens réclament la démocratie, la fin de la répression contre les opposants, victimes d’arrestations arbitraires, la vérité dans les multiples affaires criminelles impliquant le régime tchadien (dont la disparition de l’opposant Ibni Oumar Mahamet Saleh en février 2008), et surtout des politiques publiques au service des populations, la France accepte de redonner une caution d’honorabilité à Idriss Déby. Avec pour seul espoir que les soldats tchadiens, supposés spécialistes du Sahel (du moins quand la France les appuie), sinistrement réputés pour leur clanisme, leurs exactions et leurs multiples retournement d’alliances dans les différents conflits internes, ne constituent un soutien utile sur le terrain malien.
Naïvement ou à dessein, le Président de la république française s’engouffre dans une realpolitik promue avec son Ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius et opte délibérément, sous des prétextes fallacieux, pour une politique criminelle de réhabilitation d’un des pires despotes du continent. Un manque de lucidité particulièrement étonnant tant les exactions du régime Déby sont connues et documentées, y compris par des conseillers du président de la République, telle l’ancienne députée Marie-Hélène Aubert [3] qui de part ses travaux passés est bien informée de la nature du régime d’Idriss Déby .
Une diplomatie française qui s’évertue à voir Idriss Déby comme une solution plutôt que comme un problème n’est décidément pas prête à rompre avec la Françafrique.
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[1] « On y trouve aussi huit hélicoptères de combat, Mi-17 et Mi-8 ainsi que deux avions de chasse Sukhoï et des avions de reconnaissance aérienne » selon RFI ( jeudi 15 novembre 2012, Nord du Mali : option militaire et dialogue politique menés de front).
[2] Cf. Annexe 1 - Exemples d’exactions commises par Idriss Déby
[3] Auteur d’un rapport parlementaire en 1999 sur les entreprises pétrolières qui avait consacré plusieurs pages au cas tchadien. Voir http://www.assemblee-nationale.fr/legislatures/11/pdf/rap-info/i1859-01.pdf Mme Aubert avait par ailleurs témoigné en faveur du Président de Survie François-Xavier Verschave lors d’un procès intenté en 2001 par trois chefs d’Etat africains dont Idriss Déby, où elle avait décrit les exactions commises par Idriss Déby et son armée sur les populations civiles (cf. Annexe 1).